Les avancées du télétravail et de l’ultra-connectivité doivent rester des moyens mis à disposition des dirigeants, au service des enjeux stratégiques.
La crise sanitaire a provoqué la généralisation du télétravail et le déploiement massif d’outils de communications électroniques dans les entreprises. Ce mouvement a été tellement rapide, et s’est avéré à ce point vital pour les entreprises et les organisations, que certains croient y voir le déclencheur de la transformation numérique et une caractéristique essentielle du monde post-Covid qui s’esquisse.
La désillusion sur les effets bénéfiques du télétravail dans les entreprises risque pourtant d’être grande si elles en restent à la seule adoption de nouveaux outils. Elles manqueront l’opportunité de transformer en profondeur leurs organisations et leurs modes de management pour répondre aux défis de ce « monde nouveau », dont la seule chose que l’on en sait est qu’il sera incertain.
L’ultra-connectivité des collaborateurs peut instiller dans le top management un sentiment de puissance. Il pourrait ne pas résister à la tentation d’adopter un modèle d’organisation encore plus centralisée. Certains dirigeants verraient ainsi se réaliser leur rêve de s’appuyer sur un quartier général tout puissant qui décide de tout et impose sa cadence à des milliers d’exécutants contrôlés et évalués de façon permanente. En quelque sorte, l’acmé de l’entreprise globale pré-Covid !
Ce modèle est déjà en gestation chez grand nombre de sociétés des Fortune 500 et en particulier chez les grandes entreprises technologiques, qu’elles soient américaines ou chinoises, où le degré d’autonomie des équipes locales n’a cessé de se réduire au cours des 20 dernières années. C’est le paradoxe de la globalisation : au fur et à mesure que leurs territoires devenaient globaux et que les frontières humaines, financières et commerciales s’estompaient, le pouvoir se concentrait.
L’hyper-connectivité pourrait donc naturellement engendrer une hyper centralisation !
Cette évolution serait aisément légitimée par les impératifs de rapidité de décision et d’« exécution globale ». Des principes déjà largement dévoyés dans leurs applications en décourageant toute remise en question, voire toute innovation sur le terrain, et en dévitalisant les entreprises. Dans ce contexte, les femmes et les hommes au plus proche des clients et des marchés, sont devant une triste alternative : se transformer en bons élèves, tels des robots déroulant un « playbook », ou bien se trouver paralysés par les injonctions contradictoires inhérentes à toute organisation et développer en conséquence des stratégies d’évitement et de survie. Ce mode d’organisation pouvait avoir une efficacité dans un monde uniforme. Il devient dangereux dans un environnement plus complexe, non plus global mais devenu « multilocal », requérant en permanence capacité d’initiative et intimité avec son marché.
C’est pourquoi les dirigeants éclairés devront profiter du potentiel offert par les technologies pour amender leurs processus de décision et de management. Comme l’e-commerce l’a fait pour la chaîne de distribution en supprimant nombre d’intermédiaires, les outils de collaboration et de communication sont une opportunité d’uberiser la bureaucratie et de dynamiter la pyramide hiérarchique. L’aplanissement des organigrammes et l’accélération des cycles de décision ne doit pas conduire à asservir encore plus les collaborateurs « en bout de chaîne », mais au contraire à décentraliser, déléguer, allouer d’autres ressources et ouvrir plus de marges de manœuvre, au plus proche du terrain.
Pour libérer ces énergies, un principe directeur du management pourrait être de distinguer le « Quoi », l’objectif, du « Comment », les moyens de l’implémenter. Les prérogatives des dirigeants sur la stratégie, les objectifs et le business model doivent bien sûr être conservées, mais l’organisation doit déléguer davantage aux équipes en première ligne, s’agissant de la façon d’atteindre les objectifs et de la capacité à répondre à l’imprévu.
Redonnons ses lettres de noblesse à « l’exécution », non plus considérée comme une fonction subalterne automatisable mais comme un maillon essentiel de la chaîne de valeur à laquelle doit être associée confiance et responsabilité. Réservons les perspectives d’automatisation des processus par l’intelligence artificielle à l’élimination de la bureaucratie et mettons plus d’humain et d’intelligence au plus proche des marchés. Dépoussiérons enfin les chartes de valeurs pour en faire de vrais référentiels de comportement qui définissent la culture de l’entreprise, agissent comme une boussole commune par gros temps et sont garants de l’homogénéité de l’expérience client et de la signature de marque.
L’hyper-connectivité doit être un catalyseur de cette transformation. Elle donne aux dirigeants des moyens de contrôle et de mesure en temps réel qui les rassure mais elle doit aussi les libérer afin que la technologie devienne un vecteur d’émancipation des collaborateurs en première ligne, encouragés, valorisés et responsabilisés.
Sans remettre en cause leur ambition globale, leur raison d’être et leur pertinence, l’adoption de ces principes de fonctionnement conférera aux entreprises suffisamment d’agilité pour évoluer, s’ajuster et réussir durablement dans ce « monde nouveau ».
Christophe Aulnette, investisseur engagé dans le développement international d’entreprises de la Tech, Senior advisor au sein de Apax Partners, non-executive Chairman de Dathena (ex-Netgem et Microsoft).
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