Si le télétravail est favorisé par la pandémie du Covid-19, il se montre inefficace dans la résolution de problèmes complexes, malgré les nombreux moyens mis à disposition des salariés.
Le travail à distance rendrait plus heureux, productif et engagé. Alors, comment expliquer que plus de 40% des entreprises entrevoient une baisse de productivité pendant le confinement ? Comment expliquer qu’il suscite un sentiment d’isolement, de stress ou encore d’empiétement sur la vie personnelle? Pourtant les dirigeants multiplient les média et bonnes méthodes pour assurer la continuité opérationnelle.
Cependant, à trop confondre l’homme avec un canal de communication comme un autre, l’entreprise se vide peu à peu de son vivant et de son intelligence. D’ailleurs certains grands groupes comme IBM, Netflix, Yahoo font machine arrière depuis plusieurs années et le réservent à titre exceptionnel. En cause notamment, l’inefficacité du télétravail dans la résolution de problèmes complexes.
De la valorisation de la personne à la valorisation de la tâche
Il y a 20 ans, la norme était de côtoyer ses collègues au bureau toute la semaine. Chacun se connaissait au-delà de son périmètre d’activité et était valorisé pour sa compétence unique à tel point que le projet prenait du retard en son absence. Lorsqu’un problème complexe surgissait, il était souvent réglé en quelques heures même si la solution se trouvait outre-atlantique.
Aujourd’hui, les visioconférences, messageries, applications, emails sont autant de média pour faciliter l’atteinte des objectifs que de contrôler l’activité où qu’on soit, dans un environnement économique stable. Ce faisant, le management envoie deux messages de taille à ses salariés. Le premier est que leur présence et donc la personne n’est pas indispensable. Le deuxième: seule la tâche compte. Il suffit d’ailleurs de tomber malade pour constater son travail repris avec célérité par un autre collègue, telle la colonne de fourmis s’empare prestement de la précieuse miette de la porteuse fâcheusement écrasée.
Plus contrariant, seulement 6% des salariés en France sont engagés, représentant un manque à gagner colossal de €97 milliards. Combien de temps l’entreprise peut-elle encore survivre face à la grave crise du Covid-19 qui exhorte chacun à un engagement inégalé, de préférence depuis la maison? En illustrant cet espoir illusoire, c’est un peu comme demander à un pilote de chasse de prendre les bonnes décisions de chez lui avec le drone qu’il commande à 10000km de distance.
De l’utilisation ponctuelle du télétravail face à des problèmes simples à son utilisation généralisée face à des problèmes complexes
Alors justifié pour certaines professions comme les commerciaux ou consultants en déplacement, le télétravail s’est élargi progressivement aux autres salariés plus sédentaires pour gérer les affaires courantes, à distance. Certains grands groupes souhaitent en faire la norme, malgré la crise sans précédent du Covid-19.
Déjà affaiblis par un désengagement manifeste, les salariés sont maintenant confrontés à la résolution de problèmes complexes, à distance. Comment s’y prendre quand tout le fonctionnement de l’entreprise repose sur la “procédurisation” naïve des défis? Chaque problème est divisé en micro-problèmes et chacun s’attelle à sa résolution selon sa spécialisation. A longueur de logique, rapports, process, chiffrages, approbations, bien qu’en apparence résolu, le problème n’est pas adressé dans son ensemble. A l’image d’un patient qui prend une dizaine de médicaments quotidiens pour plusieurs pathologies alors qu’un regard médical avisé pourrait en réduire le nombre, en jouant sur les doses, pour alléger les lourds effets secondaires.
Plus avant, le télétravail tend à déliter la relation humaine; l’intelligence étant privée de la cohésion sociale qui développe le sens d’appartenance. Appauvrie de cette abondance d’informations précieuses qui émane de l’expression faciale, corporelle ou vocale et qui compte selon certains experts jusqu’à 90% de la communication, l’intention de l’autre nous échappe ainsi que la confiance. Qui n’a pas vécu d’assommantes visioconférences avec un enchevêtrement de complications pour tout voir résolu le jour où les participants ont eu la courtoisie de se réunir? Malentendus, dégradation des relations, mauvaises décisions sont courants quand l’écran s’interpose à la relation humaine. D’ailleurs, 84% des télétravailleurs reconnaissent qu’un problème prend plus de temps à être résolu.
Deux approches à explorer, en télétravail, face à des problèmes complexes
Puisque la pandémie contraint de nombreux salariés à travailler de chez eux, deux approches sont à explorer pour limiter les effets délétères face aux problèmes complexes:
- Le principe de subsidiarité où le pouvoir de décision est déconcentré au plus qualifié par sa capacité à comprendre finement l’environnement, son contexte, afin d’atteindre les résultats avec l’appui de plusieurs experts. Ses intermédiaires: la visioconférence pour statuer, emails/autres pour échanger à deux et faire le point sur l’avancement. De son côté, le management valorise chacun et ses résultats en plus de faciliter la levée des obstacles, par exemple en supprimant les processes inutiles;
- La culture forte de l’entreprise comme éclaireuse. Il s’agit de ramener au cœur du processus de décision la raison d’être, les traditions, les comportements attendus pour identifier tous les possibles. Au-delà du process, des chiffres, des données il s’agit de favoriser la créativité et l’expérience dans un premier temps. Ses intermédiaires: conversations à deux pour engager, des nouveaux rituels par visioconférence comme un café quotidien, des emails pour l’avancement des tâches, a minima.
Paradoxe de l’entreprise qui veut toujours plus d’humain, mais en virtuel
On peut tenir pour peu de chose les propos de certains dirigeants qui prétendent sortir leur entreprise de la crise avec toujours plus de communication et de technologie autour de l’homme réduit au virtuel. À l’image d’un médecin qui prétendrait porter un diagnostic précis par téléconsultation, le virtuel apporte l’illusion du réel tout en prenant soin d’en évacuer le vivant.
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