La littérature dédiée au management des entreprises est florissante et bourrée de recettes : comment réussir, comment être le meilleur, comment être charismatique, etc. Et également d’injonctions contradictoires : soyez ambitieux mais modeste, allez vite mais prenez le temps de réfléchir, partagez vos idées mais ne trahissez aucun secret.
Bref, la schizophrénie paranoïde guette les managers de talent, sans compter ceux qui, épargnés par ce double syndrome, s’en iront se réfugier dans leur zone de confort pour n’en jamais plus sortir. Nous avons recensé quelques-unes de ces recettes et injonctions parmi les plus courantes, que nous avons regroupées selon trois catégories de « travers ».
Les travers stratégiques
Premier travers : affirmer que « la data est le pilier de la réflexion stratégique ». Pour un scénariste de cinéma, cela donnerait quelque chose comme « les mots nous permettent d’écrire une histoire ». C’est exact, mais notoirement insuffisant, car dans les deux cas manquent la pensée, la vision. Une stratégie c’est d’abord une projection dans le temps (et dans l’espace) d’une volonté d’apporter à une cible définie une proposition de valeur attractive, réaliste et pérenne. Toutes les grandes réussites stratégiques se basent sur ce principe, du Big Mac de McDonald’s, en passant par la Rolex Oyster, jusqu’à la Fiat 500.
Deuxième travers : « une stratégie gagnante passe forcément par l’innovation ». Oui, à condition de ne pas confondre évolution et progrès : l’évolution est un changement par rapport à un état donné, le progrès, lui, est un changement mais toujours positif. Ainsi, le GPS est un progrès incontestable par rapport aux cartes et à la boussole, mais le Samsung Galaxy Fold – smartphone pliable – n’est qu’une évolution d’un smartphone traditionnel, du fait, notamment des nombreuses contraintes d’utilisation et de sa fragilité.
Troisième travers : « il faut per-son-na-li-ser ». Disons que si la personnalisation apporte un vrai plus en valeur d’usage, et qu’elle est réalisée dans des conditions opérationnelles satisfaisantes, cela est effectivement intéressant (ainsi, l’application Air France, utile et fort bien construite). Mais si cette personnalisation est laborieuse et non efficiente – c’est le cas d’un certain nombre d’applications de loueurs de voitures, où, systématiquement, ni le véhicule, ni la configuration des options et ni le tarif ne correspondent à ce que l’on disposera réellement – on n’en voit pas vraiment l’intérêt.
Les travers organisationnels
Premiers travers : le mouvement perpétuel. Partant du principe que les marchés évoluent sans cesse, beaucoup d’organisations inscrivent le changement permanent dans leurs fondamentaux. Et l’on constate alors une valse ininterrompue de nouveaux principes de fonctionnement, auxquels viennent s’ajouter des bouleversements chroniques d’organigrammes, eux-mêmes perturbés par des définitions et des périmètres de postes toujours différents. Rappelons donc un sain principe : lorsque l’on entame une démarche de « change » au sein d’une entreprise, c’est à la fois pour mieux l’adapter à son environnement, mais aussi pour stabiliser son fonctionnement afin d’accroître la sérénité des collaborateurs, apporter de la fluidité dans la relation clients et optimiser la performance globale. Cela suppose donc que la vision organisationnelle et le modèle qui en découle soit pensés de façon à coller au marché, mais aussi à absorber sans douleur les aléas du business, sans avoir à tout reprendre au moindre incident.
Deuxième travers : le management infantilisant. Les transformations incessantes des organisations conduisent le management à penser qu’il est indispensable de réexpliquer en permanence à leurs équipes comment il convient de travailler. Et pour être certain de se bien faire comprendre, l’on usera d’une sémantique récurrente flirtant avec la tautologie : « il faut mettre le client au centre », « notre démarche est fondée sur l’écoute », « ce qui compte, c’est l’humain », etc. Admettons une bonne fois pour toute que cela fait quelques millions d’années que l’espèce humaine sait établir une stratégie et la déployer avec les outils adéquats et que son intelligence et son adaptabilité ne sauraient être remises en question. Il ne s’agit donc pas d’expliquer aux gens comment ils doivent travailler, mais leur donner les moyens de travailler vite et bien. Une entreprise comme Netflix est à cet égard exemplaire : la liberté et la responsabilité sont les clés d’un management efficace.
Troisième travers : la non prise de position. Ce travers est de plus en plus palpable à mesure que le marché se durcit ou que l’entreprise se trouve dans une passe difficile. Le « jeu » pour le manager est ici de se rendre visible – et donc être le plus possible en première ligne – sans jamais prendre de décision. D’être, en quelque sorte, un décideur qui ne décide pas, laissant le soin à sa hiérarchie ou à ses collaborateurs de prendre le risque – pour mieux en récolter les fruits. Posture assez classique, mais extrêmement dommageable pour l’entreprise car conduisant à un climat délétère où règne l’injustice. Une organisation où la non prise de position est la règle révèle deux dysfonctionnements de fond : peur de l’initiative et intolérance à l’échec. Rappelons qu’être une entreprise durablement performante suppose trois préalables indissociables : clarté, confiance et autonomie. Et que dans ces conditions, la non décision sera davantage perçue comme une lâcheté que comme une prouesse politique…
Les travers opérationnels
Premier travers : tout miser sur l’excellence opérationnelle. Si le respect du triptyque coût-qualité-délai est indispensable à l’atteinte d’une performance durable, il ne saurait en être l’unique condition. En effet, une solution peut être du meilleur niveau en la matière et pourtant s’avérer inadéquate, comme l’illustre l’exemple de XL Airways, compagnie aérienne low cost récemment mise en liquidation. Pourtant reconnue pour la qualité de sa gestion et de son management XL Airways a plongé du fait de l’environnement réglementaire et fiscal français, peu avantageux si l’on considère les facilités dont disposent des concurrents comme Ryanair ou Norwegian. La question ici n’est donc pas « comment gérer une compagnie low cost française » mais plutôt « est-il pertinent d’établir une compagnie low cost en France ? ».
Second travers : isoler une problématique de son contexte. Dans le but louable d’apporter une solution rapide à un dysfonctionnement opérationnel, il est assez courant de « l’exfiltrer » de son environnement – en y allouant en général des moyens humains ou matériels disproportionnés. Ainsi, un fournisseur qui tardait à livrer son client voulait investir dans des moyens massifs pour augmenter sa capacité de production, alors qu’il a suffi de co-construire avec ce même client une solution passant par un processus différent de commandes-traitement-acceptation. Résultat : une problématique résolue aisément et une relation client-fournisseur renforcée.
Back to basics !
Les travers du management que nous venons d’aborder mettent en avant un aspect essentiel dans la conduite de l’entreprise : l’obligation systématique d’une vision holistique qui prend en compte l’entreprise et son écosystème – clients, collaborateurs, partenaires, fournisseurs, contexte réglementaire, etc.
C’est alors qu’il devient relativement aisé de combiner vision stratégique et performance opérationnelle, et surtout, de proportionner à leur juste mesure les moyens, processus et outils.
Dans ces conditions, l’expérience démontre que seront naturellement privilégiées les notions de simplicité, de transparence et de performance.
Article rédigé en collaboration avec Isabelle Macquart, directrice associée d’Experience makers, cabinet en stratégie et transformation centré expérience.
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