Le Big Data RH actuel ne crée pas d’engagement
Cela parait plutôt évident, mais si vous saviez que chaque élément de votre vie professionnelle était régi par un algorithme, quel plaisir ou excitation prendriez-vous à envisager l’avenir ? Si c’est écrit à l’avance, à quoi bon se démener après tout ? Ce n’est pas avec de l’analyse prédictive de données qu’il est possible de créer de l’engagement dans le temps. Et même en admettant que cela soit possible, à quel coût humain et social ? Si l’objectif est de créer de l’engagement, pourquoi ne pas simplement demander leur avis aux personnes présentes, plutôt que d’aller analyser les vies des personnes passées ? Nous avons tous des objectifs, affinités et motivations différentes, et il est sain que la fonction RH intègre cela très en amont dans sa stratégie pour générer de l’engagement, et donc mieux développer et retenir ses ‘talents’. Du bon sens.
Les solutions qui n’impliquent pas humainement une personne dans la saisie des informations génèrent peu d’engagement en retour, car elles n’ont pas sollicité une attention particulière dédiée, et n’ont donc pas fait appel aux centres de la réflexion et de l’émotion. Le centre de l’émotion, notamment, joue un rôle clé dans les logiques d’engagement, et c’est pourquoi les logiques actuelles du marketing tendent à contextualiser et impliquer de plus en plus les consommateurs par exemple. En RH, il s’agit donc plutôt de faire vivre une expérience qui implique la personne, en lui faisant parler d’elle-même par exemple.
Une approche Big Data RH prenant en compte de manière poussée des données comportementales permettrait de réduire en partie cette problématique, comme les approches de neuro-marketing s’y attèlent dans le domaine de la consommation. Mais l’acquisition de ces données comportementales reste aujourd’hui à réaliser, dans la mesure où le vaste océan de l’Internet ne contient pas directement ces informations. Il est certes possible de définir le profil psychologique de vos collaborateurs en analysant leur historique Google ou leur page Facebook, mais dans le cadre d’une approche RH, je vous laisserai l’expliquer vous-même à vos collaborateurs :).
Le RH n’est pas le marketing ni la finance, et le collaborateur
n’est pas un simple client ni une ligne de gestion.
n’est pas un simple client ni une ligne de gestion.
Rien ne vaut la transparence et la coconstruction. Lorsque l’on cherche à accomplir quelque chose, on fait monter les gens à bord, on leur explique le projet, et on leur demande les informations dont on a besoin pour y parvenir. L’entreprise qui générera de l’engagement demain ressemblera certainement plus à cela qu’à Big Brother ! Le DRH peut être partenaire du business. Mais s’il devient le fameux business partner tel que décrit par Dave Ulrich il y a une quinzaine d’années, alors il perd son rôle social, rôle relevant pourtant de ses missions prioritaires.
Et si on commençait avec le matching avant de faire du prédictif RH ?
Le Big Data est une tendance lourde, avec un potentiel encore sous-estimé. Mais en matière de RH, il y aura des barrières à ne pas franchir, tant la dimension sociale sera à préserver. Et pourtant, il est possible d’utiliser des données efficacement, sans aller nécessairement dans une approche prédictive, qui caractérise le Big Data. Cette approche analytique et non prédictive, peut être permise par le matching, autrement dit la détermination d’une compatibilité, par rapport à une liste finie de critères. Et à mon sens, c’est sain et suffisant pour équiper efficacement plus de 80% des applications RH d’aujourd’hui et de demain.
Le principe est simple, c’est comme à l’école : pour résoudre une équation, vous avez un certain nombre de paramètres à déterminer. Appliquée à nos sujets, c’est un ensemble d’informations ou critères, nécessaires pour déterminer un résultat. Par exemple, pour savoir si une offre d’emploi vous correspond, il s’agira de savoir si les critères qui vous définissent sont compatibles et pertinents avec ceux de l’offre d’emploi en question. Bien loin du prédictif, qui prend en compte des inconnus, vos amis, vos parents, voire même votre huissier, pour dessiner votre avenir, c’est de vous dont il s’agit ! Avec une quantité raisonnable d’informations vous concernant, il est possible d’effectuer des recommandations très poussées, qui ne relèvent pas de la prédiction, mais simplement de la compatibilité ‘point par point’. Il existe également une approche bien plus modeste et pragmatique que le Big Data, c’est le Small Data, comme l’explique cet article publié par un expert de Manpower.
Et sincèrement, il ne serait pas utile d’avoir une trop grande quantité d’informations sur vous, car le marché ne saurait pas les exploiter. En effet, dans un monde qui change, l’état du futur est très incertain, et ne saurait être aujourd’hui déterminé grâce à l’état du passé. Aussi, cette incertitude cause t’elle une capacité limitée à définir les paramètres des métiers, entreprises et évolutions professionnelles de demain ! Donc encore une fois, restons simples. Et à nos amis DRH, je ne saurais que trop recommander d’investir massivement dans la mise en place d’une cellule de talent planning (ou workforce planning), afin de travailler non pas sur les parcours de demain, mais plutôt sur les compétences et métiers nécessaires demain pour assurer la compétitivité de leurs entreprises.
La compétitivité d’une entreprise demain se résumera à sa
capacité à attirer, développer et retenir ses collaborateurs.
Savoir ne suffit plus, il faut engager !
capacité à attirer, développer et retenir ses collaborateurs.
Savoir ne suffit plus, il faut engager !
Pour conclure, j’ai en tête trois mots : réalisme, diversité et sérendipité. Réalisme, parce qu’il n’est que trop nécessaire par les temps qui courent, de reprendre cet article du Guardian, qui rappelle, tant il semble que cela soit nécessaire, que les statistiques ne prédisent pas l’avenir ! Ensuite, diversité, car comme on l’entend dans le film Pieds Nus Sur Les Limaces (2009) : « A trop vouloir rentrer dans le moule, on finit par ressembler à une tarte », et ce n’est pas une situation recommandable. Enfin, sérendipité, car chercher quelque chose, et découvrir autre chose qui crée plus de valeur que ce qui était cherché, c’est la simple évidence que nous ne maitrisons pas tout, et que nous ne devrions pas chercher à le faire. Bien au-delà du libre-arbitre à réaffirmer, notre société doit apprendre à lâcher prise sur sa capacité à orienter et contrôler le futur, pour plutôt apprendre la confiance et la coopération.
C’est le combat pour une SMART RH qui commence. Il y a aujourd’hui le besoin et l’urgence de s’accorder collectivement sur des bonnes pratiques en matière d’utilisation des données et d’algorithmiques dans le domaine des Ressources Humaines particulièrement. Le Big Data RH peut créer énormément de valeur économique, mais il n’aura de sens que lorsqu’il créera une valeur sociale bien plus grande encore, sur le long terme. Et c’est là la thèse récente de l’un des plus grands noms du capitalisme, Michael Porter, qui explique que le but d’une entreprise n’est pas de maximiser la performance pour les actionnaires, mais plutôt d’optimiser cette performance dans une perspective de long terme, pour l’ensemble des parties prenantes, qu’ils soient actionnaires, collaborateurs, ou de la société civile. Et si le Big Data RH était un moyen de mettre en musique cette vision d’avenir ?
- Rejoignez le débat sur Twitter : @JeremyLamri
- Lisez ou relisez mon article précédent : Pourquoi Le CPA Éclaircit l’Avenir Des Français
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