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« Pour l’égalité femme-homme, l’entreprise peut mieux faire »

égalité
Man and woman are sitting on concrete seesaw, symbolizing gender equality. (3d render)

En 2022, seulement 2 % du financement mondial en capital-risque ont été engrangés par des équipes entièrement féminines, contre 15 % d’équipes mixtes. De plus, 94 % des levées de fonds féminines étaient inférieures à 15 millions d’euros contre 215 millions d’euros pour les hommes. C’est face à ce constat que Tatiana Jama a fondé Sista, un collectif qui œuvre en faveur de plus de mixité dans l’entreprise.

Un article issu du numéro 27 – été 2024, de Forbes France

 

Vous êtes engagée dans une lutte pour plus de diversité dans l’économie numérique depuis maintenant cinq ans… Qu’avez-vous retenu de ces années ?

TATIANA JAMA : Sista s’est donné pour mission de faire émerger une génération de leaders diversifiée en réduisant les inégalités de financement entre les femmes et les hommes entrepreneurs. Il y a cinq ans, nous avons collectivement pris conscience de l’importance d’avoir une politique volontariste pour avoir plus de parité dans la french tech. En 2019, nous avons sorti avec le Boston Consulting Group (BCG) les premiers chiffres de financement des équipes féminines et des équipes paritaires qui sont largement moins financées que les équipes exclusivement masculines. Les chiffres ne sont pas à la hauteur de nos ambitions mais ils progressent. Je suis tellement convaincue de la création de valeur hors normes des équipes diversifiées que j’ai décidé en 2022 de lancer le fond d’investissement Sistafund, qui finance les projets fondés par des équipes féminines ou paritaires. Nous avons un objectif de 100 millions d’euros levés et le soutien d’entrepreneurs exceptionnels et de corporate comme la BNP Paribas, la Française des jeux et L’Oréal qui nous font déjà confiance. Nous allons réaliser un second closing avec des institutionnels dans peu de temps.

 

Entre-temps, vous avez également publié l’ouvrage L’entrepreneuriat, un nouveau féminisme aux éditions de l’Observatoire…

T.J. : Oui, un féminisme par l’action. Une femme qui crée sa société, c’est une dirigeante de plus qui s’affranchit du plafond de verre et démarre sur le plancher qu’elle a elle-même construit. Elle parle d’égal à égal avec les autres dirigeants, hommes ou femmes. Le potentiel de l’entrepreneuriat comme accélérateur d’égalité femme-homme est exceptionnel mais il est sous-exploité et j’avais envie de porter ce message dans ce livre. Je défends l’idée d’un capitalisme plus responsable et plus inclusif. Je suis une femme entrepreneure, passionnée et engagée, qui considère le financement des femmes comme une opportunité économique et une façon d’accélérer l’égalité.

 

Quand on voit le nombre de femmes accédant au top level management dans les grands groupes, on peut se demander si les efforts en matière de parité sont suffisants…

T.J. : En effet, le CAC 40 et le SBF 120 ne sont pas suffisamment paritaires et il faut bien sûr rester vigilant mais la situation dans le monde de l’entrepreneuriat et de son financement est encore plus inacceptable tellement les chiffres sont bas. En France, 85 % des financements sont captés par des équipes exclusivement masculines, 13 % par des équipes paritaires et 2 % par des femmes.

 

Comment se fait-il que les données européennes sur l’entrepreneuriat féminin soient aussi peu fournies ?

T.J. : C’est terriblement dommage car les données permettent de briser des stéréotypes. Par exemple, le gène de l’entrepreneuriat n’existe pas. La construction sociologique du genre et des discriminations a été démontrée, d’abord philosophiquement (cf. Bourdieu ou Beauvoir, pour ne citer que les plus connus), et a été ensuite mesurée plus récemment, notamment aux États- Unis et dans les pays nordiques où les sciences comportementales sont plus développées que chez nous ; Harvard, Stanford, Wharton, le MIT et bien d’autres ont d’ailleurs des centres de recherche dédiés qui travaillent beaucoup sur le genre. De notre côté, notre baromètre annuel en partenariat avec BCG permet d’avoir des données européennes plus précises sur les inégalités de financement. 

 

Il faudrait donc imposer des quotas dans la french tech, comme le propose le gouvernement avec son récent pacte Parité, qui vise un seuil minimal de 20 % de femmes siégeant au board des start-up d’ici 2025, puis 40 % d’ici 2028 ?

T.J. : La loi Copé-Zimmerman impose en France depuis 2011 des quotas de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance. Tous les rapports sur les conséquences de cette loi sont formels : les quotas accélèrent la parité. Personne n’a envie d’être un quota, mais malheureusement, c’est nécessaire pour passer d’une exception à la règle.

Il faut une politique volontariste qui impose des règles à la fois aux start-up mais aussi à l’écosystème qui finance ces start-up.

 

Christine Lagarde a dit, dans Forbes en 2021, à ceux qui expliquent avoir du mal à trouver des talents féminins : « Donnez-moi leur contact et je leur enverrai une longue liste. »

T.J. : Elle a aussi eu cette phrase formidable : « Quand on ne légifère pas, on trouve des excuses, quand on légifère, on trouve des femmes. » Je suis parfaitement alignée avec ce discours. La femme entrepreneure existe mais elle est perçue comme une exception par le monde de l’entreprise, mais aussi le monde politique et les médias. Ce que j’essaie de faire en partageant mon expérience, mais aussi dans mon activité quotidienne avec Sistafund, c’est de mettre en avant ces femmes entrepreneures et de les rapprocher de fonds d’investissement. Les succès féminins se multiplient : je pense à Hélène Huby, par exemple, une entrepreneure brillante de la space tech. Sa start-up de logistique spatiale, The Exploration Company, a levé 40 millions d’euros l’an dernier (tour auquel Sistafund a participé) et a signé un contrat majeur avec Axiom de plus de 200 millions. 


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