Le gouvernement vient d’annoncer qu’il verserait une prime exceptionnelle, allant jusqu’à 1500 euros au personnel soignant, en reconnaissance de leur travail, tout aussi exceptionnel. Le geste est louable, et non négligeable – il va tout de même coûter 1,3 milliard d’euros à l’État – mais quel est son impact réel sur la motivation des travailleurs ? Par Faustine Duriez, Présidente de Cocoworker.com.
Mercredi 15 avril, interviewée pour le 20h de France 2, une infirmière partageait son inquiétude au sujet de cette prime. Loin de sembler motivée par le geste de l’État, elle expliquait ne pas comprendre d’où provenait cet argent si déjà les hôpitaux ne disposaient pas du matériel nécessaire pour travailler correctement. Plus intéressée par la possibilité d’effectuer son travail dans des bonnes conditions que par sa propre gratification, sa réaction interpelle. Et si la reconnaissance par la prime n’était pas seulement inefficace, mais aussi contre-productive ?
Une motivation nouvelle génération
Il est important de faire remarquer que notre rapport au travail a considérablement évolué. Bien plus qu’un simple « gagne-pain », nous le concevons désormais comme le lieu central de notre quête d’identité, de la création de sens et de notre réalisation personnelle (1). En d’autres termes, nous travaillons aussi pour nous faire des amis, par passion, pour avoir un impact sur la société, l’entreprise et notre entourage. Et en même temps que notre relation au travail a changé, notre motivation est passée à l’ère 3.0.
Dans son ouvrage « Ce qui nous motive vraiment », Daniel Pink explique pourquoi la motivation 2.0, plus connue sous le nom de la politique de la carotte et du bâton, perd en efficacité au XXIème siècle. Si la prime sur objectif semble fonctionner pour motiver sur des tâches assez mécaniques, elle n’est en revanche pas efficace pour engager sur un travail faisant appel à notre créativité. C’est-à-dire nous demandant d’expérimenter plusieurs possibilités pour définir une nouvelle solution. C’est par exemple la réflexion d’un publicitaire qui va apporter différentes idées pour capter l’attention d’une audience. Ou d’un médecin qui va développer son ingéniosité pour soigner un patient d’une maladie inconnue.
Les effets indésirables de la reconnaissance monétaire
Le système de récompense-punition n’est pas seulement inadapté à certains métiers, il comporte aussi plusieurs défauts. Dont celui de tuer la motivation intrinsèque, soit l’envie de faire des choses parce qu’elles comptent pour nous. Edward Deci, professeur de psychologie et de sciences sociales, a même conclu que l’efficacité des récompenses chiffrées diminuaient lorsque la motivation intrinsèque était forte. Et l’on devine que ce qui a motivé le personnel soignant à s’engager dans ce métier avait plus à faire avec le souhait d’être utile à la société que pour les avantages offerts par la profession. Daniel Pink ajoute que le risque de ce type de motivation est aussi de réduire notre performance, de nous inciter à tricher, de décourager une bonne conduite, d’empêcher la créativité, de favoriser un raisonnement à court terme et… d’engendrer une accoutumance.
Car l’effet d’une prime sur la motivation a une durée de vie limitée, on s’habitue à la recevoir quand elle n’est pas exceptionnelle, et on s’attend assez systématiquement à ce qu’elle augmente. C’est ce que le philosophe Christophe André pourrait qualifier d’ « habituation hédoniste », soit s’habituer à ce qui nous rend heureux et rendre l’extraordinaire – même en prime – banal.
Et si la reconnaissance monétaires avait pour objectif de nous pousser à un changement, il est prouvé qu’il ne sera pas durable. Le sociologue Alfie Kohn parle de « conformité provisoire » (2). Comme pour un régime qui n’aurait pas fonctionné, notre conduite pourra changer pendant un moment seulement. Pour lui, les primes et les récompenses ne modifient pas les comportements basiques liés à notre façon de nous comporter et ne créent pas d’engagement durable.
Rémunération ne rime pas avec motivation
Mais alors pourquoi continuons-nous à penser rémunération quand on nous parle de reconnaissance au travail et de motivation ? Une piste est celle qui s’attache à penser qu’au fond, les employés ne sont pas motivés par leur travail. Et cette perception semble ancrée chez les dirigeants. Dans leur livre « Le
pouvoir de la reconnaissance au travail » Jean-Pierre Brun et Christophe Laval nous apprennent qu’ils sont 89% à penser que lorsqu’un employé quitte l’entreprise c’est pour gagner plus d’argent, alors que seulement 12% des salariés répondent qu’ils partent pour un meilleur salaire. Et si l’on demande aux dirigeants quels sont pour eux les premiers facteurs de motivation des salariés, ils répondent le salaire, alors que les employés répondent l’appréciation du travail accompli (3).
