À mesure que l’IA générative automatise de nombreuses tâches quotidiennes, la réussite professionnelle reposera de plus en plus sur des compétences sociales que nous peinons encore à définir et à cultiver. Lors du Forbes Future of Work Summit, Aneesh Raman, économiste chez LinkedIn, a annoncé l’avènement d’une nouvelle ère : celle de « l’économie des relations », où les aptitudes sociales deviennent le cœur même de l’activité professionnelle.
Les soft skills s’imposent désormais comme les véritables compétences essentielles. Pour se préparer à cet avenir, les organisations doivent miser sur la pensée créative, la collaboration et l’agilité sociale — des piliers qui prennent racine dans la qualité des relations au sein des équipes.
Comment bâtir des relations solides dans un environnement professionnel en crise ? Aujourd’hui, le marché du travail traverse une période tumultueuse : les vagues de licenciements se multiplient, les recruteurs publient des offres « fantômes » sans réelle intention d’embauche, et la solitude au travail reste une véritable épidémie. L’engagement des employés a atteint son niveau le plus bas en dix ans. Dans ce contexte, il est souvent plus tentant de se protéger que de s’investir dans des interactions authentiques.
Les relations professionnelles comptent, et cela n’a rien de nouveau. Mais aujourd’hui, l’affirmation seule ne suffit plus. Il est temps de repenser le futur du travail autour de l’humain : un écosystème collaboratif où les idées nouvelles et les expertises variées se rencontrent, et où la technologie devient un levier de productivité et d’innovation plutôt qu’un substitut au capital humain. Imaginez un lieu de travail où des relations saines occupent une place centrale. À quoi cela ressemblerait-il ? Quel impact cela aurait-il sur l’expérience des employés ? Voici sept actions concrètes que les dirigeants peuvent entreprendre pour construire et soutenir une économie relationnelle dynamique :
Donner vie aux valeurs : l’importance des principes concrets
De nombreuses organisations affichent fièrement leurs valeurs sur leurs murs ou sur des cartes plastifiées. Ces valeurs incarnent les aspirations d’une entreprise, mais elles se limitent souvent à une série de mots abstraits ou de slogans simplifiés, tels que « confiance » ou « service à la clientèle ». Pourtant, pour que ces valeurs aient un réel impact, elles doivent se traduire en principes concrets, applicables au quotidien.
Ces principes permettent aux employés, y compris les plus jeunes, d’ancrer les valeurs dans leurs actions, d’orienter leurs comportements et de prendre des décisions éclairées face à des priorités conflictuelles ou des pressions externes. Prenons l’exemple de Tableau Software : « L’excellence du produit » constitue une valeur, tandis que le principe « Nous ne lancerons pas un produit tant que nous ne l’aurons pas utilisé nous-mêmes » en traduit l’application concrète.
Redéfinir la flexibilité au travail
Avec le retour des directives imposant la présence au bureau, la flexibilité a été mise à mal, perdant presque tout son sens. Pourtant, elle ne se limite pas à laisser les employés choisir leurs horaires. Être flexible, c’est avant tout offrir aux collaborateurs les moyens de donner le meilleur d’eux-mêmes, tout en leur laissant la liberté d’être efficaces à leur façon.
Cela passe par un accès adapté à des formations et ressources d’apprentissage, non seulement pour renforcer leurs compétences actuelles, mais aussi pour développer celles qui gravitent autour de leur rôle. C’est aussi bâtir des équipes capables de pensée agile, en créant des environnements où collègues de tous niveaux peuvent échanger des idées, résoudre des défis ensemble et apprendre les uns des autres.
En comprenant les forces que chacun apporte et en ajustant la manière de les mobiliser au service d’une mission commune, il devient possible de dépasser les biais liés à la proximité physique et de tirer pleinement parti des talents de l’équipe. La véritable flexibilité repose sur cette capacité à conjuguer autonomie, apprentissage et collaboration pour renforcer l’efficacité collective.
Concevoir des espaces collaboratifs au bureau
Dans un contexte où les équipes hybrides restent la norme malgré les débats autour du retour au bureau, les entreprises disposent d’une opportunité unique pour réinventer leurs espaces de travail. Il ne s’agit pas de transformer les bureaux en lieux Instagrammables pour séduire les jeunes générations, ni de recréer les « terrains de jeu » qui ont marqué le début de l’ère technologique. L’enjeu est bien plus sérieux : concevoir des environnements propices à la collaboration.
Cela passe par davantage de salles de réunion, une technologie performante et des aménagements flexibles favorisant la proximité. Ces éléments sont essentiels pour construire des relations de confiance, un socle fondamental du travail collectif. Les études scientifiques l’affirment depuis plus de 50 ans : la distance réduit drastiquement la communication. Lorsque des collègues sont éloignés de plus de 8 mètres, ils n’ont que 5 % de chances d’échanger une fois par semaine.
Si vous demandez à vos équipes de venir plusieurs jours par semaine au bureau, il est impératif de concevoir des espaces qui stimulent réellement les interactions et maximisent la valeur du temps passé ensemble.
Créer des opportunités pour des connexions interpersonnelles significatives
Favoriser les interactions au sein des équipes ne se limite pas à des échanges en face-à-face : il s’agit également d’encourager une véritable connexion intellectuelle. Consacrer du temps à des moments de conversation, qu’il s’agisse de déjeuners d’apprentissage, de projets communautaires ou même de simples pauses café, peut avoir un impact profond.
