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Pourquoi la gestion de la connaissance a le vent en poupe avec l’explosion de l’IA ?

Le Knowledge Management avec l’IA

La gestion de la connaissance (Knowledge Management ou KM en anglais) dans les entreprises a vécu plusieurs périodes de crise qui ont constitué à chaque fois d’énormes opportunités pour les acteurs de cette filière en se façonnant peu à peu une véritable identité. Aujourd’hui, l’arrivée d’importantes innovations disruptives pose une nouvelle fois la question d’un déploiement du KM du futur dans une relation de double causalité où ses évolutions récentes s’appuient davantage sur l’intelligence artificielle (IA), puis d’un autre côté, où le déploiement des IA en général en appelle à de nouvelles règles de gestion de la connaissance.  

Une contribution de Pascal de Lima – Chef économiste CGI Business Consulting

« Mon sentiment est que ce XXIe siècle fonctionne encore avec les outils du XXe et les organisations du XIXe ; ce qui va nécessiter un changement radical » – Antonio Nieto-Rodriguez[1].

Selon Peter Drucker[2], la gestion de la connaissance consiste en l’accompagnement intelligent des activités de l’entreprise afin de l’aider à innover et démontrer son efficacité à l’aide d’indicateurs adaptés à l’immatériel. Le knowledge management va ainsi permettre d’organiser une entreprise autour de la connaissance et de l’expertise. A partir de Peter Drucker et de notre expérience de vingt années au service du KM, des réussites et des échecs, nous avons établi notre définition du Knowledge Management : Le Knowledge Management, d’après nous, est un processus de transformation et de partage de la connaissance pour apporter de la valeur ajoutée au client et enrichir les collaborateurs. Il s’agit d’un système global de gestion de la connaissance visant à capter les signaux faibles pour produire des contenus, former et s’approprier, puis les distribuer au client afin de développer des opportunités commerciales, selon le carré magique : le bon support (1), le bon consultant (2), le bon manager, (3) chez le bon client (4).

Thèse : L’évolution récente de la connaissance dans une économie où tout repose sur celle-ci nécessite un outil redoutable comme l’IA (1ère partie), mais d’un autre côté le déploiement de l’IA dans les organisations en appelle à davantage de Knowledge management pour organiser et transmettre la connaissance en sortie (2ème partie) : c’est le cercle vertueux et la double causalité de l’IA et du KM.

 

Partie 1) L’histoire du Knowledge management, le flot effréné de connaissance qui circule dans le monde aujourd’hui, sa structuration en amont et sa gestion multidimensionnelle (déploiement de processus organisationnels, filières RH, déploiement d’outils de stockage) nécessite une IA. L’IA se met alors au service du KM.

Le terme Knowledge Management serait apparu dans les années 1980 en science du management et dans les entreprises.

*La première génération a surtout concerné les années 1990 et principalement le secteur industriel. Le bilan global a plutôt été mitigé car le KM n’était pas CCKM (Customer Centric Knowledge Management). En clair, ne permettait pas réellement de créer de la valeur pour le client et les centres de recherche étaient totalement décloisonnés du KM, souvent dans des logiques d’ailleurs trop fondamentales.

*Certains adeptes d’une approche plus technologique considèrent l’arrivée du web 2.0 comme le début de la deuxième génération du Knowledge Management (années 2000). La seconde génération du KM qui se déploie encore dans toute l’Europe est davantage centrée sur la notion d’animation de la connaissance autour des outils collaboratifs et des communautés. Malheureusement, les jeux de pouvoir ont souvent pris le dessus : faire de la connaissance un enjeu de pouvoir et de business au sein de communautés privées, en mode non ouvert et ne pas déployer de culture du partage.  

*La troisième génération vers la fin des années 2000 voit l’émergence d’entreprises déjà habituées au Knowledge Management. Chacun appliquerait les préceptes du KM au niveau managérial. On observe une différence entre le Japon, les Etats-Unis où la culture Knowledge Management est bien plus ancrée, et l’Europe étonnamment plus en retrait. Nous nous demandons d’ailleurs si certains retards habituels dans le déploiement des innovations disruptives (en regard des Etats-Unis, de la Grande bretagne et du Japon) ne viendraient pas de là, une insuffisante culture de la connaissance et de son partage.

*Une quatrième à l’œuvre actuellement s’appuie sur l’outil redoutable de l’IA et la Covid n’y est pas pour rien. En effet, le déploiement et l’émergence des plus récentes innovations disruptives se sont accélérés comme l’a été en parallèle le déploiement des IA avec la digitalisation accélérée liée aux périodes de confinement. Dans ce contexte récent, nous observons que les attentes autour de l’IA sont considérables en particulier dans sa capacité à produire des connaissances nouvelles en sortie à partir d’un référentiel de connaissance, le plus structuré possible en entrée.

