Comme le disait Jeff Bezos “Si vous construisez une expérience exceptionnelle, les clients s’en parlent entre eux. Le bouche-à-oreille est très puissant.” Que dire de plus pour défendre la nécessaire et permanente tentative d’amélioration de la relation client afin d’assurer le succès de son entreprise, et ce d’autant plus que le bouche-à-oreille d’aujourd’hui, est – et pour cause : forum, réseaux sociaux… – d’une tout autre puissance que celle d’hier… en matière « d’expérience client exceptionnelle ».
L’Intelligence artificielle (IA) est devenue un « assistant majeur » en mesure d’apporter – à priori – de nouvelles améliorations de la qualité du service et du parcours client, et ce dans de nombreux secteurs, toutefois pour que ces améliorations soient prégnantes elles doivent être mises en œuvre , comme nous le verrons, sous certaines conditions.
Les IA au service de la relation client.
Si les apports de l’IA ne datent pas d’hier, rappelons que les premiers chatbots ou agents conversationnels datent de 1966, rappelons qu’ils ont fait le « succès » peu scrupuleux de nombreux sites adultes et/ou de rencontres, ses améliorations conséquentes, sa popularisation auprès du grand public – qui la fréquentait sans la nommer – est-elle bien plus récentes et fortement liée au phénomène ChatGPT.
L’IA, ne saurait être réduite aux chabots, il serait dès lors plus pertinent de parler des IA, en effet le type d’IA utilisé, notamment dans le cadre de la relation clients, sont multiple, ainsi, plus élaboré que le chatbot « basique » l’assistant virtuel va être, lui, en mesure de répondre à la clientèle de façon plus spécifique et contextualisée, nous pouvons également citer « l’analyse de donnée », « l’analyse prédictive », « l’Automatisation des emails », « l’ Analyse de sentiment » qui, comme le définit Amazon, est un « processus qui consiste à analyser un texte numérique pour déterminer si le ton émotionnel du message est positif, négatif ou neutre », « la reconnaissance vocale », etc. Aujourd’hui, même si les premières formes d’interactions avec les clients restent des réponses, des messages personnalisés, les objets connectés utilisant l’IA sont la réalité grandissante de la granularité d’interaction et de captation avec les clients. Il ne fait guère de doute que les accélérations vont se poursuivre, comme nous l’évoquerons, l’IA se penche désormais sur certaines « faiblesses » persistantes comme l’intelligence émotionnelle et la résolution de problématiques complexes à ce jour non gérables sans intervention humaine.
Vers le tout IA ?
Utilisée de façon pertinente et « combinées » les IA que nous avons évoqués offrent un potentiel considérable et en mesure d’améliorer grandement la satisfaction et la fidélité de la clientèle notamment grâce à la facilitation de l’ensemble du parcours client. Cette montée en puissance de ses usages, la forte demande des entreprises ( en 2023 « Plus de 9 entreprises sur 10 utilisent aujourd’hui l’IA malgré le manque de confiance des consommateurs dans ces technologies. » ) ont d’ailleurs permis à des structures de se positionner fortement sur ce secteur prometteur, c’est le cas par exemple de Chatfuel et Watson d’IBM qui sont deux plateformes d’intelligence artificielle. La promesse de la solution Watson est sans ambages, en tant que plateforme d’intelligence artificielle conversationnelle leader sur le marché, s’appuyant sur de grands modèles de langue (LLM) digne de confiance et sur une interface utilisateur intuitive, elle « garantie » ni plus ni moins qu’ : « une assistance client rapide et chaleureuse » ; il serait bien sûr présomptueux de prétendre citer tous les secteurs qui en tirent déjà avantage, en adaptant la solution watsonx assistant à leurs besoins… parmi ces derniers les secteurs bancaires, la distribution, le commerce en ligne, l’assurance, le tourisme, des télécommunications, le secteur de la santé…
La ‘’voix du client’’ prend une toute autre résonnance passant aux débuts de l’IA à l’analyse de données à l’enregistrement des ruptures de la chorégraphie de services dans le processus d’achat, le parcours client et tous les points de contacts révélateurs d’indices de moments de vérités devenant modélisable, prédictifs autour d’un ensemble de scénarios.
