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« Pour Comprendre La Génération Z, Il Faut Repartir De La Base : La Famille »

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Comment intégrer la « génération Z » en entreprise ? Pour répondre à cette problématique, peut-être faudrait-il comprendre les « Z », ces jeunes ultra connectés nés à partir de 1995. Professeure à l’IESEG School of Management, Elodie Gentina analyse les spécificités de la génération Z. Elle a co-écrit avec Marie-Eve Delécluse l’ouvrage « Génération Z. Des Z consommateurs aux Z collaborateurs » (Dunod) et livre pour Forbes France quelques clés de compréhension de cette génération. 

 

Quelle serait votre définition de la génération Z ?

La génération Z regroupe les individus nés après 1995, issus pour la grande majorité d’entre eux de parents de la génération X. Au-delà de la perspective sociodémographique, et donc de l’âge, la génération se définit selon une perspective ethnologique (les rapports de filiation, la relation parents enfants) et la perspective sociologique (le fait que les jeunes de la même tranche d’âge aient traversé des expériences et des événements historiques communs, ayant une vision du monde semblable et un mode de pensée commun).

Pour la génération Z, concernant la perspective ethnologique, les nouvelles relations familiales, marquées par des relations plus égalitaires entre parents et enfants, des familles déstructurées ou recomposées, participent à la construction de la génération Z. L’avènement des nouvelles technologies contribue aujourd’hui à donner davantage de pouvoir aux jeunes au sein de leur famille. Ils montrent par exemple à leurs aînés comment se servir des nouvelles technologies.

En France, nous rencontrons aujourd’hui une crise de l’autorité : celui qui a l’autorité n’est plus le sachant, mais celui qui a expérimenté. Il y a un renversement de l’autorité, avec une remise en question du prof, du parent… Comment les jeunes vont-il respecter l’autorité en entreprise alors qu’ils ne la respectent pas à la maison ?

Ce constat ne peut être fait partout. En Asie, le respect de l’ancien est encore très marqué. Au Japon par exemple, il est impensable d’échanger des biens personnels entre parents et enfants, chacun reste à sa place. Aux Etats-Unis, c’est encore différent. C’est encore plus individualiste. Les jeunes sont beaucoup plus autonomes sur le plan affectif, financier et comportemental car ils ont très tôt un petit boulot, le permis…

Concernant la perspective sociologique, les Z, mais aussi les Y, connaissent une crise sociale, politique et identitaire qui met notamment l’accent sur la violence collective avec la montée en puissance des partis extrémistes et des actes terroristes.

Tout peut contribuer à penser que les Z sont des consommateurs et des êtres uniformes : ils ont tous leur iPhone, leur iPad, ils s’habillent tous avec les mêmes marques, ils se rendent tous dans les Starbucks ou McDo, quel que soit le pays auquel ils appartiennent. Pourtant, il est nécessaire de dépasser ces clichés afin de se rendre compte que des différences de comportements des jeunes émergent selon les classes sociales, les lieux d’habitation et les manières de vivre, en ville ou à la campagne, leur culture, leur pays d’appartenance… 

Pour comprendre d’où viennent ces différences de comportements, à la fois dans la société et dans l’entreprise, il faut repartir de la base, la famille, premier agent de socialisation où les méthodes de socialisation et les modes d’éducation diffèrent.

Nous avons à peine le temps d’analyser et conceptualiser toute une génération que de nouvelles pratiques de consommation apparaissent qui nous donnent l’impression que l’objet a changé.

Comment expliquez-vous l’intérêt, voire l’engouement, et les inquiétudes autour de cette génération ?

Le nombre d’articles de presse sur cette génération Z témoigne la peur qu’elle inspire à la fois aux parents, aux professeurs et aussi aux entreprises qui voient l’arrivée de la génération Z d’un mauvais œil. On s’inquiète du choc des cultures, des problèmes de management futurs… Le problème est qu’aujourd’hui, puisque leur arrivée sur le marché du travail est imminente, chacun essaie tant bien que mal d’étiqueter les Z en apportant des idées préconçues et généralement faussées. On dresse d’ailleurs un portrait plutôt sombre de la génération Z : zappeurs,  rebelles, déconcentrés, impatients, hyper-connectés, une génération qui aura du mal à trouver sa place demain dans la société. La faute d’abord aux parents qui ont inculqué à leurs enfants qu’ils étaient « spéciaux », à leur répéter qu’ils les aiment à longueur de journée, à défaut de leur apprendre la valeur du travail, le dépassement de soi… 

Si cette génération Z est encore sur les bancs du collège, du lycée, et de la fac, elle arrive en entreprise.

Pour les comprendre, j’ai mené des entretiens avec des 15-20 ans, des phases récurrentes d’observation et analysé plus de 10 000 questionnaires rendus par les 15-23 ans… La dernière étude menée en 2017 auprès de jeunes âgés de 15 à 22 ans a pour objectif de comprendre le rapport des jeunes à l’entreprise. Des jeunes qui ont pour vocation de devenir cadres. Les entreprises ont également fait des retours sur les plus jeunes des Y pour « prédire » ce que vont être les Z en entreprise.

