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Pas de soft skills sans hard skills

PoterieTour de main technique

Une contribution de  Barbara Carrière et Nicolas Bartel d’Eurogroup Consulting  

 

Le simple fait d’être bienveillant, créatif, autonome, agile, empathique et communicant suffit-il à créer de la valeur dans une organisation ? Cette question pose le sujet de l’équilibre en les savoirs techniques et les savoirs êtres comportementaux et du rapport entre les Soft Skills et les Hard Skills. L’importance donnée actuellement aux Soft Skills se ferait-il au détriment des Hard Skills ? Notre propos ne se veut pas antagoniste entre ces deux notions mais complémentaire dans un équilibre à trouver.

L’importance grandissante des Soft Skills

Les ouvrages en développement personnel ont pris une place importante dans les rayons management des librairies. En 1972, Whitmore de l’armée Nord-américaine utilise Soft Skill pour différencier le savoir sur la machine de tous les autres savoirs en mentionnant que le seul savoir technique n’est pas suffisant pour l’obtention d’un résultat. Le dictionnaire d’Oxford définit les Soft Skills de la manière suivante : « attributs personnels qui permettent à quelqu’un d’interagir efficacement et harmonieusement avec d’autres personnes. » Le nombre et les intitulés évoluent en fonction des auteurs et des prismes d’analyse proposés. Entre 5 et 30 environ[1], les Soft Skills se répartissent en plusieurs catégories :

– comportementales comme l’autonomie, l’organisation, l’audace, la gestion du stress, etc.
– relationnelles comme la communication, le leadership, la tolérance, l’intelligence émotionnelle, etc.
– cognitives comme la créativité, la curiosité, la résilience, la persévérance, etc.

De nombreux programmes de développement des Soft Skills sont proposés dans le monde professionnel pour les managers afin de développer leur capacité à embarquer leurs collaborateurs en s’interrogeant sur les meilleures postures à adopter en tenant compte de son style. Des outils comme le MBTI ou la matrice DISC  permettent aux personnes de se définir un style et ainsi d’opérer les évolutions jugées souhaitables.

Les Soft Skills relèvent du comportement et sont, par nature, psycho-sociologiques et cognitives[2]. Leur évaluation, de nature qualitative, est difficile. Pour cela les professionnels utilisent des mises en situations réelles, des études de cas qui simulent la réalité et des analyses des situations passées[3]. Les tests de personnalité sont bien souvent auto-déclaratifs et peuvent être faussés par un biais de désirabilité (mentionner ce que l’on aimerait être et non ce que l’on est). Le comportement d’une personne s’explique par la personnalité mais aussi par le contexte, il est qualifié de contingent. Les travaux de Heckman et Kautz en 2012[4] avaient démontré auprès de jeunes enfants la possibilité de faire évoluer les traits de caractères et le comportement en tenant compte du contexte.

Les travaux en psycho-sociologie et en sciences cognitives, l’engouement pour la dimension comportementale et le positionnement de nombreux acteurs sur ce créneau tels que les coachs ont conduit à un fort développement des actions de diagnostic et de développement des Soft Skills dans les organisations.

 

Le plafond de verre des Soft Skills

Nous avons tous fait l’expérience de vouloir reproduire un geste technique à partir d’une vidéo sous la forme d’un tuto, que ce soit en matière de cuisine ou de bricolage. C’est à cette occasion que nous touchons du doigt la notion d’expertise techniques. Si les Soft Skills sont importantes pour interagir, elles ne remplacent pas les compétences techniques. Certes de nombreux métiers dans le tertiaire sont en coordination d’activité mais la connaissance du secteur, des clients, des produits et des modes de fabrication ont de l’importance. Notre propos n’est pas de supprimer les approches des Soft Skills mais de les positionner à leur juste place par rapport au savoir technique[5]. Le fait d’envisager le comportemental en majeur en ferait oublier les prérequis techniques et l’importance de ceux-ci. Le succès des Soft Skills s’explique par leur simplicité d’appréhension.

 

Répondre aux enjeux actuels de sauvegarde et de renouvellement des compétences techniques

Les évolutions démographiques dans le monde occidental contraignent les entreprises à devoir mémoriser et transférer leur savoir technique au risque de le perdre. Cet enjeu est clé pour de nombreuses organisations et le fait de tout miser sur les Soft Skills ne sera pas suffisant pour préserver les avantages concurrentiels. Les évolutions technologiques font évoluer les métiers notamment avec l’IAG. Mais cela nécessite une très bonne connaissance technique des métiers pour les envisager autrement. Il ne s’agit pas de supprimer les démarches de développement des softs skills mais de repositionner les compétences techniques à leur juste place tant d’un point de vue individuel que collectif. D’un point de vue individuel, il s’agit de définir son métier et son expertise au travers de compétences maîtrisées : Que savez-vous produire et avec quel niveau d’expertise ? D’un point de vue collectif quels sont les métiers critiques et avons-nous les compétences suffisantes ? On parle de taux de couverture des compétences stratégiques. Les démarches RH, qui ont parfois privilégié les Soft Skills, ne devraient-elles pas intégrer davantage les métiers techniques ? Certaines entreprises ont crée leur université métier interne pour cela et y intègrent des éléments sur les comportements en complément. Les travaux sur le Knowledge Management et ses approches renouvelées avec l’IAG s’inscrivent dans cette dynamique des Hard Skills tout comme la création de filière d’expertises. L’équilibre entre les compétences techniques et comportementales vise à réancrer le manager dans son métier en proposant des modèles managériaux « technico-comportementaux ».

Dans son ouvrage « Des managers, des vrais ! Pas des MBA : Un regard critique sur le management et son enseignement » Mintzberg mentionnait que le management devait s’apprendre au contact du terrain dans une boucle expérientielle et non de manière artificielle. Comme le titrait un article Forbes, le management ne s’apprend pas mais se réapprend. Ce travail de façonnage prend la forme dans certaines organisations de systèmes de compagnonnage et d’échanges entre pairs pour que l’expression de la technique se fasse dans le respect et pour le développement du collectif. Comme le mentionne le courant épistémologique de l’ethnométhodologie, l’action est individuelle et le résultat collectif.

 


À lire égalementPréjudice automatique : une brèche dans la prévisibilité des condamnations prud’homales ?

[1] Mauleon F., Bouret J., Hoarau J., (2014), Le réflexe soft skills, les compétences des leaders de demain, Ed. Dunod, 2014

[2] Hoarau J (dir), (2024), Soft skills : Les nouvelles clés du succès : Réinventez les compétences pour le futur Broché, Iggybook.

[3] https://www.hbrfrance.fr/carriere/les-soft-skills-et-leur-evaluation-en-question-60386

[4] Heckman JJ., Kautz T., (2012), « Hard evidence on soft skills », Labour Economics, vol. XIX, n°4, p.451-464.

[5] Faure F., (2023), Le savoir-être dans l’insertion professionnelle des publics éloignés de l’emploi : entre employabilté et employeurabilité, thèse de doctorat de l’Université de la Réunion.

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