C’est l’avènement de l’IA générative qui vient désormais rationnaliser les stratégies et techniques de vente avec la création de « persona » précis et complets de « buyers» qui sont dédiés à la modélisation de proposition de solution avec pour objectif d’accroître le taux de transformation ou d’engagement du client dans les étapes clés de son parcours, la création de scripts de discussion afin d’ optimiser la conversation ou encore automatiser le suivi des ventes jusqu’ à la prise en charge client par une force de vente elle bien réelle. (source : The economic potential of generative AI: The next productivity frontier, étude McKinsey, juin 2023 )
Des forces et des faiblesses…
En revanche, à ce jour, les IA ne sont pas infaillibles tant s’en faut. Nous devons reconnaitre que les chabots et les assistants virtuels, les « interlocuteurs » les plus « visibles » des IA par la clientèle, sont en mesure de garantir une assistance ininterrompue, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Dans un monde « idéal », ces derniers répondent à la demande croissante d’une clientèle exigeante en fournissant des réponses rapides à des questions « courantes ». Cependant, derrière toutes ces promesses, les IA ont aussi leurs limites. Les situations complexes, émotionnelles constituent – comme nous avons pu l’évoquer – des points d’achoppement, à ce stade de son évolution, dans une société où l’humanité et l’empathie demeurent des valeurs sures et essentielles dans la relation à l’autre, les IA ont, et c’est un euphémisme, encore de grands progrès à faire. Le risque d’un usage abusif des IA, d’une dérive vers un « tout IA », est alors d’avoir un effet parfaitement contre-intuitif. Le technosolutionnisme outrancier peut provoquer la frustration du client, un client lassé d’avoir des réponses bien éloignées d’une demande qui peut s’avérer trop spécifique et trop complexe, qui n’a pas un jour fait face à un assistant virtuel « dépassé » incapable de donner une réponse éclairante, qui n’a pas un jour été exaspéré de ne pas avoir enfin un être humain capable de comprendre et de répondre avec gentillesse à sa problématique ?
Les IA peuvent ainsi se heurter aux subtilités, voire à la « maladresse » du langage humain et à leur incapacité à appréhender le contexte, de fait et à ce jour, ces faiblesses persistantes peuvent engendrer des réponses totalement inadaptées. Si la qualité et la quantité des données sur lesquelles elles s’appuient pour limiter les risques d’erreurs* (*connaissance approfondie de son interlocuteur) elles ne sont pour autant pas à l’abri d’un traitement de données biaisées, soit parce qu’elles sont insuffisantes, voire erronées parce que communiquées volontairement ou involontairement par les clients par exemple (Age/Sexe/Profession) ce qui ipso facto peut engendrer des erreurs.
L’IA n’en est certes plus à ses « balbutiements » pour autant, le tout IA dans la relation client serait à notre sens un choix bien hasardeux, IA sans conscience n’est que ruine du business ! Les entreprises qui seraient tentées par un usage tous azimuts seraient à notre sens bien mal avisée. Leur usage doit être précautionneux, il est permis de faire des erreurs bien sûr, mais dans leurs usages il est nécessaire de tenir compte des réactions clients, de leur acceptation, et de leur capacité à interagir : être geek n’est pas transgénérationnel et notre époque technologique semble parfois pour ne pas dire souvent l’oublier.
Il nous apparait également indispensable de toujours avoir à l’esprit que les « IA » dédiées, dans le domaine qui nous concerne : la relation client, présente encore des faiblesses pour ce qui relèves des domaines émotionnels, juridiques, stratégiques, techniques, de gestion de crise, et de nombreux cas de figures qui nécessitent une réflexion approfondie et une expertise humaine. Si vous en doutez, et même si l’IA a depuis encore progressé, en matière d’erreurs liée à l’IA, il y a des cas d’écoles, qu’ il est bon de garder en mémoire dont les « 5 fameux désastres en IA et analytique » que rappelaient Thor Olavsrud / IDG NS (Adaptation Aurélie Chandèze) en 2020.
Des échecs oui, mais aussi des réussites : attention au Technosolutionisme.
Si l’on peut trouver des limites, la personnalisation de l’expérience client est indéniablement un atout des IA, mais sous certaines conditions… Grâce à leurs capacités analytiques de plus en plus développées, elle permet aux entreprises de comprendre en profondeur les préférences et les besoins de leurs clients, voire de les anticiper, nous ne sommes plus très loin du marketing prédictif, ouvrant ainsi la voie à des recommandations sur mesure et à des expériences client d’exception.
Toutefois, et là se joue le savant dosage et l’équilibre délicat à trouver dans leurs usages, cela ne passe-t-il pas par la parfaite connaissance des attentes de sa clientèle en la matière, et de savoir : jusqu’où ne pas aller trop loin. Si certains clients apprécient cette personnalisation « à outrance », si certains salariés apprécient son appui puisqu’elle peut les aider à de nombreux niveaux en interne comme en externe) … découvrir des produits pertinents pour les clients, alléger le travail des commerciaux, etc.
