Souvent présentée comme une technique efficace, la méditation de pleine conscience est à nouveau sur la sellette. La recherche qui vient de paraître dans le magazine « Organizational Behavior and Human Decision Processes »[1] sous la houlette d’Andrew Hafenbrack et de Kathleen Vohs risque de détruire quelques affirmations reprises par une presse souvent dénuée de sens critique.
Le New York Times[2] a lancé un pavé dans la mare en publiant un article contestant l’idée selon laquelle la pleine conscience apporterait de nombreux bienfaits à l’entreprise. La conclusion de cet article est d’ailleurs sans la moindre équivoque : « Don’t Meditate at Work ». Sur la base d’anciennes recherches démontrant un lien entre cette pratique et la satisfaction au travail, la pensée rationnelle ou la résilience émotionnelle, de grandes enseignes comme Google, Apple ou Nike ont mis à disposition de leur personnel américain des salles de méditation dédiées à la pratique de la pleine conscience. De nombreuses écoles de management en ont même fait leur fer de lance, y compris en France. En effet, plusieurs Business Schools françaises ont suivi le mouvement sans trop se poser de questions. Très en pointe, l’Ecole de Management de Grenoble a créé la chaire « Mindfulness, bien-être au travail et paix économique » sous la houlette de Dominique Steiler. L’IÉSEG School of Management de Lille propose depuis deux ans « Mindfulness & Management », un cours parmi les mieux notés par les étudiants.
Or, et c’est là que le bât blesse, l’étude qui vient de paraître [3] démontre que la pleine conscience diminue la motivation au travail et n’augmente pas la performance des employés, un constat en opposition avec le discours marketing des coaches en charge de la promotion de cette technique de méditation. Andrew Hafenbrack, professeur à la Católica Lisbon School of Business & Economics au Portugal et Kathleen Vohs, professeur à la Carlson School of Management de l’Université du Minnesota sont partis d’une intuition : la pleine conscience serait être contre-productive dans un environnement de travail. Principale raison selon les chercheurs ? La technique consiste à observer sans jugement le flux des pensées en portant son attention sur la respiration, ce qui favorise l’acceptation des choses telles qu’elles sont. Or, les entreprises ont besoin d’employés motivés qui aillent toujours plus loin, ce qui nécessite un certain degré de mécontentement vis-à-vis du présent, ce qui est en contradiction avec les effets de la pleine conscience.
Fallait-il encore tester cette intuition sur le terrain, ce que les deux chercheurs ont fait. Ils ont conduit cinq études impliquant des centaines de personnes formées à la pleine conscience par des coaches professionnels. Les exigences scientifiques comme les principes du double aveugle et du groupe témoin ont été respectées. En effet, deux groupes témoins ont été constitués, un premier dont la motivation était mesurée sur une base écrite et un second sur une base de lecture. Le résultat est clair : la méditation de pleine conscience tend bien à démotiver (voir graphique). Parmi les groupes des personnes qui avaient pratiqué la pleine conscience, les niveaux de motivation étaient en moyenne plus bas. Les deux chercheurs se sont attaqués ensuite au suivi des performances réelles des participants quant aux tâches qui leur avaient été confiées. En moyenne, ils ont noté que la pleine conscience n’avait ni profité ni nui à la qualité du travail des participants.
Les constats de cette étude constituent sans doute une mauvaise nouvelle pour les nombreux coaches qui préconisent l’adoption de la pleine conscience par les entreprises. D’où la question : comment un tel fossé entre les faits et la réalité a-t-il pu se creuser ? L’engouement de la presse a certainement joué sa part dans cette distorsion. La pleine conscience, qui a fait l’objet de 1200 études à fin 2015, a donné lieu à plus de 32000 articles de presse aux seuls États-Unis ! En outre, la validité scientifique de certaines de ces études a été fortement contestée, un fait reconnu publiquement par John Kabat-Zin, fondateur de la ‘mindfulness’ lors de la Conférence qu’il a donnée à l’Ecole de Médecine de l’Université de Strasbourg en novembre 2016 [4] : « toutes ces recherches ont aidé à populariser la méditation de la pleine conscience, même si beaucoup d’entre elles ne respectaient pas les plus hautes exigences scientifiques ».
Cette contestation a trouvé son apogée l’an dernier avec la publication d’une recherche conduite de Nicholas Van Dam, psychologue clinicien et chercheur en sciences psychologiques à l’Université de Melbourne (Australie) [5]: cette méta-analyse, à laquelle ont participé quinze chercheurs de plusieurs universités dans le monde, a montré que les preuves des bienfaits de la pleine conscience sur la santé étaient insuffisantes alors que cette technique dérivée du Bouddhisme fait aujourd’hui encore l’objet d’un véritable engouement médiatique. Les études scientifiques sur les effets en entreprise ont-elles souffert des mêmes défauts ? Probablement si l’on se fie à l’étude de Kathleen Vohs et Andrew Hafenbrack. Espérons que les Business Schools adopteront une attitude plus scientifique vis-à-vis de cette technique et que le discours des coaches se limite aux seuls faits validés par la science.
[1] Organizational Behavior and Human Decision Processes, Volume 147, July 2018, Pages 1-15
[2] Edition du New York Times du 14 juin 2018.
[3] L’étude s’intitule « Mindfulness Meditation Impairs Task Motivation but Not Performance »
[4] Cette conférence est disponible sur Youtube.
[5] L’étude en question a été publiée le 10 octobre 2017 dans la revue scientifique “Perspective on Psychological Science » : “Mind the Hype: A Critical Evaluation and Prescriptive Agenda for Research on Mindfulness and Meditation”, Nicholas T. Van Dam, Marieke K. van Vugt, David R. Vago, Laura Schmalzl, Clifford D. Saron, Andrew Olendzki, Ted Meissner, Sara W. Lazar, Catherine E. Kerr, Jolie Gorchov, Kieran C. R. Fox, Brent A. Field, Willoughby B. Britton, Julie A. Brefczynski-Lewis, David E. Meyer. Perspectives on Psychological Science. First Published October 10, 2017 Research Article.
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