Des enquêtes nous indiquent même que la rémunération arrive au 8ème rang sur dix choix de réponse comme source de motivation et de reconnaissance. La rémunération ne serait donc pas ce qui nous motive le plus. Mais elle reste évidemment essentielle. Et c’est par ailleurs la réclamation majeure des infirmiers et des médecins. Si l’on reprend la pyramide de Maslow, le salaire est ce qui nous permet de combler nos besoins physiologiques, comme manger, nourrir sa famille, payer son loyer. Et c’est là que nous allons percevoir la différence avec la motivation. La rémunération reste une partie contractuelle de notre travail.
Elle constitue ainsi une source de satisfaction et non une source de motivation. En partant du principe que la partie contractuelle avec ses salariés est réglée, à savoir qu’ils disposent d’une rémunération en phase avec le marché qui leur permettent de vivre convenablement.
Comment engager durablement ses équipes ?
C’est là que la motivation 3.0 intervient, et qui concerne notre aspiration à faire les choses pour les faire. Vous vous dites peut-être que nous n’avons pas tous la même affinité avec notre travail, la même dévotion que le personnel soignant, voire que nous sommes inégaux dans la nature et l’intérêt des tâches que nous effectuons et le sens qu’elles éveillent en nous.
Mais tout n’est pas perdu. Les recherches du professeur en psychologie et en économie comportementale
Dan Ariely (4) ont conclu qu’il existait bien des moyens permettant d’activer les racines de notre motivation intrinsèque.
4 méthodes pour activer notre motivation intrinsèque
La première consiste à valoriser le travail et l’engagement de ses employés. Reconnaître les comportements vertueux et l’investissement des équipes peut en effet s’avérer très efficace. Une enquête (5) révèle que 69% des salariés affirment qu’ils travailleraient davantage s’ils sentaient que leurs efforts étaient mieux reconnus. Il existe même des dispositifs permettant aux salariés de se reconnaître entre eux. Car si l’on pense automatiquement à la reconnaissance managériale pour valoriser les équipes, les études nous apprennent que la reconnaissance par les pairs est le facteur premier d’amélioration de la performance (6). Et cerise sur le gâteau, cette amélioration semble aussi s’établir sur le long terme.
Le deuxième levier pour libérer la motivation intrinsèque de ses salariés consiste à… leur faire confiance. Selon Ariely, rien ne sape plus la motivation que la bureaucratie et les procédures contraignantes. Perte d’autonomie et sentiment de n’être qu’un pion remplaçable, imposer des procédures amène les salariés à se poser la question du sens de ces règles et de leur singularité. Il prend ainsi l’exemple d’un centre d’appel qui imposait à ses salariés de lire un script établi aux clients, et qui a vu ses ventes décoller le jour où le management a permis aux équipes d’adapter le scénario.
Leur donner du challenge constituerait la troisième manière la plus efficace pour les engager. Réaliser des efforts pour accomplir une tâche réveille en nous un sentiment de fierté. Nous trouverions plus de sens à notre emploi quand la tâche à accomplir est difficile. Confier de nouvelles tâches à ses employés leur permettraient de s’épanouir davantage, tout en étant bénéfique à l’entreprise.
Le dernier moyen identifié surprendra au vu des paragraphes précédents car il propose… une motivation financière. Mais le professeur ne pense pas ici à des primes, il recommande plutôt d’investir dans des avantages sociaux (mutuelle, tickets restaurants, chèques vacances) qui ont le mérite de montrer que l’entreprise se soucie des impératifs de ses salariés.
Henri Ford disait que les deux choses les plus importantes n’apparaissent pas au bilan de l’entreprise : sa réputation et ses hommes. La période que nous vivons met en lumière ces deux actifs qui se révèlent être des piliers pour faire face à une crise sanitaire et économique mondiale. Pour illustrer mon propos, je terminerais avec un exemple personnel : la propriétaire de mon immeuble nous a récemment informé qu’elle offrait à tous ses locataires une bouteille de vin pour aider le caviste qui est en bas de chez nous, et mon équipe vient de me proposer de baisser son salaire pour réduire nos charges pendant cette période tendue. Des gestes impensables pour un commerce ou une entreprise qui n’a jamais cherché à considérer les différentes parties prenantes de son écosystème. L’humain a été au centre de bien des discours, il est grand temps de le reconnaître au travail.
1 « Le pouvoir de la reconnaissance au travail » Jean-Pierre Brun et Christophe Laval
2 Harvard Business Review http://hbr.org/1993/09/why-incentive-plans-cannot-work/ar/1
3 Grimme D & Grimme S, 2008
4 « Payoff : The Hidden Logic That Shapes Our Motivations » Dan Ariely, 2016
5 https://officevibe.com/blog/infographic-employee-feedback
6 Gubler et al., 2016 ; Merino & Privado, 2015
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