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L’Entente, Avec La Médiation, Gagne Du Terrain Sur Le Droit Et Le Contrat

Partout il est question de médiation. Médiation politique, médiation économique, du crédit, médiation judiciaire, médiation familiale, d’entreprise, médiation de la consommation, médiation des affaires. Celle-ci tend à remplacer les postures d’autorité directe. Son objectif est de rechercher le règlement ou la résolution des conflits par plusieurs courants de pensée.

En principal, on peut en distinguer quatre. Trois de ces courants sont issues de la tradition des systèmes autoritaires, incluant la servitude volontaire, directement liée à la fiction du « contrat social » (que nul n’est censé ignorer) et un courant, que j’ai développé, est issu du courant non-autoritaire, avec la liberté de décision. Cette nouvelle représentation de la médiation, sortant des ornières de la « gestion des conflits » (gérer = entretenir, à défaut de pouvoir réellement résoudre), m’a ouvert la voie à la recherche sur la « qualité relationnelle », à l’invention de « l’ingénierie relationnelle » et a abouti ces derniers mois à la conceptualisation de « l’entente sociale » (thématique de ma recherche). Les points de concordance avec les idées amorcées dans le monde libertaire sont clairs.

Des théoriciens comme Michel Bakounine jusqu’aux anthropologues contemporains comme Charles MacDonald, David Graeber (déjà cité sur Forbes) et Pierre Clastres, ont démontré que le système d’autorité n’est pas le seul modèle pour vivre en société. Par exemple, Pierre Clastres a étudié les formes relationnelles dans les tribus d’Amérique du Sud et a observé que les chefs y sont des repères pour réguler les relations sans avoir de pouvoir contraignant. Ses observations contribuent à mettre en évidence que le rôle d’un « chef » est encore là-bas de favoriser l’entente entre tout le monde et de veiller à la qualité de vie de tous et à résoudre les conflits, sans aucun pouvoir coercitif. L’enjeu est entre la servitude véhiculée par le contrat et la liberté imbriquée dans l’entente. Le modèle de la médiation, une médiation devenue professionnelle, profession aboutie par sa technicité, serait ainsi, quand même, une résurgence du passé… Mais il faut d’abord identifier ses différentes formes.

Trois courants au service du système autoritaire…

Le modèle d’autorité a été généralisé par les pays occidentaux. Les trois courants de pensée qui soutiennent ce modèle vont avec les fondamentaux des « droits et obligations », de la souveraineté faite de pouvoirs coercitifs et de la servitude volontaire. Pour cela, chacun a sa fiction avec le rappel à la morale (courant confessionnel), rappel à la loi (courant juridique) et rappel à la norme (courant psycho-social). Les trois coopèrent et tant pis si le juge (ou le référent) interprète les choses d’une manière que même aucune des parties n’avait imaginée. En gros, soit on s’y soumet, soit on y adhère, soit on est tenu de l’accepter. Le résultat est le même, c’est l’autorité qui l’emporte, et la liberté n’existe que dans un rapport d’illusionniste.

…tandis qu’un quatrième courant se hisse dans l’évolution culturelle et sociale

Le quatrième courant de la médiation va bien au-delà du contrat, puisqu’il se fonde sur le référentiel de l’entente. Lorsque l’entente ne fonctionne plus, il faut en retrouver le chemin. C’est là qu’interviennent l’ingénierie relationnelle et le médiateur professionnel. L’entente est ce qui fait la relation, ce qui l’entretient, ce qui la rétablit. Il existe bien des invariants de ce qui fait la dégradation relationnelle et de ce qui fait la qualité relationnelle. De fait, l’entente, comme la liberté, on peut l’enseigner et on peut l’apprendre. Elle contient tout un référentiel, celui de la « qualité relationnelle ». On peut donc s’y former. C’est la mission que s’est donnée l’école professionnelle de la médiation et de la négociation, en développant plusieurs branches de formation, dont celle de médiateur professionnel et celle d’ingénieur relationnel.

Pour résumer les deux paragraphes ci-dessus, soit la personne, les citoyens doivent obéir, soit ils peuvent réfléchir et apporter leur contribution à leur entente qui peut évoluer vers un accord dont on peut anticiper le cheminement.

La médiation est dans cette veine. On retrouve ainsi dans la pensée de soumission, de docilité, les courants moralisateur, juridique et de normalisation psycho-sociologique. Ces formes de médiation sont au service de faire des économies infrastructurelles, de décharger les juges de leurs pouvoirs régaliens, de faire de la conciliation nommée différemment, pour ramener les personnes considérées comme égarées, dans le droit chemin de la pensée dominante, de gagner du temps pour le consacrer à la productivité.

