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Pourquoi il faut arrêter d’attendre des managers qu’ils soient exemplaires

Cela fait des années que les entreprises ont instauré dans leurs référentiels des injonctions managériales, telles que :

  • Être exemplaire
  • Motiver les équipes
  • Être transparent
  • Susciter l’adhésion
  • Éviter les conflits

 

Je vous propose une série de 5 articles dans le but de mettre en avant que ces attentes ont un effet contraire aux résultats attendus.

Commençons donc par l’idée qu’un bon manager doit être exemplaire :

Issu du latin médieval exemplarium, être exemplaire signifie « servir d’exemple, de modèle, digne d’être imité ».

Cette définition suffit à elle-même pour comprendre que cette injonction, qui peut sembler noble et vertueuse, est souvent  à l’origine de difficultés à la fois pour le manager, le collaborateur et la collaboration.

 

Des difficultés pour le manager

Attendre de ses managers qu’ils soient exemplaires n’est ni plus ni moins qu’une forme de pression sociale qui peut avoir de graves conséquences sur leur équilibre psychologique.

En effet, d’après les travaux de la psychologue américaine Christina Maslach sur le burn-out, l’attention excessive à la quête d’exemplarité de la part du manager est souvent à l’origine d’un stress chronique qui peut affecter sa santé mentale.

Les psychologues Daniel Kahneman et Amos Tverky, auteurs de la théorie sur « l’aversion au risque », soulignent qu’un manager obsédé par l’exemplarité évitera de prendre des décisions audacieuses, par peur de l’échec, ce qui freinera subséquemment l’innovation au sein de son équipe.

Du point de vue du sociologue canadien Erving Goffman, les managers cherchant à être exemplaires peuvent être amenés à présenter une « face idéale » en société, ce qui les inciterait à éviter d’être authentiques et à cacher leurs erreurs pour maintenir cette image.

Par ailleurs, les travaux du sociologue Max Weber alertent sur le fait qu’un manager qui se veut exemplaire a tendance à vouloir tout diriger et à faire preuve d’autoritarisme ce qui, selon l’universitaire canadien Henry Mintzberg, le détournerait de sa mission principale d’animation d’équipe.

D’un point de vue philosophique, Jean-Jacques Rousseau, dans son « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes », considère que l’homme est par nature imparfait. Exiger de lui qu’il soit exemplaire serait donc contraire à la condition humaine et créerait des standards inatteignables.

Un siècle plus tard, Friedrich Nietzsche s’attaque à la morale qui impose des normes universelles de comportement en mettant en avant, non seulement qu’elles ont pour but d’uniformiser les individus et non de les accepter dans leur singularité, mais surtout qu’elles peuvent mener à une existence aliénée, dépourvue de sens personnel.

Plus récemment, Jean-Paul Sartre, dans son discours sur la mauvaise foi, considère qu’exiger d’un individu qu’il soit exemplaire peut l’amener à se mentir à lui-même pour correspondre à une image idéalisée.

 

Des difficultés pour les collaborateurs

Selon les théories du psychologue américain Kurt Lewin sur la dynamique de groupe, un leader trop parfait inhibe la participation des collaborateurs car ceux-ci se sentent incapables de l’égaler, créant ainsi des équipes attentistes et passives.

Du point de vue du sociologue Michel Crozier, un manager perçu comme exemplaire peut sembler inaccessible, ce qui peut décourager les employés à partager ouvertement leurs idées ou préoccupations.

Ce point de vue est conforté par le psychologue Albert Bandura dans sa théorie de l’apprentissage social qui considère que les individus apprennent par mimétisme. A ce titre, si le manager est trop parfait, les collaborateurs peuvent se sentir incapables de l’égaler, ce qui peut mener à une baisse de motivation et de performance.

 

Des difficultés pour la collaboration

Les études sur la comparaison sociale de Léon Festinger ont par ailleurs mis en avant que le désir de ressembler à un manager exemplaire peut être source de compétition interne et ainsi nuire à la cohésion d’équipe.

Du point de vue de la sociologue Emy Edmondson autrice du concept de « sécurité psychologique », un manager qui ne montrerait jamais ses failles et sa vulnérabilité par crainte de ne pas être exemplaire peut freiner l’appropriation d’une culture de l’expérimentation et l’instauration d’une organisation apprenante par essais et erreurs, indispensable pour évoluer dans un monde VUCA (volatile, incertain, complexe et ambigu).

De plus, considérer que seuls les managers doivent être exemplaires est sans doute conforme au principe de subordination unilatérale hiérarchique qui instaure une relation d’obéissance à l’autorité et de conformisme aux normes instaurées par l’entreprise mais contraire à celui de « symétrie des attentions », gage d’une saine et riche collaboration.

Selon le sociologue Norbert Alter, pour qu’une collaboration soit enrichissante, les conditions ne doivent pas être unidirectionnelles mais partagées par toutes les parties prenantes dans la relation, ce qui signifierait que l’injonction à l’exemplarité ne devrait pas concerner que les managers mais aussi les collaborateurs, ce qui semble une ambition totalement inatteignable, compte tenu de la montée de l’individualisme de ces dernières années.

Certains lecteurs pourraient contester le fait que nous avons débuté cet article avec le prisme selon lequel l’exemplarité reposait sur les notions de perfection, d’excellence ou encore de qualité totale et que les effets seraient différents s’il reposait sur des valeurs humanistes telles que l’authenticité, l’humilité et la justice par exemple.

Malheureusement, les résultats seraient identiques car cela supposerait de demander aux managers qu’ils doivent toujours être eux-mêmes, acceptent l’idée qu’ils soient imparfaits et se montrent équitables en toute circonstance, ce qui est impossible.

 

C’est pourquoi, fort de toutes ces prises de conscience, les entreprises ont 3 options :

1 – Persévérer dans l’idée de considérer que leurs managers doivent être exemplaires et assumer la responsabilité d’être à l’origine de dysfonctionnements et de mal-être aussi pour les managers, les collaborateurs et la collaboration.

2 – Etendre l’exemplarité à tous les acteurs de l’entreprise, ce qui semble utopique.

3 – Supprimer ce mot de leur référentiel managérial pour le remplacer par l’encouragement à « montrer l’exemple », ce qui est très différent, en veillant à instaurer en même temps des dispositifs de feedback pour comprendre et apprendre des situations où cela n’aura pas été possible.

 

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