La transformation actuelle de notre société s’apparente à une redéfinition radicale des standards de productivité, autrement dit une nouvelle approche de la performance. Mais parle-t-on de performance ou de résultat ? Ces deux termes sont en fait deux notions aux philosophies très éloignées, et empreintes de représentations sociales très fortes. Les termes d’efficacité et d’efficience ou ceux d’erreur de parcours et d’erreur fatale sont également importants. Tout un programme, pour aborder la ‘transformation digitale’ et ses implications sous un regard moins spectateur.
Il ne faut jamais ergoter sur le choix des mots
Mes activités de recherche en sciences cognitives m’ont récemment mené à creuser ce qui différencie la notion de résultats de celle de performance. Une dérive dans l’univers palpitant de la sociologie, pour comprendre que derrière ces deux mots, se situent deux compréhensions et philosophies à part entières. Dans cette période du grand chamboule-tout, où la conquête de points de productivité est au centre d’investissements colossaux de toutes parts, se poser la question du référentiel de mesure ne semble pas si anodin après tout, surtout si l’humain est la variable de correction entre une vision et l’autre. En effet, plus que jamais, la transformation des organisations nous pousse à choisir un modèle de société humaniste favorisant un juste équilibre, ou un système ultra-mécaniste basé sur toujours plus de tout.
Résultat et performance
Posons le sujet sans plus attendre : ce n’est pas parce que vous avez de bons résultats que vous êtes performant et vous pouvez être performant sans avoir de bons résultats. Il est important de comprendre que la notion de résultats est objective et mesurable. Relativement à un objectif ou point de comparaison connu, le résultat est inférieur, égal ou supérieur. Mais il n’y a pas d’analyse malheureuse possible dans la lecture de ce résultat : c’est mathématiquement inférieur, égal ou supérieur à l’objectif. Ni compliqué, ni discutable. Lorsque vous étiez à l’école, un 15 sur 20 pouvait être une bonne note ou une note moyenne selon les notes moyenne et médiane de la classe. Content ou pas, vous étiez comparés sur une base connue et définie.
Mais lorsqu’il s’agit d’évoquer la notion de performance, alors c’est une toute autre histoire qui se joue. En effet, la performance est une notion qui relève de l’appréciation d’un résultat par chaque individu. Cette appréciation va dépendre de nombreux critères qui vont constituer un filtre complexe d’interprétation, plus ou moins discutable selon les personnes et les contextes. Pour reprendre l’exemple de la note scolaire, un 15 sur 20 lorsque la moyenne de la classe est à 16 sur 20 est un résultat inférieur à la moyenne, simplement et objectivement. Imaginons maintenant que vous ayez obtenu cette note malgré un contexte difficile ayant justifié de nombreuses absences (maladie, raison familiale, ou autre). Il sera alors reconnu par certains que malgré l’infériorité à la moyenne du résultat, il s’agit d’une performance de votre part étant donné votre situation. Ou certains autres de dire que malgré votre situation, votre niveau d’origine aurait du permettre une meilleure note, et qu’il s’agit donc d’une performance moyenne.
Bref, vous aurez saisi, la notion de performance peut vite vous embarquer dans les discussions du café du comptoir, tant deux personnes peuvent avoir une compréhension différente du contexte et des enjeux. Il est intéressant de constater que les entreprises ayant une culture forte et bien diffusée permettent d’harmoniser significativement la perception de la performance. Une entreprise tournée sur une lecture des résultats à court terme aura plutôt tendance à négliger les facteurs contextuels, autrement dit, elle ne fera pas dans la finesse et poussera ses managers à ne regarder que les chiffres. Cela n’empêchera en rien un manager de considérer qu’un mauvais résultat peut relever d’une bonne performance, mais les décisions qu’il prendra seront fortement conditionnées par la pression imposée par les processus et la culture. L’obsession du résultat pousse à se concentrer sur quelques indicateurs, et à ignorer des signaux faibles annonciateurs de changements nécessaires. On parle par exemple d’entreprises telles que Kodak, ou encore Nokia.
Et c’est ainsi que l’on en vient progressivement à comprendre qu’entre résultat et performance, la différence réside dans le droit à l’erreur. Thomas Edison se vantait d’avoir trouvé 9 999 moyens de ne pas faire une ampoule. L’invention de l’ampoule est un résultat remarquable, qui n’aurait pas été possible sans les nombreux essais précédents, ceux mêmes qui ne donnaient pas de résultat. Alors que le résultat est une lecture froide, la notion de performance s’intéresse à ce qui a favorisé ou empêché l’atteinte de ce résultat, tout en considérant le résultat comme un simple point de repère, au lieu d’une fin en soi. L’approche par le résultat pousse à ne s’intéresser qu’à l’indicateur final, quand l’approche par la performance pousse à s’intéresser aux paramètres et au chemin parcouru.
