Quelles sont les nouvelles attentes de la génération Y ? Le baromètre DOMPLUS GROUPE – BVA évalue chaque année, depuis 2 ans, les préoccupations des moins de 35 ans en matière d’emploi. L’enquête a été menée du 14 au 19 janvier dernier auprès d’un échantillon de 1000 personnes représentatif de la population française âgée de moins de 35 ans (dont 729 jeunes actifs en emploi). Elle met notamment en lumière trois dimensions majeures que j’examine ici : le besoin de « liens », le rapport à la reconnaissance et donc à l’engagement et enfin la question de l’équilibre vie professionnelle / vie personnelle.
Une attente forte de la génération connectée en matière de « liens »
Pour Arnaud Vallin, directeur Marketing social & usages du groupe DOMPLUS (et directeur de cette étude), « les milleniums ont de fortes attentes en termes d’épanouissement personnel aussi bien que professionnel ». Cela se joue notamment au niveau de l’ambiance générale dans les équipes de travail (49% des répondants, +2 pts par rapport à 2018) qui est le premier item cité s’agissant de leurs attentes à l’égard des entreprises – suivi par la possibilité de progression (42%, +1 pt).
A mon sens, on peut y voir l’expression de ce besoin de liens affectifs dont parle le sociologue (et directeur de recherches au CNRS) Michel Maffesoli dans son ouvrage Homo Eroticus. La sphère professionnelle se doit aujourd’hui de manifester un positionnement clair en faveur d’un « être ensemble » dont la convivialité est une dimension. Alors que certains « anciens » semblent déplorer, s’il on en croit un autre sociologue, Norbert Alter (lequel m’a inspiré, l’an passé, la « parabole du jéroboam » ), un net recul des instants festifs dans l’entreprise, cette enquête vient opportunément rappeler l’attachement intergénérationnel à des pratiques créatrices de liens…
Mais c’est peut-être aussi là l’expression d’une vision de l’entreprise comme un lieu d’apaisement et moins de conflit : dans le sillage des travaux que conduisent Dominique Steiler et son équipe sur la Paix Economique à Grenoble Ecole de Management, on pourrait y déceler ainsi un besoin de relations apaisées avec les autres, l’envie d’une ambiance propice au développement personnel dans un monde en quête d’apaisement.
Des jeunes actifs plus engagés qu’on ne le pense trop souvent
A l’encontre de certaines idées reçues, selon notre enquête les milléniums sont engagés au sein de leur entreprise (66% des jeunes actifs). Cette nouvelle édition du baromètre fait ainsi apparaître que les jeunes actifs ont bien le sens de l’engagement : « Le lien au travail n’est pas rompu, il prend juste de nouvelles formes et il est conditionné à de nouvelles exigences », précise Arnaud Vallin. D’ailleurs, plus de 30% d’entre eux se rendent à leur travail malgré un arrêt de travail (27%) voire posent un jour de congé (6%).
Là encore, il est utile voire nécessaire de rappeler cette évidence : Homo Faber a besoin de sa « dimension de l’œuvre » pour exister, et, partant, d’une forme de reconnaissance sociale, de cette estime sociale qui se joue dans nos vies professionnelles. Il apparaît ainsi que la « lutte pour la reconnaissance », thèse du philosophe et sociologue allemand Axel Honneth, demeure la colonne vertébrale de nos motivations : agir pour obtenir la reconnaissance de nos pairs, de nos « communautés », de nos managers… En ce sens, les jeunes actifs interrogés manifestent très clairement leur besoin de reconnaissance.
Si l’on partage ce qui précède, il va donc nous falloir faire preuve d’innovation pour imaginer, dans et en périphérie de l’entreprise, de nouvelles formes de reconnaissance, plus collectives, plus en lien avec le monde digital et plus connectées à la responsabilité sociétale de l’entreprise tout autant qu’à ses enjeux de transformation – ce qui n’est pas antinomique.
Equilibre vie pro – vie perso : l’éternelle quête
« On constate aujourd’hui une grande porosité des sphères de vie », indique Arnaud Vallin. Ainsi 54% des jeunes en emploi effectuent des tâches personnelles durant leur travail et 47% des tâches professionnelles en dehors de leur temps de travail ; 45% d’entre eux ont le sentiment que leurs préoccupations personnelles impactent leur concentration au travail. Pour autant, ils sont 75% à estimer parvenir à concilier vie privée et vie professionnelle, résultat éminemment positif qui est peut-être le juste produit des efforts consentis par les grands groupes notamment au bénéfice de leurs salariés – mais sans doute aussi le signe d’une exigence de plus en plus forte qu’ils manifestent à l’égard de cet équilibre.
Cette observation est intéressante, car elle souligne cette porosité de plus en forte entre les deux sphères qui conduit des entreprises à adopter, notamment, des « droits à la déconnexion » – c’est le cas par exemple chez BNP Paribas Cardif. Plus globalement, le fait de fixer des règles de bonne conduite, comme l’interdiction des réunions après 17h, tend à se développer dans les grandes entreprises (cela se fait dans certaines entités à la SNCF). En ce sens, parler de « symétrie des attentions » ou, comme je le fais, de « care », n’a aucune portée si des considérations aussi pratiques ne font pas l’objet d’un consensus.
In fine, on retrouve ici l’expression de l’affaissement d’un mythe, celui de l’entreprise perçue comme un monde clos, déconnecté de la vie des personnes, alors que les frontières semblent abolies de plus en plus – digital oblige (je consulte à titre personnel un réseau social sur le lieu de travail versus je consulte mes mails professionnels en soirée ou le week-end…). Notre étude rappelle donc opportunément combien cette « illusion du management » tend à s’effacer au bénéfice d’une vision plus polychrome de l’univers de l’entreprise.
Benoît MEYRONIN
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