Quelles évolutions peut-on observer à l’aune de ce qui vient d’être dit ? On trouve naturellement la recherche et l’extraction d’informations ainsi que la nécessité d’avoir un excellent processus de veille. Il semblerait que ce dernier point devienne de plus en plus une priorité. On voit aussi émerger de nouveaux processus organisationnels pour déployer toute la chaine de valeur business. Celle-ci s’appuiera sur des filières RH dédiées et des outils de capitalisation permettant un stockage des meilleurs contenus, base des référentiels data. C’est ainsi que l’IA pourra intervenir : par la reformulation et l’indexation sémantique, les analyses prédictives, les chatbots et les interfaces conversationnelles. L’IA va également permettre la personnalisation de l’expérience utilisateur en recommandant des contenus pertinents pour décliner ensuite les meilleures productions de contenus possibles. Les documents thématiques, les articles, les offres en font naturellement partie et permettent de décliner un nouveau savoir, de l’enrichir et d’assurer une transformation créatrice de croissance. L’IA va alors permettre de détecter les signaux faibles permettant de se focaliser sur le savoir le plus utile pour participer activement aux enjeux de la transformation économique et numérique en cours en produisant des contenus innovants qui adressent les clients.  L’IA va aussi permettre de projeter l’organisation dans ses processus KM, de même qu’identifier les compétences permettant d’optimiser le programme. Enfin, évidemment, à partir des référentiels de connaissance, il va être possible de produire de nouvelles connaissances sur de nombreux sujets déterminés dans les instances de décision grâce au processus de veille.

 

Partie 2) Mais d’un autre côté comme dans une double causalité vertueuse, le déploiement des IA dans les organisations en appelle aussi à une bonne gestion des connaissances. Le KM se met au service des IA. Dans ce contexte l’IA qui brasse une quantité considérable de données et de connaissances en sortie, a besoin d’être managée pour permettre de produire les meilleures connaissances en sortie avec le respect du carré magique :  le bon support (1), le bon consultant (2), le bon manager, (3) chez le bon client (4). On stocke alors les connaissances selon des logiques de transversalité non pas pour « casser les silos » mais pour arriver à mieux travailler, mieux se focaliser sur l’expertise et déployer une forme de transversalité dans les collaborations.

Les erreurs à éviter

Car il faut pouvoir composer avec les nombreuses erreurs que nous avons capitalisées : Les 10 erreurs les plus importantes ont été déjà décrites dans de nombreux ouvrages, en particulier dans le manuel du Knowledge Management de Jean-Yves Prax[3], une référence en la matière.

De ces 10 erreurs il convient de remarquer en première ligne, l’importance d’un système trop rigide à la fois trop technique et trop orienté outils technologiques, au détriment des composantes humaines et sociales. Les acteurs ne créent pas suffisamment de communautés autour de thèmes transverses stratégiques et s’empressent de créer des outils avant même d’avoir produit la moindre connaissance.

La deuxième, l’une des plus connues, est celle des initiatives cachées, non reconnues officiellement, non évaluées et très dépendantes d’une seule personne. Ici, il est absolument essentiel de reconcevoir le KM comme une démarche d’entreprise avec les sponsors de la direction générale, donner une reconnaissance officielle à leurs animateurs et à toutes les actions KM, évaluer, consolider les résultats et communiquer.

Une autre erreur classique du Knowledge management consiste à adopter des approches trop complexes qui privilégient trop les approches formelles et mathématiques, il faut donc adopter des démarches plus simples, les déployer de façon participative et s’adapter au contexte culturel en faisant en sorte que chaque acteur comprenne réellement le bénéfice de sa contribution pour lui-même adopter sa démarche.

Puis les approches non adaptées à la culture locale sans tenir compte de la culture maison de l’entreprise, et là un gros travail sur l’interculturalité, comprendre les différences de comportement des autres par rapport au savoir et au travail collectif, proposer une communauté transversale qui traverse les silos.

La codification dans des bases de connaissance ne suffira pas non plus. Il faudra toujours accepter qu’une part de la connaissance restera sous forme tacite et non codifiable. Il faudra travailler sur l’agilité.

Les analystes solitaires ou les approches découlant d’un travail solitaire ne sont pas non plus efficientes, c’est pour cette raison que l’on privilégie les approches incrémentales, itératives et participatives, il faut mobiliser au départ, analyser les attentes du client et des consultants, développer la production sur des canaux et supports multiples.

Ensuite, l’idée que le KM deviendrait un centre de coût, une charge supplémentaire. Il faut dans ce cadre intégrer la démarche de capitalisation en reliant le KM à la stratégie et aux objectifs économiques ainsi qu’aux nouveaux objectifs comme ceux de l’ESG.

