A quoi ressemblera le travail demain ? Serons-nous tous entrepreneurs nomades ? Le contrat commercial aura-t-il remplacé le contrat de travail et l’intermittence sera-t-elle devenue la règle ? L’entreprise modulaire et les fabs labs auront-ils eu raison du bureau et de l’usine traditionnels ? Les espaces de co-working et les réseaux professionnels se substitueront-ils au travail en équipe et aux espaces de dialogue social ? Autant de questions qui émanent des bouleversements portés par la révolution technologique et par la numérisation de l’économie. Elles renouvellent aujourd’hui les termes de la réflexion, déjà engagée, sur les mutations du travail et sur son avenir.
La pénétration massive de l’informatique et plus récemment d’internet dans le travail, la vie familiale ou les loisirs a transformé radicalement les mécanismes de transmission et d’appropriation des savoirs. On est passé d’une économie industrielle à une économie des savoirs au cours des quinze dernières années du XXème siècle (Fogel, 2013). En effet, information, connaissance et savoir sont devenus les matières premières les plus utiles. On assiste à un maelström d’informations aux statuts divers. En outre, l’augmentation exponentielle et le rythme des découvertes scientifiques et techniques rendent indispensable la mise à jour au quotidien de connaissances dans la majorité des métiers. L’économie se développe autour des termes comme « services » ou « net-économie ». C’est un capitalisme cognitif qui se dessine dont la principale source de valeur serait l’information.
La vivacité du changement social et les effets des mutations économiques contraignent les individus à toujours plus d’adaptabilité, les poussant à l’auto-formation permanente. Le modèle scolaire qui était entièrement façonné par le scénario de la transmission par le maître et le formateur se métamorphose en « sujets sociaux apprenants ». La nouvelle donne socio-économique engendre une société cognitive où la principale richesse réside dans les savoirs et les compétences (Conseil national du numérique, 2016).
Cette économie fondée sur le savoir s’appuie maintenant sur l’irruption et le développement spectaculaire des technologies de l’information et de la communication (TIC). Des investissements massifs dits « immatériels » ont été réalisés dans les domaines à haute valeur ajoutée intellectuelle comme l’éducation, la formation, la recherche-développement, le logiciel[1].
Nous sommes à présent entrés dans l’ère d’un « capitalisme cognitif » (Carré, 2005) dont les valeurs fortes sont connaissance, innovation, créativité, initiative, autonomie. Le capital humain en entreprise se transforme en un ensemble de connaissances, d’aptitudes, de compétences, pour produire des biens et des services ou des idées dans les conditions de marché.
L’entreprise va se préoccuper davantage des dynamiques individuelles de l’action, de l’apprentissage et de l’investissement individuel. Le travailleur doit désormais prendre des décisions et mobiliser un capital humain qui lui est propre dans l’exécution de la production. Mais il est également responsable de sa mobilité et de sa trajectoire professionnelle au regard de l’insécurité de l’emploi et des marchés internes. Les carrières se sont radicalement transformées et obligent le salarié à changer d’entreprise, de région (voire de pays), de métier, de statut plusieurs fois au cours de sa vie active (Boutinet, 2009). De ce point de vue, la mise en réseau informatique renforce considérablement, aujourd’hui, la double dimension auto-formative et collaborative des nouvelles situations de travail (Blandin, 2000 ; Depover et Marchand, 2002).
Apprendre par les autres (les pairs, les ressources internes et externes), sans limite géographique ni priorité de statut ou de fonction, apparaît ainsi comme étant l’une des modifications majeures à l’ouverture permise par les nouveaux réseaux et dispositifs de formation dans le contexte professionnel. Le nombre de données numérisées mises à la disposition des utilisateurs augmente chaque jour. Les salariés sont amenés par conséquent à gérer l’abondance de l’information, attitude nouvelle pour eux qui avaient surtout l’habitude de gérer la pénurie. Le problème de la gestion de l’abondance se pose aussi avec la messagerie électronique et le cumul des nombreux outils de communication.
Enfin, le travail exige une gestion du temps de plus en plus délicate. En effet, l’utilisation des TIC est très chronophage : les temps d’apprentissage, de mise au point, d’attente, de dépannage des systèmes sont trop longs par rapport au temps de traitement toujours plus rapide. Ce temps n’est bien souvent, ni prévu, ni reconnu par l’entreprise (Monneuse, 2013).
On constate que toutes les générations sont impactées par ces changements d’organisation, sociétaux, technologiques et que ce phénomène social entraîne de nouveaux comportements. De nombreux travaux ont vu le jour et distinguent les impacts de ce phénomène social par tranche d’âge (Dagnaud, 2011).
