Si les laboratoires pharmaceutiques veulent acquérir une position dominante sur le digital, il leur faudra résoudre l’équation des 4 piliers du leadership numérique : une e-réputation protégée, un écosystème puissant (comprendre : visible sur le parcours de leurs cibles) et influent (comprendre : ayant acquis la confiance des communautés) et enfin susceptible de préparer les potentielles mutations sur leur business-model. Pour résoudre cette équation, point de connaissance mathématique mais une révolution culturelle : celle du patient et de ses émotions !
Adapter l’arsenal de crise à la gestion des émotions
Commençons par l’enjeu de réputation. L’industrie pharmaceutique est excessivement bien préparée au risque médical et logistique (rupture de stock) et a été également rompue aux crises médiatiques, qui peuvent être d’une extrême violence. Elle doit désormais s’adapter à l’ère “post-Lévothyrox” dont les mécanismes ont montré qu’une fois la spirale médiatico-sociale enclenchée, il est trop tard pour agir et endiguer le mouvement.
Pour cela, l’ensemble des signaux faibles à dimension émotionnelle doivent être pris en compte car ils sont le ferment du bad buzz. D’où la nécessité d’une veille digitale qui surveille l’expression des patients et qui ne sous-estime pas le risque de désinformation (fake news ou fake med) sur la toile. Dans une appréciation largement irrationnelle de l’information scientifique, comprendre le processus de décision du patient – fût-il incohérent, est devenu crucial. Or, le dispositif de veille en industrie pharmaceutique, souvent déclenché par un facteur endogène (appel d’un journaliste ou remontée interne d’un risque) ne permet pas de voir arriver le risque émotionnel émanant d’un patient inquiet. De plus, le dispositif digital de l’entreprise est bien souvent peu efficace face au bad-buzz survenant sur un médicament.
En effet, par crainte de déroger aux règles anti-publicitaires de l’ANSM sur leur site, les laboratoires pharmaceutiques ont toujours négligé les enjeux de référencement de leurs médicaments sur Google, au profit des bases de données publiques, du Vidal et de Doctissimo. Le corollaire est qu’en cas de questionnement sur un médicament, elles sont dans l’incapacité de riposter à une désinformation ou même de rassurer leurs propres patients puisqu’elles n’assurent pas ce critère basique et pourtant fondamental de positionner leur site sur les requêtes correspondant à leurs noms de produits.
Miser sur des sites utiles et multicibles
Une interprétation biaisée de la réglementation les pénalise également sur leur enjeu de puissance. Par impossibilité de parler produit, les entreprises pharmaceutiques ont développé des approches très corporate, montrant leur engagement auprès des associations de patients et leur combat auprès des malades.
En réalité, la réglementation interdisant la promotion d’un produit pharmaceutique est un faux problème. Car ce n’est justement pas le produit qui intéresse le patient mais sa maladie. Et en la matière, la réglementation autorise l’information santé et donc le développement de contenu médical clair et concret sur les pathologies. Les laboratoires pharmaceutiques par leur stratégie trop institutionnelle perdent donc la double opportunité de répondre aux vraies attentes des patients sans prendre un quelconque risque juridique tout en construisant un leadership digital par aire thérapeutique. C’est là la clé pour assurer la domination de leur marché, tant vis-à-vis de leurs concurrents, que des alternatives de traitement qui fleurissent sur les réseaux et pourraient premièrement mettre en péril la santé du patient, et deuxièmement la pérennité de l’industrie elle même.
Une autre idée communément admise dans le milieu des laboratoires pharmaceutiques est qu’il faut séparer les sites dédiés au grand public et ceux dédiés aux professionnels de santé. C’est selon moi une erreur stratégique : disperser ses forces sur deux sites séparés ne permet justement pas de construire une position de leadership par aire thérapeutique. C’est également une mauvaise appréciation de la manière dont le numérique a perturbé l’influence classique de l’autorité médicale sur le patient. En effet, 70% des patients consultent le web indépendamment de leur consultation (source : CNOM). Une donnée qui devrait inciter l’industrie à une révolution copernicienne ! De manière concrète, cela signifie que le patient peut être très investi dans sa maladie et aussi averti sur l’actualité des traitements que son propre médecin ! Dans les services que peut rendre le laboratoire au médecin figure donc désormais l’apport de contenus qu’il pourra indiquer à ses patients. Le moyen le plus aisé de résoudre cet objectif est qu’il s’agisse d’un site que le médecin a lui-même croisé pour ses propres besoins.
S’ouvrir à de nouvelles formes d’influence via les réseaux
Cela m’amène à un troisième enjeu pour les laboratoires dans la révision de leur politique d’influence. Considérant encore très souvent que le patient n’est ni leur client ni même leur cible de communication, en particulier sur des pathologies présentant un risque vital, l’industrie n’a d’yeux que pour le professionnel de santé. A moyen terme, si elle veut pouvoir compter sur la mobilisation du patient pour préserver un remboursement par l’assurance maladie ou encore pour accélérer l’accès au soin, elle doit comme toute autre industrie qui a compris comment le numérique a donné le pouvoir à l’utilisateur final, s’appuyer sur le soutien de ses utilisateurs. Or l’acceptabilité sociale de l’industrie est ambivalente puisque la confiance n’est parfois même pas acquise et le risque que le patient écoute les sirènes de la désinformation et des charlatans n’en est que plus aigu. Une stratégie digitale en 2019 sera donc patient-centric ou ne sera pas…
Cela ne doit pas empêcher les laboratoires de progresser dans leur connaissance des attentes des professionnels de santé, justement grâce à la veille numérique. Si les infirmières et autres professionnels du secteur sont depuis longtemps très prolixes sur les réseaux, 2018 a été marqué en la matière par une percée des médecins sur Twitter, notamment à la faveur d’une meilleure digitalisation des colloques médicaux. Réconcilier la vision online et la vision offline de l’opinion des médecins et paramédicaux, est d’autant plus nécessaire qu’une partie de la profession ne souhaite plus recevoir les visiteurs médicaux. Et ce n’est pas par du « push-mail » que l’on remplacera une relation physique mais bien plutôt par de la conversation.
Sans réussir ces 3 enjeux, les entreprises pharmaceutiques ne pourront accéder au quatrième, celui de la pérennité de leur business-model. Construire leur leadership digital aujourd’hui, c’est préparer la rampe de lancement de leurs innovations demain. Trop souvent ghettoïsées dans un service R&D ou innovation, ces expérimentations qui constituent le futur métier des laboratoires risquent d’être mort-nées si ceux-ci ne disposent pas de plateformes digitales robustes et dominantes sur le cyberespace.
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