La sur-compétence est davantage un risque pour une carrière que l’incompétence. La faute à un management érigeant le respect de l’ordre établi avant tout autre ambition et une incapacité de nos organisations à recruter et valoriser des collaborateurs qui pensent différemment. Par François Mattens.
Vous a-t-on déjà reproché de ne pas avoir respecté les processus même si l’objectif était atteint ? Qu’il aurait été préférable de suivre les règles même si cela aurait pu empêcher d’obtenir des résultats ? Vous n’êtes pas dans Les douze travaux d’Astérix mais peut-être dans une entreprise ou une administration du XXIème siècle.
La primauté au respect de la règle
Ce constat n’est pas nouveau. Publié en 1969 dans un ouvrage du même nom, « Le principe de Peter » est une théorie empirique analysant les organisations hiérarchiques issue des travaux de deux pédagogues Laurence J. Peter et Raymond Hull. Ce principe explique que « dans une hiérarchie, chaque employé tend à s’élever à son niveau d’incompétence » et qu’« avec le temps, chaque poste tend à être occupé par un employé incapable de s’acquitter de ses fonctions ».
Ainsi « le travail est accompli par les employés qui n’ont pas encore atteint leur niveau d’incompétence. » Bien que prenant des exemples et des situations parfois caricaturales, cette étude reste valable dans nombre d’organisations, encore aujourd’hui.
Plus récemment, dans La médiocratie, le philosophe Alain Deneault est venu compléter cette analyse : dans nos sociétés modernes, le plus important est de rester dans la moyenne, penser comme la majorité et de ne surtout pas faire de vagues.
Finalement, un système qui tend à promouvoir l’individu « moyen », qui n’est ni trop bon ni trop mauvais. Pour réussir, le plus important étant de se conformer à la règle édictée, sortir du rang se révèle être une aventure périlleuse. Ceux qui s’y osent, pour changer les choses, faire bouger les lignes, créer de nouvelles normes, s’exposent au risque de voir freinés dans leur carrière. Le sommet de la pyramide hiérarchique leur est de facto exclu.
Avec du recul, on constate que les postes à responsabilité ne sont pas forcément occupés par des personnes incompétentes, mais surtout par des individus ayant toujours fait ce qu’on leur demandait, en adoptant les codes, en se conformant à la règle sans remettre en question le système. L’objectif premier étant de gravir les échelons plus que de faire évoluer l’organisation.
Conformisme vs Compétence : le dilemme du manager
Les managers sont désormais confrontés à de nouveaux enjeux qui les obligent à se remettre en question. Avec l’arrivée sur le marché du travail d’une génération Z en quête de sens au quotidien pour une meilleure reconnaissance au travail et le besoin d’adapter leurs compétences en permanence, les organisations font face à un dilemme. D’un côté, elles ont conscience d’un modèle sociétal et économique qui évolue avec une demande d’agilité, d’innovation et d’adaptation. De l’autre, elles sont structurellement organisées en pyramide et dirigées autour de la recherche du consensus et de la conformité tout au long du processus décisionnel et hiérarchique.
Rajoutons à cela un fossé générationnel qui se creuse de plus en plus entre les nouvelles recrues et le top management. Dans une étude de la Pr. Sabrina Chikh intitulée la physionomie des grands patrons français on apprend que le « PDG type » du CAC 40 est un homme issu de l’ENA, d’HEC ou de Polytechnique ayant une soixantaine d’année tout en concluant que « le pouvoir économique demeure au sein d’une caste dirigeante fermée, principalement issue de la haute fonction publique. Même si le CAC 40 a bien renouvelé les visages de ses dirigeants ces trois dernières années, les élites quant à elles semblent avoir été davantage déplacées que remplacées ».
Outre-Atlantique, le constat n’est pas plus reluisant. Un récent rapport du think tank Conference Board nous explique que les PDG de 75 ans et plus sont plus nombreux aux États-Unis que ceux de moins de 45 ans, et ce, même depuis l’émergence de nombreuses licornes sur les 10 dernières années. Cette homogénéité générationnelle et culturelle entretient de facto un réflexe conservateur qui impacte l’ensemble des échelons des organisations, du recrutement aux promotions, tout au long d’une carrière. Les « élites » ont tout intérêt, pour renforcer leur domination, à trouver des successeurs qui s’inscriront dans la continuité plus que dans la rupture.
Or de nombreuses études démontrent que des équipes trop homogènes sont néfastes pour une entreprise et que les groupes hétérogènes sont plus efficaces. Dans ce sens, les équipes composées d’individus aux profils différents (cursus scolaire, culture, âge, etc.) sont bien meilleures pour résoudre les problèmes. Dès lors, qui sont ces profils atypiques qui placent l’efficacité avant le conformisme ?
L’impertinent constructif, ce collaborateur nécessaire qui dérange
Parce qu’ils posent les questions qui dérangent, les profils atypiques sont ostracisés, qualifiés d’ingérables voir de nuisibles. Pire, ils osent rechercher l’accomplissement de l’objectif plutôt que l’application stricte des processus édictés, ils font peur par leur remise en question de ce qui est le plus important dans nos organisations : la règle. N’étant pas en quête de mimétisme pour plaire à la norme, leur motivation est guidée par une vision progressiste pour rendre plus efficient leur écosystème, prêts à interpréter différemment voire, quand nécessaire, tordre la règle. « Je préfère demander pardon que demander l’autorisation » diraient certains.
Dans une époque emprunte d’incertitude, ces impertinents constructifs sont pourtant de précieux atouts pour nos organisations en mal d’idées, d’agilité et de sens. Elles auraient tout intérêt à recruter, promouvoir et prendre en exemple ces atypiques dotés d’une intelligence situationnelle supérieure à la moyenne. Malgré quelques réflexions et un effet de mode autour du Talent Management, les visions conservatrices ont encore de beaux jours devant elles.
Il est désormais temps que les codes de la performance évoluent pour assimiler davantage ces compétences qui découlent de nos facultés à apprendre, réfléchir et interagir. Ces compétences du 21e siècle, qui s’articulent autour des 4C – créativité – esprit critique (« critical thinking » en anglais) – communication – coopération, sont indispensables à développer pour nos sociétés modernes.
Dans De l’esprit des lois, Montesquieu faisait déjà ce diagnostic : « Quand dans un royaume il y a plus d’avantage à faire sa cour qu’à faire son devoir, tout est perdu ». Avant de défier la règle, même avec une visée constructive, n’oubliez pas que vous avez autant, si ce n’est plus, de « chance » de vous faire licencier comme atypique compétent qu’en tant qu’incompétent conforme.
Cofondateur d’un accélérateur de start-up, François Mattens est directeur des affaires publiques et de l’innovation dans le secteur industriel et enseigne aux universités Panthéon-Sorbonne, Paris-Dauphine PSL et à Sciences Po Paris. Il est sociétaire et membre du conseil d’administration de la Société des Explorateurs Français.
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