D’autres peuvent trouver l’IA bien trop intrusive, tant sa collecte de données personnelles est puissante et ce d’autant plus si le client n’a pas donné un consentement clair. Un moyen (le seul) permettant d’éviter ce point d’achoppement et d’engendrer des comportements contre-intuitifs : la transparence totale ! Les entreprises se doivent d’être parfaitement transparentes sur la manière dont elles utilisent les « IA » pour collecter et utiliser par la suite les données des clients, voire leur permettre de s’y soustraire s’ils désirent garder une totale autonomie et se préserver de sollicitations diverses : ce n’est pas à titre d’exemple parce que vous testez une solution technologique en ligne que pour autant vous souhaiter recevoir des mails commerciaux…
Pour rappel nonobstant le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) un texte réglementaire européen qui encadre le traitement des données de manière égalitaire sur tout le territoire de l’Union européenne, une nouvelle loi est récemment venu encadrer plus spécifiquement l’utilisation de l’intelligence artificielle par les Entreprises dans l’UE : la loi sur l’IA est ainsi, la première loi globale sur l’IA au monde. Dans le domaine qui nous concerne, ce consentement explicite des clients doit ainsi être obtenu pour des actions spécifiques, comme la collecte de données, l’envoi de recommandations : mails, SMS, suggestions commerciales… C’est une condition sine qua non, l’absence de transparence conjuguée au non-respect de la vie privée sera immédiatement sanctionnée par certains clients qui se sentiront piégés pour ne pas dire manipulés, voire… par la loi.
Des enjeux culturels et organisationnels autant que techniques et juridiques.
Si les enjeux de réglementations que nous venons de citer paraissent essentiels, il nous apparaît tout aussi primordial que les entreprises doivent – dès lors qu’il s’agit de déployer l’IA au service de la Relation Client (ou à toute autre fin d’ailleurs) – s’inscrire rigoureusement dans un cadre stratégique et éthique. En tout premier lieu les entreprises doivent clairement communiquer en interne auprès de leurs équipes en lien avec les marchés de la démarche entreprise.
En second lieu, les solutions testées ou utilisées ne doivent pas rester secrètes mais être partagées pour apporter légitimité et crédibilité, mais aussi leur donner le sens attendu par les différentes parties prenantes (Chargés d’affaires, Ingénieur Commercial, Agent, Conseiller Clientèle, Téléopérateur, …) en expliquant ce qu’apporte « l’initiative IA », quels résultats sont concrètement escomptés. Il va s’en dire également que dans nombreuses situation la question de l’Ethique ne tardera pas à se présenter sur la table des discussions, débats ou avis aussi bien côté collaborateurs que côté clients.
On peut alors penser qu’au-delà du célèbre cas d’école du Chatbot Tay utilisé et conçu chez Microsoft pour une plateforme d’échange avec les adolescents, une plateforme qui, comme nous l’avons évoqué tourna vite au fiasco. Que penser encore du cas de la filiale d’Alibaba –Ant Financial – qui eu cette idée « lumineuse »de passer au cribles les données des emprunteurs via un outil d’IA pour ainsi gagner en temps de réponse apporté à l’accord de principe du crédit ou non mais qui pourrait alors dériver vers des pratiques discriminatoires à l’égard du marché auquel l’offre s’adresse…
Nul doute qu’il paraît indiscutable que l’entreprise qui s’empare de ces potentielles dérives et mesure les risques inhérents en les prévenant, en conduisant un véritable travail de mise en cohérence des aspects techniques, organisationnels et culturels, peut-être même en se prémunissant d’une intelligence cognitive comme rempart à tout ce qui pourrait entraver, entacher, contaminer une bonne collaboration entre les individus et l’IA, prendra une longueur d’avance .
Ce sont les postures, les comportements, les attitudes qui sont potentiellement impactés, à plus ou moins grande échelle dès lors il apparaît essentiel d’accompagner, de former a de nouveaux modes de fonctionnement qui impacteront avec les mêmes variations la culture de l’entreprise. Ce mouvement entraine concomitamment une orientation Client qui doit prendre le pas sur l’orientation Produit.
Il n’est dès lors plus question d’être centré sur la solution, sur les process, sur les produits…avant d’être un Client à chaque moment clé d’une interaction avec la marque le client est avant tout un Contact, c’est donc le Contact que l’IA gère et « prend en charge » de sa phase de « Suspect » (‘’cookie anonyme’’ statut convoité par les internautes navigant sur les pages webs ici et là au-gré de leurs recherches – le fameux Zero Moment Of Truth : ZMOT) à celle de Prospect (un pas vers l’engagement en ayant bien pris soin de remplir LE formulaire) puis celle de Client (encore et toujours à fidéliser) à celle d’Ambassadeur (quête du Graal). Chaque étape devant conduire l’organisation à se désiloter pour coordonner ses actions et converger et passer selon Gaëlle Le Grouiec, directrice marketing et communication de Renault Europe, « d’un marketing du produit à un marketing d’audience à qui on pousse un produit. » le Commerce devant assurer les conversions le plus efficacement possible.
