Toutes deux issues de l’Inde antique, les sagesses orientales – à savoir la sagesse bouddhiste et la sagesse védique qui l’a précédée – proposent des principes pour sortir nos économies occidentales de la crise qu’elles traversent. Malgré de nombreuses similitudes, elles présentent aussi de nombreuses différences.
Attachées aux dogmes du PIB et de la sacro-sainte croissance, nos économies occidentales avancent les yeux bandés sur cette voie qui n’en finit pas d’engendrer des problèmes, tant au niveau des individus qu’au niveau de la planète. Partout, les chiffres montrent que les inégalités progressent dangereusement. Les riches deviennent plus riches. Les pauvres plus pauvres. Le nombre de chômeurs et de travailleurs pauvres atteint des sommets inquiétants alors que le cancer des « Sans Domicile Fixe » résiste à bien des traitements sociaux. A cela s’ajoute le risque imminent que représente le réchauffement climatique. Dans une interview accordée en novembre 2015 au magazine The Atlantic, Bill Gates, fondateur de Microsoft avait reconnu que les « entreprises privées étaient trop égoïstes pour produire des alternatives propres et viables au pétrole », appelant ses confrères milliardaires à l’aider à sortir les Etats-Unis des énergies fossiles avant 2050. L’investissement dans les énergies vertes pour lequel milite depuis peu Bill Gates respecte le principe védique[1] et bouddhiste du respect de la nature avec laquelle les hommes sont intimement connectés.
Economie de moyen, altruisme, connexion entre humains, respect de la nature, etc… tels sont quelques-uns des principes contenus dans le module « Economie bouddhiste » enseigné à l’Université de Berkeley aux Etats-Unis. Fondé par Claire Brown, ce cursus d’une trentaine d’heures répond aux critiques d’étudiants saturés par les modèles économiques enseignés dans les universités américaines. De son côté, le management fondé sur la tradition védique fait son chemin dans plusieurs universités en Inde comme aux Etats-Unis. Qu’apportent de vraiment nouveau ces enseignements? La prise en compte du bien-être ! Ils remplacent le PIB par d’autres instruments mesures, tels que l’indicateur en vigueur au Bhoutan ou le World Happiness Report des Nations Unies. Au niveau de l’entreprise, ils militent en faveur de l’altruisme et de la gratitude, un changement radical puisque la qualité prime sur la quantité, l’être sur l’avoir. C’est un défi pour nos économies occidentales longtemps privées de vraies valeurs humaines. De nombreuses études ont montré que ces valeurs constituent des leviers majeurs de l’engagement au travail. A ce titre, elles ouvrent la voie à la reconnaissance[2]. Alors que ces valeurs sont adoptées par de nombreuses entreprises outre-Atlantique, elles cherchent encore leur place dans les entreprises françaises. Les PME, les start-ups et les jeunes générations sont plus réceptives à ces nouvelles valeurs.
Y ou Z, les jeunes générations sont plus en phase que les anciennes avec ces nouvelles valeurs. Elles veulent échapper à la culture hiérarchique du management, de moins en moins adaptée à notre monde en plein chambardement. Elles sont 66% à souhaiter devenir entrepreneur et font passer la qualité de vie au travail avant toute autre considération. Elles sont plus perméables aux nouveaux crédos du management qui façonnent les contours de la nouvelle économie. Elles adhèrent à l’économie participative, concept issu du bouddhisme et de la tradition védique. Dernier principe en vogue : « faire plus avec moins » ! Ainsi que l’expliquait récemment Navi Radjou, théoricien de l’Innovation Frugale lors du Forum « L’Entreprise du Futur » qui s’est tenu récemment à Lyon, ce crédo est directement issu de l’observation du fonctionnement de la nature. Exemple : l’eau qui coule de la montagne suit un parcours qui respecte la loi du moindre effort. Selon ce conseiller en innovation, affilié à l’université de Cambridge et au World Economic Forum, c’est un changement radical de paradigme.