Le projet peut aussi être l’occasion d’une guerre entre grandes directions fonctionnelles. Il faut alors promouvoir une démarche systématique et pluridisciplinaire, obtenir une adhésion officielle de la direction générale et créer des instances de Knowledge Management dédiées, pour réunir les différentes directions impactées.

Le mode de management autoritaire et la culture du pouvoir peut aussi bloquer les initiatives. Il faut alors penser le projet comme une démarche de conduite du changement lors de son déploiement certes, mais aussi dans l’amélioration continue pour que le KM devienne une filière à part entière. Il ne faut pas avoir peur du déploiement à plusieurs vitesses, selon le niveau de maturité des entités concernées qui peut être hétéroclite s’il y a déjà un dispositif existant. Penser en une démarche « quick wins » pour inculquer le changement.

Enfin souvent, certains utilisent aussi le mot « gestion de la connaissance » mais en voulant désigner autre chose. Souvent la GED (Gestion documentaire). Le plus important ici, est de sensibiliser au changement et de bien définir les termes en amont.

 

Le KM fonctionne donc selon quelques règles de bonnes pratiques tirées des expériences accumulées par les plus grandes multinationales depuis les années 1980 et des erreurs à éviter selon une double causalité vertueuse. Il existe aujourd’hui une norme dédiée au KM, la norme ISO 30401. Cette norme AFNOR (institut international de certification professionnelle), pose des conditions pour instaurer, mettre en œuvre, maintenir et améliorer le système de management des connaissances. Elle suppose une maitrise des terminologies et une maîtrise du contexte particulier de l’organisation, des besoins et des attentes des parties intéressées : clients, consultants en particulier.

Dans ce cadre, comme dans la plupart des démarches conseil, le déploiement des programmes de Knowledge Management passe par le déploiement de processus organisationnels, de processus RH pour les filières d’expertise KM, d’un outil de capitalisation et du déploiement du change management pour l’acculturation. Ce mode de management de l’expertise va permettre une montée en gamme de la communication vers les clients grâce à une démarche d’approche fondée sur le savoir-faire. De plus le Knowledge Management bien déployé pose comme principe un engagement fort sur la montée en compétence des consultants.

Communication vers les clients, engagement fort sur la montée en compétence des consultants, le leadership est aussi essentiel, c’est-à-dire la capacité de la direction à mettre en avant l’intérêt du programme notamment sa créativité. Entre autres, il faudra être capable de suivre les risques et les opportunités d’innovation à saisir pour créer de la valeur autour d’objectifs précis et des actions concrètes à planifier. Les best practices sont donc aujourd’hui bien connues. En séparant bien les chantiers liés aux processus organisationnels et ISO 30401, le volet RH, Outil et capitalisation,  et enfin, nature du changement, on parvient ainsi à impulser une nouvelle culture.

L’IA sera d’une grande aide dans ce contexte, en particulier pour la norme. Avec l’IA, c’est l’ensemble des éléments du puzzle que l’IA peut également mettre en musique. Même dans le cadre de priorités business court-termistes le KM a la possibilité de s’écarter temporairement des objectifs de court terme pour créer cette valeur innovante dans le long terme en insufflant du nouveau à l’ensemble des départements de l’entreprise, de la chaine de valeur et des parties prenantes, tout en maintenant les tactiques court termistes orientées clients.

 Il faut donc trouver un juste milieu entre les différentes ambitions du KM, les différentes formes qu’il peut prendre et les priorités du business qu’il est sensé servir quitte à ce que d’un point de vue RH on identifie aussi les profils plus aptes à répondre à certaines ambitions et à avoir un dispositif opérationnel qui permette d’y répondre. Ici encore, l’IA sera un outil indispensable pour enrichir le métier de Knowledge Manager.


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Avec la contribution de Barbara Rallu – Vice-Présidente Conseil Expert CGI Business Consulting, Aurélie Demangeon – Directrice Conseil Expert de CGI Business Consulting, Cyrille Almenar – Vice-Président Conseil Expert

[1]Ancien président du Project Management Institute (PMI ), professeur et auteur du « Harvard Business Review Project Management Handbook » (2021) lors du forum Peter Drucker qui s’est imposé en rendez-vous international incontournable.

[2]Peter Ferdinand Drucker, est un professeur, consultant américain en management d’entreprise, auteur et théoricien. Il est à l’origine de nombreux concepts utilisés dans le monde du management, comme l’esprit d’entreprise et l’innovation systématique.

[3]Docteur es Sciences, fondateur et président du groupe Polia Consulting, spécialisé dans le Management des Connaissances et de l’Innovation.

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