La transition numérique se met en place. Des médias à l’automobile en passant par le tourisme, l’agriculture ou la santé, c’est désormais toute l’économie qui devient numérique. De nouveaux modèles d’affaires, portés par de puissants effets de réseau et l’exploitation des données à grande échelle, bousculent les réglementations et notre modèle social.
L’économie numérique tend à la concentration des marchés, même si l’innovation peut à tout moment remettre en cause une position dominante. Elle nourrit aussi des inquiétudes légitimes sur l’avenir de l’emploi : au-delà de son impact sur certaines professions, l’économie numérique modifie structurellement la répartition des emplois et met fin à une tendance longue d’expansion du salariat, posant de nouveaux défis au droit du travail et à la protection sociale (Conseil d’analyse économique, 2015).
La multiplication des activités à effets de réseau dans l’économie numérique s’explique par l’abaissement des coûts de transaction : les technologies numériques rendent plus facile l’authentification de l’autre partie d’une transaction, facilitent l’apprentissage de la réputation, permettent de communiquer aisément et de retracer les échanges – en d’autres termes, d’établir de la confiance entre des parties ne se connaissant pas. De là vient l’apparition de ces immenses plateformes, sur lesquelles amateurs ou semi-professionnels peuvent trouver des clients dans des conditions optimisées et sécurisées et leur offrir des services d’une qualité parfois supérieure à celle offerte par les professions traditionnelles[2].
« Ubérisation ». Ce néologisme à la mode cache un bouleversement économique. Grâce à la démocratisation du haut débit, des smartphones et de la géolocalisation, des entrepreneurs lancent partout de nouvelles plateformes en ligne, le plus souvent des applications, qui mettent en relation des travailleurs freelance et leurs clients sans passer par les intermédiaires classiques. Transport, logistique, tourisme, services à la personne, restauration, banque.
Cette nouvelle forme d’activité est en train de gagner du terrain de façon fulgurante dans presque tous les secteurs. Selon les experts du cabinet Deloitte (2015), qui la qualifient d’« économie à la demande », elle devrait peser 100 milliards de dollars d’ici trois ans. En revanche, l’uberisation est une bien mauvaise nouvelle. Cette nouvelle organisation du travail va conduire les salariés à adopter une posture de réflexivité permanente pour anticiper les évolutions du marché et gérer leurs compétences comme un patrimoine.
Ce sont eux qui sont désormais sollicités et qui évalueront eux-mêmes l’évolution de leurs parcours, le calcul des risques et le coût de la correction. Il s’agira autant de se protéger de la perte d’emploi que de repérer les emplois satisfaisants. Les salariés seront ainsi ponctuellement confrontés à un marché d’emploi fluctuant dans lequel la flexibilité régit l’avenir des entreprises. Etre salarié devient une expérience individuelle selon Dubet (2011). En effet, le modèle intégré qui permettait à chaque acteur de trouver sa culture d’appartenance, les gammes de comportements adaptés et prescrits n’est plus. Son constat est que la structure sociale se fractionne en une multitude de composantes disjointes. Cette analyse nous amène à penser que chaque individu a pour travail de construire le sens de son appartenance, de son intégration et de sa subjectivité. La polyvalence, l’initiative et la responsabilité, jadis spécifiques au groupe des cadres, sont désormais attendues de tous.
Ces plateformes d’intermédiation peuvent opérer à une échelle sans précédent (comme Uber dans le transport de personnes). Les rendements croissants viennent aussi des algorithmes d’apprentissage (machine learning), utilisés par les entreprises numériques pour améliorer constamment leurs performances (coût, efficacité, qualité) grâce à la collecte et au traitement de volumineux flux de données. Enrôlé par l’entreprise, le client contribue à faire connaître le bien ou le service, prend en charge le support client voire fait du lobbying auprès des pouvoirs publics. Cette « viralité » de l’économie numérique renforce les effets de réseau (Dubet, 2011). Le développement de l’économie numérique provoque la disparition tendancielle d’un certain nombre de professions.
Les technologies numériques permettent d’équiper les utilisateurs des outils nécessaires pour exécuter eux-mêmes certaines tâches, faisant disparaître les professions correspondantes (par exemple, l’achat en ligne affecte la profession de vendeur en magasin) ; le report sur la multitude : dans certains cas, ce n’est pas le consommateur lui-même qui prend en charge la production, mais la multitude des internautes (Bidet-Mayer, 2016).
Devant ces nouvelles « opportunités » d’emploi les individus sont confrontés au paradoxe du choix entre, d’une part, les avantages liés à la flexibilité et à la possibilité de monétiser le temps disponible et, d’autre part, l’imprévisibilité des revenus et l’absence de stabilité de l’emploi. Toutefois l’introduction de technologies de rupture et la diffusion toujours plus importante des outils numériques posent aussi les enjeux humains.
[1] Rapport du Conseil national du numérique (2016).
[2] Les notes du conseil d’analyse économique, (2015).
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