Alors que le nouveau management prône l’intrapreneuriat, le télétravail, le mode collaboratif et l’agilité, les managers sont confrontés à la réalité d’une entreprise qui n’a guère changé. Réunions, powerpoint, normes et résultats sont encore imposés. « Bienvenue dans le nouveau monde » fait de tensions sans précédent, lancent les auteurs de Managers : libérez, délivrez… surveillez ? (Ed. Cherche Midi). Rencontre avec Frédéric Petitbon, associé chez PwC, sociologue de formation, et l’un des auteurs de l’ouvrage.
« Mobile au sein de ses équipes, assumant ses insuffisances pour mieux progresser, laissant une pleine autonomie à des collaborateurs responsables… » Le manager d’aujourd’hui est un condensé d’agilité, d’empathie, et de leadership doux. C’est en tous cas la vision idéale du manager de demain que les entreprises aimeraient imposer… sans trop changer. « A côté de cette vision positive, la réalité est aussi celle d’un monde sous pression à chaque instant, avec un manager qui doit répondre aux exigences de résultats et aux process de travail bien éloignés d’une vision idyllique de l’entreprise libérée. » Dès l’introduction, le paradoxe est posé. Dans Managers : Libérez, délivrez… surveillez ? (éd. Cherche Midi), Julie Bastianutti, docteure de l’école Polytechnique, Marguerite Descamps, consultante chez PwC et Frédéric Petitbon, associé chez PwC, tentent d’expliquer – et de désamorcer – les injonctions contradictoires auxquelles les managers sont confrontés.
Les « premier de la classe » fuient les « bullshit jobs », (les boulots à la con) pour se lancer dans l’artisanat, et les jeunes de la génération Z n’ont pas envie de travailler dans une grande entreprise et se sentent sous employés. Autant de signes qui déstabilisent des managers « déboussolés » car jusque-là habitués à une organisation pyramidale, en silos, identique d’une société à l’autre. Et n’allez pas croire que l’herbe est plus verte chez les start-up, comme le rappellent les auteurs qui citent l’ouvrage de Mathilde Ramadier dénonçant le mythe du cool de l’écosystème car il cache bien souvent un management désastreux.
Dans cet ouvrage Managers : libérez, délivrez… surveillez ? ludique, très documenté de lectures et d’études, les auteurs réussissent le pari délicat de parler au manager – et le déculpabiliser. Délicat car le manager a souvent une position de tampon, coincé entre la direction qui veut des résultats, et des salariés parfois désengagés et aux envies diverses. Délicat surtout depuis la disparition du modèle unique de management, de l’apparition des problématiques de « QVT » (qualité de vie au travail), de l’agilité et des modèles collaboratifs. Alors quoi, demandent les auteurs, « le manager exemplaire, un surhomme ? »
Et pour ne pas décourager les plus motivés, l’ouvrage propose « six clés pour travailler en confiance ». Au cœur de tout, la confiance. Et pour la (re)gagner il est nécessaire pour le manager d’apprendre à écouter, à expliquer, mais aussi à savoir faire grandir les collaborateurs et les laisser partir. Autre conseil intéressant proposé par les auteurs : être attentif à l’espace. Ou plutôt, aux espaces, physiques et virtuels dans lesquels se déroulent la vie de l’entreprise. Là, les possibilités sont immenses tant les outils numériques pour communiquer son nombreux et l’innovation dans les espaces de travail peut être réalisée en fonction des besoins, des habitudes et des envies des salariés. Un ouvrage qui s’adresse aux managers, mais aussi aux dirigeants d’entreprise soucieux d’améliorer les conditions de vie de leurs salariés.
Trois questions à Frédéric Petitbon
Quel est ce chamboulement dans le management dont vous parlez dans votre ouvrage ?
Les managers aujourd’hui ne sont pas à l’aise avec le monde radieux qu’on leur décrit : il y a un fossé entre le nouveau management et la réalité de l’entreprise qui n’a pas changé. Autrefois, les choses étaient simples. Il y avait un mode de management unique. Aujourd’hui, les réalités sont beaucoup plus ouvertes : on adapte le management à un contexte et à des équipes très diverses.
Il y a aujourd’hui une double tension dans le management : sur l’espace de travail, et sur la transparence.
