80 jours de confinement. 80 jours où nous avons pu expérimenter à l’échelle mondiale le télétravail et découvrir la complexité de la prise de parole à distance. Winston Churchill expliquait que ses meilleures improvisations étaient celles qu’il avait préparées. La prise de parole est un véritable art oratoire : “On ne naît pas orateur, on le devient”. Un art que les Anglo-Saxons maîtrisent souvent sur le bout des doigts, mais qui nous fait encore parfois défaut en terre gauloise. La visioconférence est venue ajouter une touche d’inconnu et de nouveauté qu’il faut travailler pour être domptée. Par Cyril Delhay, professeur d’art oratoire à Sciences Po et Stéphane Distinguin, Fondateur et CEO de Fabernovel.
Que ce soit en réunion, en conférence ou à distance à travers un écran, certains principes de la prise de parole restent immuables. Il faut adopter une posture ouverte avec des appuis solides bien ancrés dans le sol pour faciliter à la fois une respiration basse – c’est-à-dire une respiration qui vient du ventre – et éviter des mouvements parasites susceptibles de détourner l’attention du récepteur. Bien qu’elle paraisse moins naturelle en vidéoconférence, la position debout est préférable car elle facilite l’engagement physique, vocal et renforce la stimulation des neurones miroirs de l’interlocuteur. Elle mérite d’être expérimentée, notamment pour des interactions longues ou à enjeux forts (avant, car cela s’anticipe !). Le regard est lui aussi particulièrement important en visioconférence, et avoir un retour visuel des participants permet de garder le contact visuel, et son regard alerte pour éviter le piège du regard dans le vide de la caméra.
Comme toute prise de parole, le stress, provoqué par anticipation et en sur-réaction, peut faire perdre ses moyens. Il doit être travaillé à la fois par des exercices de respirations basses mais aussi avec une préparation, encore plus assidue pour le format visioconférence, de son intervention. Quant au trac qui provoque une montée soudaine de son rythme cardiaque, il faut utiliser des techniques tirées des arts martiaux en se concentrant toujours sur la respiration : en inspirant cinq secondes, la retenant cinq autres puis expirant sur la même durée. Cette technique agit comme un frein pour l’organisme, permet d’augmenter son oxygénation et réduire ainsi de 30% les battements de son cœur.
Un bon orateur est aussi une personne qui maîtrise ses silences et le rythme de son discours. Prendre plus de temps, assumer de parler lentement, même si on sent que c’est un peu artificiel au début… Il sera toujours temps d’accélérer, mais dites-vous que l’écoute représente de la concentration pour vos interlocuteurs ; facilitez-leur la tâche : articulez, laissez-leur le temps de vous suivre.
Les spécificités de l’art oratoire à distance
Tout comme un décor théâtral, l’environnement de votre arrière-plan ou fond d’écran doit être réfléchi. Par ailleurs, le positionnement de la caméra ne doit rien laisser au hasard : elle peut être mise légèrement au-dessus des yeux, en contre-plongée (afin de ne pas présenter ses narines, qui, même si elles sont de tailles acceptables, peuvent venir perturber inconsciemment le participant), avec un éclairage doux derrière l’écran, si possible sur son meilleur profil. Tom Ford comme tous les experts, conseillent de se poudrer pour ne pas briller autrement que par son éloquence – s’essuyer avec des feuilles de riz fonctionnent tout aussi bien.
Ces 80 jours d’expérience intensive nous ont aussi montré que la répétition est primordiale : pour la technique (kit main libre pour le son, alternative 4G en cas de panne wifi, couper les notifications, redémarrer son ordinateur…) mais aussi pour tester le bon filage de sa présentation. Par ailleurs, garder les participants captifs peut révéler parfois de l’exploit si nous n’anticipons pas des éléments d’interactions (sondage, passage de parole…) C’est d’ailleurs pour cela que nous préférons souvent la visioconférence à la radio, car il y a la possibilité plus facilement de réagir en direct et d’échanger avec le présentateur.
Le moment venu de sa joute oratoire, on peut assumer de démarrer à l’heure et commencer par rappeler en introduction qu’il peut avoir des interférences, il sera alors plus facile d’en jouer et assumer lorsque rentrera dans le champs de vision votre coloc verre de vin à la main ou votre enfant en pleine séance TikTok. Après tout et à fortiori dans son environnement « personnel », on est humain, l’interlocuteur aussi. Et justement, l’accueil des participants est indispensable pour en garantir l’engagement. Il ne sera pas le même s’il s’agit d’une nouvelle rencontre en ligne de personnes qui se connaissent déjà. Pour un premier rendez-vous, il faudra dédier du temps à mieux se connaître avant de rentrer dans le vif du sujet. Dans notre dernière conférence sur le sujet, seulement 3 personnes sur les 207 participants estimaient qu’une conférence en ligne était chaleureuse. Il faut donc s’efforcer de la rendre plus chaleureuse en vérifiant par exemple le degré de compréhension de chacun et ne pas hésiter à répéter.
Si l’enchaînement de visioconférences peut s’avérer éprouvant car elles demandent une attention plus forte, la récupération active – une sieste de 15 minutes – peut être une solution de lâcher prise que votre cerveau appréciera.
Bien sûr, le fond est tout aussi important que la forme, mais nous somme sûrs que vous n’aurez pas besoin de nous sur ce point.
Cyril Delhay, professeur d’art oratoire à Sciences Po
Normalien, agrégé d’histoire, diplômé de Sciences Po, Cyril Delhay a créé et développe depuis 10 ans à Sciences-Po un cours sur la prise de parole en public destiné à tous les étudiants à partir d’une méthode originale fondée sur l’engagement physique de l’orateur. Il anime des séminaires de perfectionnement en master et en formation continue pour les professionnels de tout secteur d’activité. Il est à l’origine du Grand Oral du baccalauréat. Il est l’auteur de nouveaux ouvrages dont Parler en public, Principes et méthode, Dalloz, Paris, 2020.
Stéphane Distinguin, CEO et fondateur de Fabernovel
Entrepreneur français et animateur d’écosystèmes dans le domaine de l’innovation, Stéphane Distinguin fonde Fabernovel en 2003, un groupe intégré qui accompagne les grandes entreprises du monde entier dans leurs projets de transformation digitale, et vers un futur plus inclusif. Avec cette société, il a créé des start-up telles que Digitick, Bureaux à Partager ou Urban Campus et accompagné des réussites comme Blablacar, KissKissBankBank ou LeBonCoin.
Il est aussi à l’origine de La Cantine, premier coworking en Europe et lieu d’accueil, d’échange et de partage pour les acteurs de l’écosystème parisien, de Parisoma, plus ancien coworking à San Francisco et du premier accélérateurs de start-up en Europe, Le Camping (devenu Numa).
Par ailleurs, Stéphane Distinguin est président de la Grande Ecole du Numérique qui forme plus de 10.000 jeunes aux métiers du numérique partout en France, chaque année. Il a été aussi président de 2013 à mai 2019 de Cap Digital, pôle européen de la transition numérique et écologique qui opère le festival Futur.e.s.
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