Né à Pondichéry, Navi Radjou a été imprégné dès son plus jeune âge par le rationnement de l’eau et du courant électrique qui perdure de nos jours encore dans de nombreuses villes et villages du sous-continent indien. Loin d’être un handicap, les faits montrent que cette pénurie s’avère un formidable coup de pouce à l’intelligence humaine. Ceux qui ont visité l’Inde savent combien les indiens sont capables de prouesses dès lors qu’il s’agit de réparer des voitures datant des années 40 et pour lesquelles il n’y a plus de pièces détachées depuis belle lurette. Navi Radjou a intégré la leçon. Il a appris l’anglais en louant de vieux exemplaires du magazine Times. En 1998, il s’expatrie aux Etats-Unis, pays de l’abondance s’il en est. Pourtant, il ne lui aura pas fallu plus de deux décennies pour comprendre ce qu’il appelle « la vanité de la course à l’innovation ».
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 700 milliards de dollars ont été investis dans la R&D l’an dernier aux Etats-Unis, donnant naissance à de nouveaux produits de consommation dont 85 % échoueront avant 12 mois ! D’où sa théorie de l’Innovation Frugale : elle consiste à créer plus de valeur économique, sociale et écologique en utilisant moins de ressources, une démarche en phase avec les plus hautes valeurs morales. Il s’en est expliqué avec quelques exemples révélateurs. En occident, sans respect pour les ressources consommées, un ingénieur va chercher une solution pour connecter un réfrigérateur à un smartphone alors que des millions d’habitants dans le monde n’ont pas l’électricité. C’est ce qui a poussé un potier indien à concevoir un réfrigérateur en argile capable de maintenir à bonne température lait et légumes pendant trois à cinq jours. Cerise sur le gâteau, ce réfrigérateur est entièrement biodégradable. Des cas similaires d’inventions frugales existent dans de nombreux pays du Sud, plus enclins que nous à faire de l’adversité une opportunité.
Ce concept de l’Innovation Frugale a-t-il sa place dans des économies occidentales en crise? Navi Radjou n’a aucun doute à ce sujet. S’il est permis de douter qu’un réfrigérateur en argile trouve sa place dans nos contrées, la micro-éolienne inventée par deux frères indiens, Arun et Anoop George, risque de rencontrer un plus large écho dans nos pays englués dans la crise de l’énergie. Les experts parlent d’une petite révolution dans le monde de l’éolien : les deux frères proposent au prix d’un smartphone un appareil pas plus gros qu’un ventilateur et capable de produire 3 à 5 Kwh par jour. Destinée dans un premier temps à l’Inde, cette invention risque d’intéresser de nombreux pays occidentaux en phase de transition énergétique. Les deux frères prévoient d’en vendre plus d’un milliard dans le monde.
Le principe de l’économie de moyens peut donc facilement trouver sa place en Occident, à condition toutefois d’apprendre à nos ingénieurs à consommer moins de ressources et à respecter des valeurs morales élevées, ce dont une grande majorité d’entre eux est encore loin. La bonne-nouvelle est qu’une minorité d’entre eux fonctionne déjà selon ce principe, ce sont nos meilleurs talents. Steve Jobs, l’emblématique patron d’Apple, avait remarqué de son vivant que le meilleur développeur de ses équipes était plus de vingt fois plus performant que les autres. Il obtenait le résultat désiré avec moins de lignes de code. Ce talent est en accord avec le principe de l’économie de moyens, faire moins et accomplir plus.
[1] La tradition védique remonte au quinzième siècle avant Jésus Christ. Elle a été transmise sous forme orale et par les textes jusqu’à nos jours. Elle fait opartie du patrimoine immmatériel de l’Inde. Le terme sanscrit Veda signifie connaissance.
[2]
Un manager reconnu produit dans son cerveau de la dopamine, hormone du bien-être qui régule du système nerveux.
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