Le courant non-autoritaire au service des personnes

Le courant non-autoritaire entraîne sur une toute autre voie. Il est en rupture en offrant une alternative véritable au système d’autorité. Ce n’est pas une alternative au système judiciaire ni à l’arbitrage. Il ne fait pas partie des ADR (MARC). C’est celui de la réflexion, celui de la quête de la libre décision : une médiation méthodologique, rationnelle, qui s’appuie sur l’idée que tous les humains naissent libres et égaux et que la recherche n’est pas de savoir ce que signifie d’être libre, mais de savoir comment le rester.

Je l’ai nommée « médiation professionnelle ». L’appellation fait envie. Elle est parasitée, mais pas égalée. Elle est au service de la recherche d’apprendre tout au long de la vie à entretenir sa posture de liberté, à commencer par sa liberté de décision en s’épargnant toute mise sous tutelle. Dans les situations conflictuelles, avec un processus structuré et un dispositif impliquant, elle permet une « inimaginable discussion » ; dans les situations non-conflictuelles, avec l’ingénierie relationnelle, elle apporte un savoir-faire méthodologique dans le champ habituellement laissé à l’improvisation de la conduite de projet et de la vie au quotidien. Elle est promotrice et outille la qualité relationnelle.

Car l’enjeu de la médiation professionnelle pour la société civile n’est pas de faire faire des économies structurelles, ni de faire gagner du temps par rapport au système devenu lourd des jeux de procédures. Il est de promouvoir l’altérité et la libre décision en visant bien au-delà des reproches conflictuels associés au contrat, en visant l’entente. Car c’est par l’entente que l’on vit en société. Tous les entrepreneurs le savent, une entreprise où ne règne pas l’entente, c’est une entreprise qui va très mal. 

Un nouveau paradigme : celui de l’entente sociale

L’enjeu de la médiation professionnelle est une affaire précieuse d’aider les personnes à gagner dans l’exercice de leur liberté, non pour qu’elles se soumettent à un contrat social dont elles ne connaissent ni les tenants ni les aboutissants et quand elles les découvrent elles ont plus envie de les contester que d’y adhérer, à moins de s’y résigner, mais d’engager un dialogue avec des savoir-faire introduits par le médiateur professionnel qui maîtrise les techniques d’une véritable « ingénierie relationnelle » ; un dialogue fait de qualité relationnelle, pour développer quelque chose de plus fort que tout contrat, pour développer l’Entente sociale, et l’entente dans tous les contextes. Cette entente autorise de conduire une réflexion anticipatrice, et non préventive, puisqu’elle permet de prospecter sur les issues relationnelles comme la reprise de la relation, l’aménagement relationnel (entretien et/ou rétablissement) ou la rupture consensuelle. L’une des qualités du médiateur professionnel est la maîtrise de la rhétorique. Comme le soulignait Pierre Clastres, le fait d’être « bon orateur » constitue une aide pour aider les personnes à réfléchir et trouver le chemin qui leur conviendra pour s’entendre, s’entendre elles-mêmes et avec les autres. Ainsi, l’entente ne peut exister qu’au travers d’une liberté étendue, grâce à la liberté de décision reconnue pour soi et pour l’autre, désormais soutenue par les savoir-faire des médiateurs professionnels.

Il s’agit d’un nouveau paradigme. Avec la médiation professionnelle, on s’éloigne de la représentation de l’idée de justice, de la querelle mystique entre le bien et le mal, des droits et des obligations, de l’équité, autant que l’on s’éloigne du juridique, de la morale et du normal. Avec la médiation professionnelle, pratiquée par les médiateurs professionnels, c’est une action d’accompagnement pédagogique, et l’altérité participe de la ligne de conduite ; c’est un accompagnement résolu vers l’éducation et la formation tout au long de la vie, qui rompt avec la violence idéologique pour entrer dans la démarche éthique recherchée par un nombre croissant de personnes, actuellement dirigeants et salariés.

Quelle que soit l’intention du législateur et des promoteurs des différentes formes de médiation, il apparait clairement que dans l’évolution de la vie en société et dans les rapports à tous les formes d’autorité, avec la médiation devenue un métier à part, indépendant, impartial et neutre, la recherche d’entente, accompagnée par les médiateurs professionnels, gagne du terrain sur le droit et le contrat.

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