Efficacité et efficience, au delà de la performance
Résultat et performance sont donc intimement liés tout en étant très éloignés sur le plan philosophique. Et pour aller plus loin, il est intéressant de les rapprocher de deux notions elles aussi jumelles : efficacité et efficience. L’efficience est un terme relativement peu utilisé en France, et possède même un faux ami lorsque traduit en anglais. Efficiency signifie efficacité, et non pas efficience, qui se traduit plutôt par le terme effectiveness. Pourquoi la nuance entre ces deux mots est-elle si importante dans notre compréhension actuelle ? L’efficacité peut se définir comme étant avant tout l’atteinte d’un objectif, un peu comme un résultat.
L’efficience est plus subtile, puisqu’elle se définit comme la quantité de ressources consommées pour atteindre un objectif donné, indépendamment du fait qu’il s’agissait du résultat à atteindre ou non. Par exemple, si vous courez un marathon, et que vous le terminez, alors vous êtes efficace, peu importe le temps que vous avez mis pour courir la distance. Tant que vous respectez le cadre défini. Si vous avez mis 3 heures et votre collègue 4 heures, alors a priori vous êtes plus efficient, car avez couru la distance en moins de temps. A condition que l’efficience pour ce cas précis soit mesurée par rapport à la durée ! Car si on considère la quantité d’énergie consommée, il y a fort à parier que votre collègue, en allant moins vite, pourra en avoir consommé moins, et sera donc perçu comme plus efficient d’un point de vue énergétique.
L’efficience dépend du repère que l’on considère, elle est relative, alors que l’efficacité revêt un caractère absolu. C’est notamment ce qui permet au caractère d’efficience d’être mieux adapté pour comparer des situations où le contexte diffère. Courir un marathon en 3h sur un terrain plat n’équivaut pas à courir un marathon en 3h sur un terrain à fort dénivelé positif.
La transition numérique
Idéalement, vous souhaitez que votre organisation soit à la fois efficace et efficiente, et qu’elle délivre autant des résultats que des performances. Idéalement. Les variables sont trop nombreuses à maitriser, le poids du passé lourd à digérer, et il faut faire des choix pour avancer. Un surplus mesurable de compétitivité est octroyé à une organisation engagée dans une transition numérique efficace et efficiente, que ce soit à moyen terme ou long terme. Cette transition est bien entendu à effectuer tant sur l’offre que sur les ressources de l’organisation.
En d’autres termes, il s’agit de repenser l’objet de l’organisation, à travers sa proposition de valeur, son modèle économique et l’analyse de sa valeur (ou structure des coûts de production), mais également le fonctionnement interne, à travers les équipements et outils, les processus, la culture, les modes de gouvernance, et la qualité et quantité des compétences utilisées. Vaste programme qui pourrait remplir une vie de théories peuplées d’exemples et d’autant de contre-exemples…
Vaut-il mieux être performant ou avoir de bons résultats ? Vaut-il mieux être efficace ou efficient ? Les réponses à ces questions peuvent se formuler à travers les conséquences de l’un ou l’autre de ces choix. L’Histoire est remplie d’entreprises qui ont suivi les règles et obtenu de bons résultats, jusqu’au jour où plus rien n’a fonctionné. Tout comme elle est remplie d’entreprises qui ont accompli des prouesses en tous genres, mais ont disparu faute de résultats. Une clé fondamentale est de bien faire la distinction entre deux autres termes : l’erreur et l’erreur. En français, la différence n’est pas évidente. Pourtant, en anglais, tout s’éclaire : mistake et error.
Une ‘mistake’ est une erreur de parcours, qui n’empêche pas l’atteinte d’un objectif donné. En d’autres termes, une erreur de ce type diminue l’efficience et la performance, mais n’influe pas sur l’efficacité et le résultat. Une ‘error’ est une erreur fatale, qui empêche l’atteinte de l’objectif. Ainsi, le fait de respecter les règles afin de ne pas commettre de ‘mistake’ peut causer une ‘error’. Un cas d’école récent est celui de Nokia, dont la bonne gestion par ses dirigeants a été reconnue publiquement, sans que cela ne permette de sauver l’entreprise. Ils n’ont commis aucune ‘mistake’, mais ont commis une ‘error’ en n’adaptant pas leur stratégie et leurs opérations.
Nous ne vivons plus dans une société mesurable sur son efficacité et ses résultats, pour peu que cela ait été possible un jour. Les règles du succès changent et se réinventent régulièrement, et ne pas chercher à s’adapter en permanence revient à commettre une erreur fatale. Les maîtres mots des vainqueurs ne sont plus efficacité et résultat, mais efficience et performance. Ce qui implique nécessairement l’agilité, le droit à l’erreur, la sérendipité, la coopétition. Tant que nous n’aurons pas trouvé un point d’équilibre face à l’injection du numérique dans chacun des aspects de nos modes de vie, vous pouvez remiser à la cave l’inertie, la réussite linéaire, la procédure et la compétition !
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