Dalila Madine a créé une entité dédiée au Design Thinking au sein de GRTgaz, une filiale de Engie. Âgée de 29 ans, elle est aujourd’hui coach certifiée par l’université de Stanford. Passionnée de cette méthodologie d’innovation, elle ambitionne de la démocratiser au sein de son entreprise, et au-delà.
Comment se contruit une stratégie de Design Thinking ?
Le Design Thinking, c’est une méthode. Mais c’est avant tout un état d’esprit qui s’inspire de l’univers des designers. Son principe est simple : trouver une solution à un problème humain donné, en équipe et de façon multidisciplinaire.
Toute solution de Design Thinking répond à un triple enjeu :
– résoudre un problème réel rencontré par un utilisateur(point de vue de l’utilisateur)
– être faisable techniquement (point de vue technique)
– être rentable (point de vue business).
Tout d’abord, il faut comprendre que c’est un parcours avec ses étapes. Trois critères sont essentiels pour activer une stratégie de design thinking. Premièrement, il faut partir d’un problème émanant directement de la personne concernée. Deuxièmement, mettre le design au centre, alors qu’il est trop souvent utilisé pour définir de nouveaux critères. Enfin, il faut prendre en compte le niveau d’incertitude de la solution. Autrement dit, il ne faut surtout pas commencer en ayant une solution pré-pensée.
Par ailleurs, la stratégie design thinking suppose de construire une équipe pluridisciplinaire qui doit être en mesure de prendre en main la problématique, avec toujours ce même triptyque : un designer, un expert technique et un profil business. L’aspect essentiel, et à ne surtout pas négliger, est l’empathie. Elle est indispensable car elle permet de replacer l’humain au cœur de la démarche. Il existe plusieurs façons pour comprendre les problèmes rencontrés par notre utilisateur. Une des solution est l’immersion. Il nous arrive de passer des mois sur le terrain avec les personnes qui rencontrent ledit problème. Nous réalisons aussi des interviews et des séquences d’observation pour mieux cerner leurs usages et besoins conscients et inconscients.
Une fois la phase d’empathie réalisée il faut trouver le vrai problème. Le trouver, c’est trouver la solution. Je fais souvent l’analogie avec le médecin. Si vous allez le consulter pour des maux de tête, vous vous attendez à ce qu’il vous prescrive des médicaments contre la migraine. Mais avant cela, le médecin vous pose de très nombreuses questions. En effet, une migraine peut avoir des causes diverses, de la simple fatigue à la migraine ophtalmique en passant par des choses beaucoup plus sérieuses. Les questions du professionnel de santé sont donc nécessaires pour comprendre le problème et le traiter au mieux.
Je dis souvent : « love the problem, not the solution ». Vient ensuite l’idéation. Le design thinking est très souvent résumé à cette étape, alors que ce n’est qu’une étape, au même titre que les autres. L’idée est de « mettre tout le monde autour de la table », et de réaliser un brainstorming avec les utilisateurs. Le ou les problèmes sont présentés, les remontées du terrain analysées, les persona (des typologies de personnes) réalisées. Des « journey map » sont dessinées pour visualiser toutes les étapes de leur quotidien. Le but est de déterminer si la solution imaginée correspond aux besoins de la personne. Le prototypage permet de visualiser la solution trouvée. Il peut par exemple, dans le cas d’une application mobile, être un chemin cliquable avec différentes maquettes permettant de visualiser pas-à-pas le parcours de l’utilisateur.
Pour aller au-delà de la maquette ou du storyboard (pour les sujets marketing), il est parfois intéressant de faire des sprints de prototypages, des ateliers intensifs pour produire rapidement un résultat. Enfin la phase de tests. Nous observons nos utilisateurs en train de tester le produit afin d’analyser ce qui marche ou non. En fonction de ce qui est observé, on réadapte, on améliore l’expérience client. Et on réitère l’ensemble du parcours.
Les expériences Design thinking sont-elles concluantes ?
À Stanford, nous avons compris l’expérience design thinking avec l’exemple suivant : passer une IRM est angoissant pour la majorité des adultes qui est contrainte de prendre un calmant avant d’effectuer un tel examen. Pour les enfants, cet examen relève de l’impossible tant la machine leur semble effrayante. Un examen quasi insurmontable qui pousse de nombreux praticiens à abandonner. Pour inciter les enfants à accepter l’IRM, un chercheur a mis en place un parcours de design thinking avec enfants, parents, praticiens… Tous ensemble, ils ont repensé les salles d’IRM en vaisseau spatial, en sous-marin… Depuis ce moment, les enfants ont vu la machine comme un jeu et ont accepté l’examen.
Pour prouver la méthodologie, j’ai commencé par monter des projets en interne : douze projets ont ainsi été lancés dès la première année. La DSI s’est demandée si nous devions ouvrir de nouveaux datacenter ou aller sur le cloud, les ressources humaines ont travaillé sur la diversité, avec les responsables de secteur nous avons réfléchit à une solution de numérisation des planning, la direction technique s’est demandée comment faire en sorte que les anciens ne partent pas à la retraite sans transmettre leur savoir… La personne qui vient exposer son problème devient le porteur de projet. Le designlab met simplement à disposition des outils, une méthodologie et un « mindset ».
Comment atténuer les réticences face à cette méthodologies ?
Il est parfois difficile de faire prendre conscience que la solution n’est pas connue à l’avance. L’erreur fait partie du design thinking. Dans tous les grands groupes, il faut pouvoir lâcher prise et accepter d’aller voir l’utilisateur final. Il peut y avoir une peur d’aller rencontrer les clients, alors que c’est indispensable. Je suis une ambassadrice du Design Thinking. J’interviens beaucoup en tant que coach dans des événements ou pour des start-up en early stage, dernièrement pour la Start-up Banlieue.
Ma première recommandation a été de «sortir des bureaux » pour aller rencontrer leur cible et comprendre la nature du vrai problème, trouver les besoins, puis tester rapidement. En design thinking, il faut parfois accepter de laisser de côté les idées de départ, car elles ne correspondent pas aux besoins, et oser lancer quelque chose de nouveau. Il faut également accepter d’être sollicité car ces ateliers de co-création prennent du temps. Enfin, il faut accepter ce qui va« sortir » comme solution.
L’acculturation est indispensable pour changer les mindsets. Pour cela, j’aime réaliser des ateliers de design thinking, trois heures une fois par mois, en proposant aux collaborateurs de travailler sur des problématiques qu’ils rencontrent régulièrement : comment réinventer le parcours entre la maison et le travail, comment améliorer l’entretien annuel, comment réinventer le parcours client… L’indicateur de réussite est l’industrialisation d’un produit. Car il ne faut pas tomber dans le piège de rester à l’étape du prototype.
Il faut toujours garder à l’esprit que l’objectif est de sortir un produit, une solution qui sera industrialisée. Cela montre que notre solution a répondu au problème et que nous avons réussi à lever tous les freins. Dans l’ensemble, je perçois un enthousiasme des personnes qui testent le design thinking car on s’intéresse à ce qu’ils font, à leur problème. Notre objectif est d’innover tout en prenant en compte les usages de l’humain.
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