Pouvoir rime avec grosse tête… L’accès à un statut supérieur pourrait changer le comportement de certains individus, qu’ils soient hommes d’état, managers, dirigeants, ou décideurs. Nombreuses sont les études qui explorent le phénomène. Examinons comment les agneaux se font loups, les chefs petits chefs et comment portés par l’ivresse d’une puissance nouvellement acquise, ils se muent en tyrans sûrs de leurs bons droits.
Sans considérer ce point comme une règle absolue, c’est malgré tout une tendance qui interpelle. En faisant un arrêt sur image, il est très intéressant de pointer combien un zest de promotion, une once de renommée et un soupçon de pouvoir, vous changent une personne.
Mais que se passe-t-il donc dans la tête de celui qui glisse de l’ombre à la lumière, de celui qui gravit les marches du podium ou de celui qui découvre le chemin du succès ? De l’impuissance au pouvoir d’agir, un pas de géant qui conditionnerait nos comportements.
Pourquoi ces mêmes individus deviennent-ils subrepticement moins sympathiques, moins chaleureux et plus distants avec leur entourage, avec ceux qui sont sous leurs ordres, ou avec ceux qu’ils gouvernent ?
Le pouvoir conduirait à une perception déformée de la réalité, et changerait la façon d’agir de chacun. Il induirait quelques dérives aux conséquences délétères, tant à titre privé, en politique, qu’à titre professionnel, que ce soit dans les affaires ou dans les entreprises. Sans généraliser, le fait d’être catapulté au plus haut sommet d’un état ou d’une structure ne nous transforme pas obligatoirement en autocrate ou en despote. Chaque individu compose avec sa personnalité pour assumer sa nouvelle autorité et ses prérogatives. Certains passent de l’impuissance à l’omnipotence, tandis que d’autres restent dans la continuité de ce qu’ils ont toujours été.
Il n’en demeure pas moins que le pouvoir peut agir sur trois axes majeurs :
- en nous éloignant des autres auxquels nous ne prêtons plus attention
- en nous positionnant au-dessus des lois
- en amplifiant notre besoin d’assouvir nos désirs et nos envies
#Le pouvoir estompe l’empathie
Au-delà de ce constat, nous devons les réponses les plus pertinentes sur le sujet à trois chercheurs qui se sont intéressés aux personnes « de pouvoir » et qui se sont penchés sur le système miroir et en particulier sur les « neurones miroirs », directement liés à l’empathie. Ces scientifiques, Jeremy Hogeveen, Sukhvinder S. Obhi et Mihael Inzlicht ont mis en évidence que le pouvoir change fondamentalement la façon de fonctionner du cerveau. Ils ont entrepris une expérience étonnante qui consiste, dans un premier temps, à identifier deux groupes bien distincts d’individus, dits les « puissants » et les « impuissants ». Puis dans un deuxième temps, ils ont demandé aux « puissants » de décrire les sensations vécues au moment où ils avaient exercé leur pouvoir sur quelqu’un d’autre, et aux « impuissants » de décrire leurs ressentis, quand au contraire, ils agissaient sous le pouvoir de quelqu’un d’autre.
Ils ont alors mesuré le niveau d’activité de ces neurones miroirs sachant qu’ils s’activent aussi bien lorsque nous voyons quelqu’un réaliser une action que lorsque nous la réalisons nous-même. Sukhvinder Obhi a pointé que lorsque ces deux mêmes groupes regardaient une vidéo montrant un homme malaxer une balle anti-stress, autant dire une activité banale, les personnes habitées par un sentiment d’impuissance avaient des neurones miroirs étrangement boostés, tandis que « quand les gens se sentaient puissants, le signal n’était pas très haut du tout. » Le système miroir nous propulse à l’intérieur du cerveau de l’autre, quelque soit son activité, c’est bien d’empathie dont il s’agit. « Je sais me mettre dans et à la place de l’autre. »
Ainsi, le résultat de cette étude nous dit qu’il est plus compliqué pour une personne puissante de ressentir de l’empathie et de comprendre l’autre. Un autre chercheur, Dacher Keltner, psychologue de l’université de Berkeley, nous le confirme : « Le pouvoir diminue toutes les variétés d’empathie. » C’est ainsi que collaborateurs, subordonnés, et peuples pourraient devenir les oubliés d’un système parce que privés de la compassion des « tout puissants ».