Un exemple marquant est celui de Bank of America, qui a collaboré avec Alex Paul Sandy Pentland, chercheur au MIT, pour mesurer l’effet des interactions sociales sur la productivité dans ses centres d’appels. À l’aide de sociomètres portables analysant la durée et la qualité des échanges entre collègues, les chercheurs ont découvert que les employés qui socialisaient davantage géraient leurs appels plus rapidement, étaient moins stressés et maintenaient des performances équivalentes à celles qui restaient concentrées uniquement sur leur téléphone.
En synchronisant les pauses de ses employés, l’entreprise a enregistré des résultats impressionnants : une réduction de 20 % du temps de traitement des appels, même pour les équipes en difficulté, une augmentation de 15 millions de dollars de productivité et une amélioration notable de la satisfaction client.
Créer des espaces et des moments où les collaborateurs peuvent interagir à tous les niveaux renforce les relations, moteur essentiel de la productivité, de la créativité et de l’innovation.
Développer des communautés de pratique
Développer des communautés de pratique est une réponse efficace à la complexité croissante du monde, où il est rare qu’une seule personne détienne toutes les réponses. Ces communautés, composées de collègues partageant un domaine commun, offrent un espace pour échanger des idées, partager des expériences variées et collaborer sur des problématiques complexes.
Les communautés de pratique peuvent se créer de façon informelle, par exemple lors d’un déjeuner ou d’une pause-café, où les collègues échangent astuces et expériences. Elles peuvent également revêtir une structure plus formelle. Par exemple, Chrysler, désormais Stellantis, a mis en place des clubs technologiques interfonctionnels pour encourager le partage d’expertise entre ingénieurs travaillant sur différentes plateformes automobiles.
Dans le domaine des services professionnels, les entreprises exploitent souvent des réseaux internes pour mutualiser les connaissances sectorielles et fonctionnelles. Ces plateformes permettent de mobiliser les savoir-faire collectifs de l’organisation et de proposer des solutions à une grande diversité de défis individuels.
En s’appuyant sur ces communautés, les organisations ne se contentent pas seulement de résoudre des problèmes, elles favorisent également un apprentissage continu et un enrichissement mutuel, au bénéfice de tous leurs membres.
Harmoniser les systèmes de récompense
On ne peut pas inciter un comportement tout en espérant en obtenir un autre. Pourtant, de nombreuses entreprises ne parviennent pas à aligner leurs systèmes de récompense sur les comportements qu’elles souhaitent réellement encourager, notamment en matière de culture organisationnelle.
Pour bâtir une culture axée sur les relations, il est essentiel d’aller au-delà des récompenses individuelles. Mettez à l’honneur la collaboration d’équipe, le mentorat et le partage des connaissances. Valorisez également le développement des compétences relationnelles, comme l’écoute active ou la gestion constructive des désaccords, plutôt que de vous limiter aux seules performances commerciales et techniques.
IBM illustre bien cette démarche : ses évaluations de performance différencient les récompenses à court terme et les investissements pour l’avenir. Les résultats commerciaux influencent les primes de l’année écoulée, tandis que le développement des compétences relationnelles détermine les augmentations salariales pour l’année suivante.
Et vous, comment pouvez-vous structurer vos incitations pour encourager les comportements qui façonneront l’avenir de votre entreprise ?
Valoriser les accomplissements
Mettre en lumière les succès, grands ou petits, et valoriser les tentatives, même infructueuses, est essentiel pour encourager les comportements que vous souhaitez voir émerger. En célébrant régulièrement les efforts de vos équipes, vous insufflez un élan positif et donnez vie à une culture d’encouragement.
Ne vous limitez pas à des événements ponctuels. Faites de la reconnaissance une habitude, en mettant l’accent sur le travail collectif plutôt que sur les exploits individuels. Publier des exemples de réussite dans une newsletter interne ou récompenser une équipe qui s’est surpassée sont de bons points de départ, mais la célébration doit devenir quotidienne et inclure aussi les échecs constructifs.
De nombreux dirigeants encouragent leurs équipes à être fières de leur travail et à partager largement leurs succès, rappelant à l’ensemble de l’organisation l’importance de célébrer ce qui compte vraiment. À mesure que les défis se multiplient, chaque étape franchie mérite d’être reconnue. Cette considération, qu’elle porte sur une grande victoire ou un simple progrès, inspire à son tour les efforts nécessaires pour relever les prochains défis.
L’avenir du lieu de travail et des outils que nous utilisons reste à définir. Cependant, une chose est certaine : nous devons être intransigeants sur la manière dont nous le façonnons. L’intelligence artificielle ouvre des perspectives infinies pour repenser le travail, en nous permettant de déléguer les tâches répétitives et de nous concentrer sur l’innovation et la créativité.
Pour tirer parti de ces opportunités, il est impératif de renforcer les compétences relationnelles sur le lieu de travail. Le choix est clair : céder à l’épuisement et s’isoler, ou investir dans les compétences sociales nécessaires pour bâtir une économie fondée sur les relations humaines. Si nous négligeons ces interactions essentielles sous prétexte d’être trop occupés, nous risquons de tarir la source même de l’ingéniosité humaine et de priver l’avenir du travail de l’énergie vitale qui le fait avancer.
L’IA ne peut pas créer cet écosystème à notre place. C’est ensemble que nous devons façonner un avenir où innovation et relations humaines avancent de concert.
Une contribution de Ann Kowal Smith pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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