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Le rôle difficile du management face à l’addiction

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Worker stands at front of meeting room presenting to colleagues, holding pencil to point at different parts of presentation and smiling at male colleague

Une contribution de Maureen Bassard, consultante en management, coach professionnelle certifiée

Lorsqu’il est question d’addiction en milieu professionnel, le sujet est généralement encadré par une politique des ressources humaines et un règlement intérieur. Mais ces dispositifs suffisent-ils vraiment ? Trop souvent, le sujet reste en marge des priorités, jusqu’à ce que la situation devienne ingérable. Entre normes à respecter et réalités de terrain, les managers se retrouvent en première ligne pour affronter cette problématique délicate, où les signaux faibles passent parfois inaperçus.

Pourtant, l’addiction représente un enjeu de santé publique important en France et impacte directement les entreprises. Selon l’Observatoire Français des Drogues et des Tendances Addictives, 13 % des consommateurs de cannabis et 9 % des consommateurs d’alcool augmentent leur consommation à cause des facteurs liés au travail comme le stress et les conditions de travail difficiles.

Face à ce problème, le management rencontre parfois des difficultés à définir son rôle.

 

L’addiction, une problématique sociale très courante

Le terme addiction désigne un comportement, plus qu’un produit. Il existe deux catégories d’addictions : celles liées aux substances (comme la toxicomanie, le tabac, l’alcool et les médicaments) et celles comportementales (comme le jeu, l’alimentation, la conduite à risque et le sport).

A l’âge adulte, la majeure partie des individus sont usagers de “substance psychoactive” . L’évaluation de l’addiction repose sur trois critères principaux : la fréquence, la durée et l’intensité de cette consommation. De ce fait, ce n’est pas le produit qui signe l’addiction, mais l’utilisation qui en est faite.

Le Dr Yann l’Hégaret, psychiatre et spécialiste des comportements addictifs, explique : “addiction et relations sociales ont une interaction réciproque : les liens influent sur les comportements addictifs et inversement. En effet, des problématiques interpersonnelles comme un conflit avec son manager peut-être une cause initiale de l’addiction, les liens peuvent également être facteurs d’entretien de l’addiction (afterworks quotidiens dans le monde du travail) mais aussi des ressources potentielles pour sortir du comportement pathologique”.

 

Dans les entreprises, un sujet tabou mais très présent

D’un point de vue de la loi, la responsabilité de l’employeur est engagée car l’entreprise a une obligation de résultat prévue par le code du travail pour assurer la sécurité et protéger la santé de ses salariés.

Carole Le Guillou, formatrice en addictions en milieu professionnel, partage son avis sur cette problématique en entreprise “ l’addiction est rarement pris au sérieux, sauf quand il y a eu un accident. Cela n’arrive pas qu’aux autres et cela ne touche pas que la sphère privée. Les addictions devraient être traitées comme n’importe quel autre risque professionnel”.

Elle donne trois liens entre l’entreprise et l’addiction d’un individu issus des travaux du Pr. D. Penneau Fontbonne[1]:

  • L’importation : l’addiction de l’individu entraîne des conséquences sur son travail. Par exemple, s’il perd son permis de conduire, et qu’il en a besoin pour travailler, il est dans l’incapacité d’exécuter les tâches requises par son emploi,
  • L’acquisition : la consommation se fait sur le lieu de travail et est souvent un moyen d’intégration (afterwork, pot de départ, soirée d’anniversaire etc.),
  • L’adaptation : la consommation est une stratégie pour tenir au travail : les individus “s’anesthésient” pour faire face à la pression de la performance demandée.

Les éléments environnementaux, tels que les conditions de travail et la culture d’entreprise, jouent un rôle clé dans l’émergence des comportements addictifs.

 

Et le management dans tout ça ?

Dans les politiques RH, les managers ne doivent pas traiter les cas d’addiction. Lorsqu’ils sont identifiés, la médecine du travail doit prendre le sujet en main.

Cependant, sur le terrain, les Ressources Humaines sont fréquemment informées lorsque la situation devient ingérable par le management.

Plusieurs facteurs expliquent cela : le manager estime que l’addiction relève de la responsabilité personnelle, il ne désire pas faire de délation, il va dissimuler ou minimiser le problème, ou pire, il se sent isolé face à une organisation défaillante.

Selon le Dr. Tanguy Mousserion, consultant en sociologie appliquée du travail et des organisations, le management et la culture d’entreprise jouent un rôle important dans la prévention ou l’incitation à consommer une substance psychoactive. Il propose 4 axes à adopter afin de limiter les comportements addictifs :

  • Formation des managers à la prévention afin de détecter les signes de stress et de malaise,
  • Amélioration des conditions de travail en limitant la charge mentale,
  • Promotion du soutien social en créant une culture de soutien entre collègues,
  • Valorisation d’une culture de la performance durable en remplacement de l’obsession du résultat.

 

Un sujet complexe de prévention globale des risques psychosociaux

Selon Anouk Gehin, DRH : “Les actions de prévention du collectif de travail et de sensibilisation du management sont en effet clé car l’environnement professionnel du salarié peut protéger ou à l’inverse fragiliser face au risque d’addiction. La frontière avec les risques psychosociaux est mince et les facteurs de risques liés au travail sont de la responsabilité de l’entreprise. Ils doivent par conséquent être identifiés pour pouvoir agir de manière plus efficace et durable. »

Dans son rôle d’accompagnement, le manager est garant du cadre et le définit en émettant des demandes en lien avec son rôle. En restant attentif et à l’écoute de ses collaborateurs, tout changement de comportement d’un individu doit le questionner. Grâce à un audit de la culture d’entreprise et à une formation sur la prévention des actions, le manager est désormais mieux équipé pour discuter du sujet en amont, lors de l’apparition d’une situation, et pour la réintroduction au sein d’une équipe après un arrêt.

 

[1] Travaux : Conduites addictives et milieu de travail (2006).


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