Dans son ouvrage « La Révolte des premiers de la classe, métiers à la con, quête de sens et reconversions urbaines » (Arkhê, 2017), le journaliste Jean-Laurent Cassely raconte ces jeunes qui fuient leur « bullshit job » à la Défense pour partir voir si l’herbe est plus verte ailleurs, mais toujours en ville. Vers une nouvelle vague d’artisans urbains.
Vous seriez plutôt foodtruck, café minimaliste, cave à vin ou bar à bières ? Pâtisserie, cuisine ou menuiserie ? Dans son ouvrage « La révolte des premiers de la classe, métiers à la con, quête de sens et reconversions urbaines » (éditions Arkhê, 2017), le journaliste Jean-Laurent Cassely va au-delà des quelques portraits consacrés à ces surdiplômés qui quittent leur costard pour devenir boucher, ébéniste ou vendeur de fromage, et que l’on peut régulièrement lire dans la presse féminine, managériale ou généraliste regroupés dans des dossiers « changer de vie ».
Patiemment, l’auteur se penche sur cette nouvelle vague d’entrepreneurs urbains, parce que, explique-t-il, « la population qui change de vie ouvre la voie à de prochaines vocations et amorce un phénomène plus massif ». Hier, les apprentis hippies partaient élever des chèvres dans la Larzac, demain, les travailleurs lassés partiront vendre des tartes maison dans un troquet au coin de la rue.
Le Monde a même lancé un appel à témoin en 2016, rappelle Cassely. Selon les chiffres de l’APEC cités par Le Monde, 14% des jeunes diplômés d’un Bac+5 auraient entrepris une reconversion dans les deux ans suivant l’obtention de leur diplôme. Surtout quand ils ont suivi le cursus en école de commerce, et ce, malgré le taux élevé d’insertion professionnelle que ce type de coûteuse formation offre à la sortie, souligne le journaliste. Taux d’employabilité et rémunération élevée ne font apparemment pas le bonheur. Et les belles histoires ne manquent pas : Augustin, qui quitte son job « flou » dans l’édition de logiciel pour lancer avec Michel la célèbre marque de « trublions du goût », ou encore celle d’un banquier qui profite de l’affaire Kerviel pour se lancer dans le fromage…
Sciences po et C.A.P cuisine
« Faut-il passer par un C.A.P cuisine après Sciences po et HEC ? », interroge Jean-Laurent Cassely. Gautier, né en 1982, jeune papa et ancien banquier raconte : « tous les matins, j’étais en costard sur le quai du métro, je voyais plein de mecs comme moi, avec la même dégaine. » Perdu, ne trouvant pas sa place, il se tourne vers sa première passion, la cuisine, et passe un C.A.P à l’école Ferrandi, raconte le journaliste. Il travaille aujourd’hui dans une épicerie fine « un peu bobo » de Paris, a divisé son salaire par deux, mais est « tout content ».
Témoignages à l’appui, Jean-Laurent Cassely remarque que : « le rapport au travail des jeunes générations est en train de changer », notamment à cause du « malaise face à la révolution numérique », du « sentiment de vacuité », voire même de la peur, « non dénuée de fondement », de risquer le déclassement. Les Y ne sont-ils pas les premiers à vivre moins bien que leurs parents ?
Et ils sont de plus en plus nombreux à abandonner l’open space pour mettre les mains dans le cambouis, la pâte à pain ou le lait caillé : selon l’Institut supérieur des métiers, cité par Jean-Laurent Cassely, 30% des reprises de sociétés artisanales le seraient par d’anciens diplômés du supérieurs, et jusqu’à 60% pour les créations parmi les nouveaux artisans.
L’auteur ne parle donc nullement d’un épiphénomène, mais bien d’une nouvelle vague, pour l’instant plus bruyante que chiffrée, mais qui risque bien de grossir.
Le métier à la con
En attendant l’arrivée de la génération Z sur le marché du travail, ce sont les autres qui se reconvertissent, poussés au changement par des métiers vides de sens. Comme Antoine, ancien de Sciences po, dont la situation « n’est pas à plaindre », mais qui parle de tristesse au travail. Attention, pour Jean-Laurent Cassely, cette crise de sens ne concerne pas seulement les Antoine, ces diplômés des professions intellectuelles, mais l’ensemble de la société, « car il est difficile de vivre sans avoir une image claire de sa contribution à la société ». Tous, fuient, ou espèrent fuir les « métiers à la con », selon l’expression de David Graeber, anthropologue qui a pris la tête d’Occupy Wall Street. Ces « métiers aux intitulés abscons et à l’utilité sociale difficile à saisir ».
Dans un ouvrage riche et bien construit, Jean-Laurent Cassely parvient à développer, si ce n’est un phénomène, un véritable problème de société. Ces « métiers à la con » marquent le lent déclin des professions intellectuelles. En effet, faire de longues et prestigieuses études ne met pas à l’abris de tâches rébarbatives en open space. Qui sont les candidats les plus fréquents à la reconversion ? Ceux que le journaliste nomme les « manipulateurs d’abstractions », des personnes diplômées dont l’intitulé de poste ferait frémir d’incompréhension nos grands-parents. Après ces métiers de l’abstrait, les travailleurs cherchent le « vrai », le manuel, le contact humain. Peut-être un retour à l’essentiel pour sortir de la spirale bullshit job / bore out ?
La Révolte des premiers de la classe, Jean-Laurent Cassely, Arkhê, 2017
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