Quelques exemples d’effets contre-intuitifs… Dissuasifs !
Outre « Tay » que nous avons pu évoquer, de nombreuses entreprises ont pâti en termes d’image de leurs utilisations « sans discernement » ou tout du moins « inapproprié » de l’IA sans en anticiper les conséquences : Amazon a été par exemple critiqué pour l’utilisation de son algorithme d’IA pour recommander des produits aux clients. Bien que l’entreprise jouisse d’une solide réputation pour ses capacités en matière de personnalisation de recommandations, il y a eu des cas où l’IA a mal compris les préférences des clients et a fait des recommandations totalement inappropriées, qui plus est Amazon déploie ainsi un outil d’intelligence artificielle générative qui résume les avis d’un produit en un seul paragraphe. Pourquoi pas ?
Uber pour sa part a été fortement critiqué pour l’utilisation de l’IA dans son système de tarification dynamique, une approche IA permettant certes des gains pour l’entreprise qui a occasionné d’inexplicables écarts de prix ; pour les usagers parfaitement ignorants de la méthode de la firme, les réactions n’ont alors pas tardé : les passagers ont signalé des prix excessivement élevés lors de situations d’urgence ou de forte demande trouvant cela, et, nous semble-t-il, à juste titre : abusif. En termes d’image cela a suscité des réactions négatives et des accusations d’exploitation, jusqu’au patron d’Uber, Dara Khosrowshahi, interrogé par le magazine américain Wired, qui lui a demandé d’estimer le prix d’une course Uber à New York pour 4,5 km a donné un chiffre bien en deçà de la réalité et a été « choqué » par le prix d’une course qu’il avait lui-même commanditée.
Google a été confronté à des critiques concernant son algorithme de recommandation de vidéos sur YouTube. L’IA a été accusée de favoriser la recommandation de vidéos sensationnalistes et de complot, ce qui a eu un impact négatif sur la qualité de l’expérience utilisateur. Nul ne peut oublier non plus l’histoire de ce père de famille surpris d’apprendre que l’enseigne de distribution Target aux Etats-Unis avait bien vu juste – et avant lui – sur la maternité de sa fille, l’enseigne se basant sur une liste de vingt-cinq produits que les femmes enceintes sont le plus susceptibles d’acheter, était aller jusqu’à», Target savait, à quelques jours près, à quel stade de sa grossesse la jeune fille se trouvait en lui adressant alors des offres ciblées et abondantes…
Pour conclure :
Dans un monde très compétitif, la relation client la plus optimum est devenue progressivement plus qu’un facteur clé de succès, mais un avantage concurrentiel, la période du client roi est révolue, le client peut s’exprimer et faire savoir sa satisfaction ou son insatisfaction… ses interactions sont enregistrées, analysées, étudiées…anticipées même.
Si parmi les dogmes de la relation client l’on a coutume de dire « qu’un client satisfait en parle à 2 ; un client insatisfait en parle à 10 (Coefficient de 5)) à l’époque des réseaux sociaux… nous sommes passés à un tout autre quantitatif ; aussi, comme nous avons souhaité le démontrer, il s’agit aujourd’hui tant de prendre en compte les évolutions prometteuses, tout en trouvant un équilibre subtil entre ses promesses et des limites bien réelles.
En 2023, le dosage parfait « IA » et « Homme » travaillant de concert, en bonne « entente » et dans le respect des attentes de leur clientèle, n’est-il pas la clé pour offrir un service client complet et de qualité, et que le client puisse toujours se considérer comme unique, mais non pas comme une simple « cash machine » ! et pour la Relation Client, il se pourrait bien que l’IA gère aujourd’hui la Relation Contact plus que la Relation Client, la conversion Contact/Client ne pouvant efficacement et durablement s’opérer que par l’alchimie de la Relation « en chair et en os » pour des questions plus complexes ou par la magie de la capacité de réassurance et de chaleur ou d’empathie que peut apporter l’Humain encore et toujours, fort heureusement…
L’intelligence artificielle est potentiellement plus dangereuse que les armes nucléaires.
Elon Musk
Tribune rédigée par Yannick Chatelain : Professeur Associé Digital / IT, GEMinsights Content Manager, Grenoble École de Management (GEM) & Laurent Mandica : Professeur Associé Relation Client et Management, Grenoble École de Management (GEM).
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