Sur l’espace de travail, l’univers des possibles est ouvert. Le salarié peut travailler chez lui, au café, avec d’autres personnes qui sont à l’autre bout du monde, mais toujours dans un bureau dit classique ou dans un open space. C’est merveilleux ! Mais comment se positionne le manager ? Comment travaille-t-il pour manager à distance, pour organiser sa présence ?
Sur la transparence, les entreprises s’engagent dans ce sens, avec la possibilité donnée aux salariés d’obtenir des infos plus directes. Mais là encore, jusqu’où va-t-on dans cette transparence ? Et comment utiliser les outils de la transparence pour contrôler les équipes ? En effet, on sait désormais qui travaille, où et quand, grâce aux outils numériques. Le manager est donc confronté à des injonctions contradictoires : développer la transparence, et continuer à fournir des résultats.
Je constate que le numérique accélère beaucoup ce désir de transparence : on ne supporte plus l’opacité. Il y a un double problème de confiance : les managers n’inspirent plus confiance, et ils n’ont plus confiance en eux.
Vous soulignez plusieurs problématiques : les changements au sein de l’entreprise, le désir de transparence et les injonctions contradictoires. Êtes-vous en train de dire qu’il faut changer totalement de management ?
La tendance aujourd’hui chez les salariés est un besoin de trouver du sens et des repères dans l’entreprise. Pour beaucoup de collaborateurs, la vie est ailleurs, en dehors de l’entreprise. Il y a donc eu une perte de bataille du manager et de l’entreprise. Mais attention, il serait trop facile de tout faire reposer sur les épaules du managers qui ne peut et ne doit être un super héros.
Ces changements demandent de refonder en profondeur le management. Nous vivons en cela une période passionnante car il y a des innovations dans tous les sens ! Selon moi, il y a trois grands chantiers à mettre en œuvre pour transformer le management : le manager et le collaboratif, le manager et l’espace, et le manager et lui-même.
Ce qui est certain, c’est que le management unique ne fonctionne pas. En revanche, il faut être attentif à ne pas imposer une seule méthode, sans distinction entre un service comptable et un service innovation. Il serait même illusoire de vouloir imposer un management libéré à tout le monde.
Il est intéressant de se pencher sur les nouvelles méthodes, comme le design thinking que nous avons utilisé durant la première phase de réflexion de l’ouvrage, car elles décalent le regard et mettent l’utilisateur au cœur de la réflexion.
Si l’on prend le management horizontal, les grandes entreprises sont par exemple en capacité de réduire les niveaux hiérarchiques grâce à la tech. En effet, elles peuvent partager plus facilement et plus simplement des informations. Ce n’est pas inintéressant car réduire les niveaux peut permettre de gagner du temps. Mais pour mettre en place cela, il est indispensable de mettre en place une nouvelle organisation des managers.
Par exemple, l’entretien annuel est régulièrement remis en cause par les entreprises, or, il peut permettre aux managers de repenser leurs pratiques. Cela peut être l’occasion de parler avec le collaborateur de son apprentissage, de son poste d’après, de partager avec lui des émotions. Pour le manager, l’idée est vraiment d’être en empathie et de ne pas juste être là pour cocher des KPI.
L’entreprise doit donc mettre en place l’apprentissage collectif, le co-développement, les échanges avec les pairs…
Pourquoi avoir terminé cet ouvrage d’analyse sur des conseils ?
Ils ont émergé de manière visible : qui a-t-il autour de moi manager et de mon équipe ? L’espace de travail. Or cet espace est profondément modifié et la question de savoir comment on l’aménage est intéressante. Chez PwC, nous avons cassé les bureaux des associés, et l’espace a été adapté à l’usage que l’on veut y faire dans la journée. Les salariés ont été associés à ces changements : désormais, il n’y a plus de bureaux fixes, une appli permet de réserver certains espaces et les salariés ont la possibilité de travailler en moyenne 6 jours par mois en télétravail.
Pour faire cet ouvrage, nous sommes allés à la rencontre des managers. Un espace de travail qui ne fonctionne pas, cela se voit tout de suite. Même si l’on casse les murs, que l’on travaille à distance ou grâce à des outils numériques, il y aura toujours besoin de managers pour créer le collectif.
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