#Le pouvoir brouille la perception de Soi
Une autre expérience tentée par Michelle M. Duguid (Université de Washington) et Jack A.Goncalo (Université de Cornell) a permis de déterminer si « la taille est une métaphore du pouvoir ». La question à laquelle ils ont voulu répondre était celle de savoir s’il y avait bien corrélation entre la relation au pouvoir des participants et la perception de leur taille. Après leur avoir demandé de se livrer aux mêmes exercices que précédemment, ils ont suggéré à chacun de créer leur avatar en tenant compte de leur taille et en la graduant de 1 à 7. Les avatars les plus grands furent ceux imaginés par des personnes de pouvoir, tandis que les plus petits correspondaient au groupe confronté à un situation de soumission au pouvoir.
Résultat des courses : plus on se sent puissant plus on se voit grand, et lorsque l’on dit de quelqu’un : « C’est un grand homme », bien que ce soit une expression un peu désuète, nous associons à cette remarque beaucoup plus une idée de réussite qu’une idée de taille, ce qui vient corroborer le fait que, dans le langage courant, la puissance est bien corrélée à la grandeur physique.
#Le pouvoir laisse des traces posturales
Mais alors quelles sont les postures typiques du pouvoir ? C’est d’abord une gestuelle de domination qui consiste à occuper le maximum d’espace et à utiliser une gestuelle haute et ample, avec une posture bien ancrée et plantée dans le sol, un torse déployé avec des bras levés. Ces positions d’autorité influenceraient même le taux hormonal, c’est en tout cas ce qu’a découvert Emy Cuddy, chercheur en psychologie sociale à Harvard en 20112. Les « power poses » induisent une augmentation du taux de testostérone (l’hormone du pouvoir) et une inflexion du taux de cortisol (l’hormone du stress) dans le corps.
Est-ce à dire que les gens sévèrement testostéronés ont plus de chance d’avoir du pouvoir ? Pourquoi pas ? Puisqu’ils osent plus, puisqu’ils ne craignent ni Dieu ni diable et sont moins inhibés par le stress. L’homme de pouvoir veut occuper l’espace à l’instar du mâle dominant ou du mâle alpha. Son non verbal interpelle et le message postural qu’il envoie résonne en syntonie avec ses intentions d’hégémonie, tout à la volonté de marquer son territoire et de le défendre.
#Le pouvoir peut rendre maboul ou frapadingue
La psychologue Susan T. Fiske de l’université de Princeton explique : « Le pouvoir permet aux gens d’agir librement. ». Et c’est bien cela qui peut donner lieu à des dérives. L’idée de se soumettre à des lois ou à des normes sociales devient alors inenvisageable. Pourquoi renoncer à toutes ses lubies, pourquoi ne pas réaliser ses rêves les plus fous, pourquoi ne pas alimenter un désir d’emprise, une volonté de régner en maître absolu ?
En poursuivant leur objectif de grandeur, ils en oublient souvent la modestie, parfois l’honnêteté et presque toujours les autres. Rien est assez beau et la quête éperdue d’un Soi idéalisé ne peut que donner lieu à des dérives narcissiques, égotistes voire machiavéliques. L’exemple le plus marquant est probablement le changement radical observé entre la personnalité d’un Erdogan maire d’une ville de Turquie, ou premier ministre et celle du président cherchant à contrer toute opposition par tous les moyens, fussent-ils les plus anti démocratiques, juste pour être sûr de se garantir un pouvoir incontesté et sans limites.
Le sentiment de puissance installe dans la toute puissance et pousse l’être humain par souci de liberté à se donner toutes les permissions y compris celles d’empiéter sur le territoire des autres, mais aussi celles de transgresser les lois, ou encore de devenir complètement immoral sans en ressentir aucun affect, culpabilité ou honte. « Du haut de mon piédestal, nul ne peut m’atteindre, et je n’entends plus me placer sous la loi du père mais m’élever au rang des Dieux. »
« Attraper le melon », « prendre la grosse tête », c’est perdre le sens des réalités mais surtout de sa réalité en se donnant à voir une relation à Soi et un monde extérieur déformés, rien de tel pour se déconnecter et devenir complètement perché.
Scientific American Mind May/June 2017 « Power moves » by Theodor Schaarschmidt
The psychology of tyranny, S. Alexander Haslam and Stephen D. Reicher, 2005
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