Il apparaît que les Z ont des aspirations contradictoires. Comme les Y, ils sont partagés entre la quête de liberté et la quête sociale, le fait d’être rebelle et la quête identitaire, le désinvestissement et l’engagement… Les Z se définissent aussi et surtout par des couples nouveaux spécifiques à cette nouvelle génération, qui évoluent en permanence : connaisseur vs compétent, zappeur vs fidèle, virtuel vs authentique… Les Z sont au cœur d’un nouveau rapport à la compétence et au savoir, d’un nouveau rapport à la fidélité, non plus absolue mais choisie, et d’un nouveau rapport au lien social, combinant le virtuel et le physique.

Qu’attendent les Z du monde de l’entreprise ?

Leur premier critère pour intégrer une entreprise est la bonne ambiance. Ils ont entre 15 et 22 ans, donc cela est susceptible d’évoluer avec le temps, mais cela reste un élément essentiel pour eux ; le salaire n’est un critère que pour 11,7% d’entre eux, cela augmentera peut être un peu, mais le salaire ne suffit plus.

Nous sommes entrés dans une société post-matérialiste : Le lien importe plus que le bien. Ils ont besoin de partager pour montrer qu’ils ont un statut. Ils sont beaucoup plus dans le collaboratif que les Y.

Selon une étude Kantar, 57% se montrent confiant dans leur avenir professionnel. Ils prendront en main leur carrière, ils savent qu’ils devront se débrouiller dans la vie professionnelle et personnelle.

Les Z attendent de l’entreprise d’apprendre en continu, l’entreprise est pour eux une école, elle a une fonction apprenante. 

Les Z aiment mener une vie pleine de défis, de nouveautés et de changements, et cela sera de même dans l’entreprise. L’ennui les pèse, et s’ils sont face à la routine, ils vont claquer la porte. Capter leur attention pendant trois heures consécutives est quasiment impossible. Ils ont besoin de concret.

Après l’esprit d’équipe, vient comme critère la volonté d’évoluer rapidement (28,4 %, résultat de notre étude menée auprès de 2300 « Z »), comme critère de fidélisation.

Les Z ont un rapport à la connaissance qui est différent par rapport aux autres, connaissance basée sur l’expérimentation, essai, erreur. Ils ont d’ailleurs un rapport décomplexé à l’erreur, pour eux il faut essayer, se tromper pour réussir, et le manager leader est pour eux celui qui fait et non celui qui sait, on est loin du sachant. Ils ont besoin de feedback, d’être accompagnés. Ils veulent évoluer. Ils seront entrepreneurs de leur parcours, de leur mission. D’ailleurs, on ne pourra plus parler de métier, mais de mission, de projet.

Les Z ont un rapport à l’horizon différent : pour eux, le bonheur n’est plus le point d’arrivée. S’ils veulent être heureux, c’est maintenant ! Ils sont dans cette quête de sens.

Les entreprises doivent-elles s’adapter aux Z et comment ?

Avant, l’entreprise attirait et les jeunes candidats allaient spontanément vers l’entreprise. L’entreprise était le centre d’emploi. Aujourd’hui, c’est totalement différent, c’est le candidat qui propose ses talents, ses compétences à l’entreprise. Le jeune candidat devient le centre d’emploi !

L’entreprise doit donc démontrer dans quelle mesure le jeune candidat à tout intérêt à la rejoindre.

L’entreprise n’a plus le choix de comprendre les caractéristiques de la Génération Z pour s’adapter à ses attentes. Si l’entreprise ne répond pas aux besoins des Z, elle ne saura pas les attirer ni les fidéliser.

Les entreprises doivent prendre un nouveau visage et adapter leurs modes de management. Les valeurs de partage, d’échange, de transparence et de coopération infiltrent l’entreprise, qui se doit d’y répondre en transformant sa culture d’entreprise.

Certains anciens ont du mal à accepter d’apprendre des jeunes, alors qu’ils sont rapides, même s’ils ont du mal à prendre du recul.

De nombreuses pistes sont à explorer, comme adapter le mode de recrutement, passer d’une fidélité à l’entreprise à une fidélité sociale, favoriser le reverse mentoring, passer d’un rapport au travail utilitaire à un rapport affectif en intégrant davantage le bien être ou le télétravail et des horaires plus flexibles, encourager l’intrapreneuriat…

La génération Z, portée par la quatrième révolution industrielle, impose une remise en cause du management de l’entreprise et de ses collaborateurs. La génération Y avait apporté les prémices de cette nécessité de changement, la génération Z, quant à elle, l’exige et encourage les entreprises à repenser différemment la façon dont on approche le salarié.

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