Peu de choses nous abattent plus que la sensation de renoncer. Nous connaissons tous ce sentiment – quand on croyait atteindre notre but, mais que l’on se rend compte que l’on n’a finalement pas ce qu’il faut pour y arriver. Et si ce sentiment d’épuisement n’était en fait que l’œuvre de nos neurones pour conserver leur équilibre chimique ?
C’est la conclusion d’une nouvelle étude effectuée sur des souris qui se concentre sur la façon dont le cerveau rassemble de la motivation dans la poursuite de récompenses, et son inconvénient – quand la récompense se trouve hors d’atteinte.
Les neurosciences comprennent déjà beaucoup ce qui se produit lorsque nous sommes enthousiastes à l’idée de poursuivre une « récompense ». Que ce soit quelque chose de tangible tel que l’argent, la nourriture ou le sexe, ou de plus abstrait tel que l’amour du pouvoir, un schéma similaire se dessine dans le cerveau. La dopamine, un neurotransmetteur, inonde les voies neuronales dans ce qui est souvent appelé le « centre de la récompense » du cerveau. C’est la dynamique biochimique qui nous pousse en avant, et il n’est pas exagérer que de dire que c’est la raison pour laquelle nous nous mettons en quête de quoi que ce soit.
Mais les cerveaux sont des instruments d’équilibre, et il s’avère que les mammifères possèdent un autre système qui exerce une force de retenue sur l’élan de récompense, appelé le système modulatoire de nociception (également crucial dans la façon dont le cerveau module la douleur). Les neurones de ce système émettent des molécules du nom de nociceptine qui suppriment la dopamine. En fait, la nociceptine est une anti-dopamine.
Des chercheurs ont découvert comment fonctionne ce processus en observant des souris en quête de sucre dissimulé dans un petit recoin. Pour obtenir le sucre, elles devaient y faire entrer leur museau et lécher. Les chercheurs ont rendu cette tâche facile au début afin de susciter plus de motivation à l’obtention de la nourriture, mais ils l’ont rendue de plus en plus difficile au fur et à mesure des tentatives. Après l’avoir rendue si difficile que les souris ne pouvaient plus ne serait-ce que toucher le sucre du bout de leur langue malgré leurs tentatives, ces dernières ont finalement abandonné. Au bout d’un certain temps, elles avaient toutes arrêté d’essayer.
Au cours de cette expérience, les chercheurs surveillaient l’activité neuronales des rongeurs et ont découvert que les neurones de nociceptine (surnommés « neurones de la frustration ») étaient les plus actifs au moment où les souris abandonnaient. Curieusement, ces neurones sont situés tout près de l’aire tegmentale ventrale (ATV), le pôle d’activité du centre de la récompense, et cette proximité offre un accès facile pour actionner les freins.
« La grande découverte est que de grands neurotransmetteurs complexes du nom de neuropeptides ont un effet puissant sur le comportement animal en agissant sur l’ATV », explique le co-auteur de l’étude Christian Pedersen, un doctorant en bio-ingénierie à l’École de Médecine de l’Université de Washington.
La raison de cette interaction entre l’élan de récompense et la suppression de celui-ci découle de la tendance du cerveau vers la stabilité et l’équilibre, autrement dit l’homéostasie. Les cerveaux des mammifères possèdent des mécanismes intégrés leur permettant d’empêcher la recherche de la récompense d’aller trop loin. À l’état sauvage, continuer de se livrer à des comportements à risque dans la quête de la récompense, alors que le succès est hors d’atteinte, pourrait résulter en des blessures ou la mort ; il est alors probable que nous ayons hérité de cet équilibrage chimique en tant que mécanisme de survie évolué.
Des troubles tels que la dépression et l’addiction se développent peut-être suite au dysfonctionnement de ces systèmes régulateurs, pour des raisons diverses et variées. Les chercheurs pensent que cette récente étude pourrait faire la lumière sur ce genre de troubles, ainsi que sur d’autres, et permettrait de mieux comprendre dans quelle mesure certaines interventions chimiques pourraient aider à restaurer un équilibre.
« On pourrait imaginer différents scénarios dans lesquels les gens manquent de motivation, comme dans le cas d’une dépression, et bloquer ces neurones et récepteurs pour les aider à se sentir mieux », explique Michael Bruchas, chercheur principal au sein de l’étude et professeur en anesthésiologie, médication de la douleur et pharmacologie à l’École de Médecine de l’Université de Washington. « C’est ce qui est formidable dans la découverte de ces cellules. Les maladies neuropsychiatriques qui affectent la motivation pourraient être traitées. »
En attendant, l’avantage de cette découverte pourrait avoir un caractère plus immédiat – savoir simplement que « renoncer » après un long effort n’est pas un défaut de caractère ou un échec moral, que c’est juste une autre façon qu’a le cerveau de garder l’équilibre des choses.
L’étude a été publiée dans le journal Cell.
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