Je réalise avec mes collègues coachs et formateurs de NextGen des centaines de diagnostics scientifiques par an pour mesurer la qualité de fonctionnement des équipes au travail, en un mot, leur performance opérationnelle. Nous nous méfions plus que tout des méthodes de gourous en management et préférons une méthode rigoureuse, rapide et appuyée sur la data lorsqu’il s’agit de déployer ce genre d’approche sur des centaines ou milliers d’équipes.
Notre organisation nous empêche un fonctionnement collaboratif
Lors des debriefs des résultats, nous entendons souvent des commentaires tels que “nous ne pouvons pas fonctionner en mode collaboratif car notre culture d’entreprise est directive !” ou “sur certains de nos processus de travail, nous recevons des injonctions venant du haut en mode “chute d’enclume”, notre manager n’a pas le choix de son mode de management” ou encore “le fonctionnement de notre équipe dépend majoritairement du fonctionnement de notre hiérarchie”.
Dans le cas où les parts variables sont totalement individuelles et importantes dans le dispositif de rémunération, beaucoup nous disent “chacun doit s’occuper de ses objectifs et comme ils ne sont pas communs, le fonctionnement en équipe n’est pas la priorité, c’est un luxe !” ou “de toute façon si nous voulions fonctionner en mode collaboratif, cela reviendrait à décider par nous même de nos objectifs et ce n’est pas possible”.
Toutes ces affirmations sont fausses, bien entendu.
Il faut dire que les raccourcis sur les gouvernances partagées et autres entreprises libérées ont fait beaucoup de mal. Les affirmations à l’emporte pièce du type “demain, le management et les managers vont disparaître” ou “la hiérarchie doit être combattue et supprimée” ont pu déboucher ça et là sur des mouvements de perdition collective qui ont laissé des traces. Les affirmations de ces prétendus gourous ou chercheurs d’opérette sont non seulement fous, mais aussi dangereux !
J’ai eu l’occasion d’expliquer dans un précédent article pourquoi il valait mieux arrêter de se plaindre de son entreprise et miser sur son équipe.
L’entreprise n’est pas la résultante des préférences de ses salariés
Non, l’entreprise ne doit pas à chacun de pouvoir faire ce qu’il veut ou de voir ses préférences validées systématiquement. Une organisation, qu’elle soit à but lucratif ou non, dispose d’une raison d’être, d’une vision, d’une mission et d’objectifs stratégiques. Ces éléments sortent rarement du néant mais plutôt d’hommes ou femmes sources qui initient l’ADN de ladite organisation. Ce petit groupe de personnes va initier les bases culturelles d’un collectif qui les feront évoluer, les enrichiront et viendront trouver auprès de la source certains arbitrages stratégiques.
La source produit une différenciation, une orientation et beaucoup d’énergie, d’inspiration culturelle pour le collectif.
Il est parfaitement légitime pour la source ou ses représentants (le comité de direction ou comité exécutif) d’établir un cadre culturel (valeurs, comportements explicites, principes), de fonctionnement (les règles) et d’objectifs stratégiques qui s’appliquent à toute l’organisation. Tout ne se co-construit pas, en tout cas à partir d’une certaine échelle.
Dans la même logique, ce “cadre de contrainte” établi n‘empêche nullement des modes de management adaptés aux aspirations des équipes qui constituent l’organisation comme par exemple le mode persuasif, participatif ou collaboratif. Je n’ai d’ailleurs jamais observé dans aucune organisation significative de management monochrome, uniforme, appliqué avec détail de la même manière dans tous les recoins de la hiérarchie. Le standard s’habille de diversité, d’hétérogénéité, fait qu’il est d’humanité.
Des organisations réputées très directives voient ainsi s’épanouir en leur sein des équipes collaboratives.
Le management collaboratif, ni eden, ni chaos
Le management collaboratif s’inscrit dans une tendance mondiale vers plus de sens, de responsabilité, de subsidiarité, en bref “plus d’humain au centre”. Certains choisissent de décrire cette lame de fonds mondiale – que les anglo-saxons qualifient de “groundswell” – sous les traits d’un nouvel humanisme, enfin ! Je préfère une focale plus large intégrant aussi – et probablement surtout pour beaucoup d’organisations, en particulier américaines – la performance de réalisation de la mission et des objectifs collectifs.
S’il suffisait de manager des freelances indépendants sur tous les besoins d’une entreprise, cela se pratiquerait déjà à l’échelle. Passer d’une bande de mercenaires, de nageurs dans leur couloir ou d’un club d’indépendant à la magie, à la mayonnaise du collectif demande de mettre les mains dans la complexité et aussi la beauté du management, de l’homme avec ses émotions, ses besoins et ses peurs.
Le résultat en vaut la chandelle. Comme le démontre mon ami Emile Servan Schreiber depuis des années, la puissance de l’intelligence collective bat à plate couture la somme des capacités cognitives des individus.
En conséquence, oui, il n’a pas fallu longtemps pour que le monde du travail s’aperçoive que le management collaboratif, parce qu’il remet l’humain au centre, fait pleinement vibrer nos capacités humaines, tellement spécifiques, tellement géniales ! 1+1 = 3 !
Cette irrationalité nourrit la rationalité d’un monde des affaires façonné au siècle dernier par un capitalisme prévisible, de production de masse et de hiérarchie de conception et d’exécution.
La mue semble progressive et difficile tant il est dur de déconstruire ce qui vous a amené aux responsabilités, mais la lame de fond que je décris dans mon dernier livre “L’Entreprise Nouvelle Génération” va tout emporter soutenue qu’elle est par les sauts de géant de la technologie.
Car je parle ici d’une réconciliation entre le besoin de libération des énergies et de l’initiative, de la créativité au travail et de la rigueur d’une entreprise qui doit réaliser et rester focalisée sur sa raison d’être.
Le futur du travail sera un progrès
En conséquence, le management collaboratif n’a rien à voir avec le bazar, le flou, la liberté individuelle ou collective sans limite, il s’agit précisément de l’inverse : la clarté, la rigueur, le minimum de règles pour libérer les énergies et les initiatives, l’intuition, la créativité. Comme disent nos amis anglo-saxons “minimum is the maximum”. Nous ne posons des règles que si nous ne pouvons pas faire autrement. Une forme de minimalisme organisationnel simple et efficace.
La liberté sans règles est une folie, une illusion.
La libération du sens et de l’humain au travail appelle une gouvernance précise et la transparence sur un cadre de contrainte qui caractérise tout collectif au travail.
Demain sera fait d’organisations hiérarchiques, dotés de managers, de règles et contraintes, et ce seront de nouvelles formes de hiérarchie d’équipe, de nouveaux modes de management collaboratifs, de nouvelles gouvernances pragmatiques, à haut niveau de subsidiarité et utilisant régulièrement la décision par consentement pour allier rapidité et embarquement du collectif. Elles se nourriront toujours de femmes et d’hommes sources qui créent l’étincelle initiale et alimentent la flamme de l’aventure commune.
À lire également : Recrutement : pourquoi les méthodes d’hier ne suffisent plus (et doivent cesser)
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