Le changement de civilisation qui se déroule sous nos yeux vient impacter l’essor traditionnel du salariat. En effet, on note la poussée cumulée de l’intrapreneuriat et l’émergence numérique des auto-entrepreneurs.
Le philosophe Michel Serres l’a écrit : » Nous ne vivons pas seulement une crise économique mais une crise de civilisation » et effectivement les formes de travail évoluent.
1 ) L’extension désormais contrariée du salariat :
Au premier abord, il a été affirmé que les technologies allaient se déployer dans un cadre social marqué par l’extension du salariat. En France, en 1982, les non-salariés représentaient 13,9% de la population active, 10,7% en 2002 et 9,68% en 2012. Une étude de l’Insee parue le 17 février courant ( https://www.insee.fr/fr/statistiques/2012800 ) actualise ces données et montre le tassement du salariat.
L’idée que le salariat aurait connu son pic de gloire et serait à l’aube de son reflux du fait des travailleurs indépendants n’est pas encore confirmée, loin de là. Mais on ne saurait l’écarter.
Le regain récent des indépendants est dans un certain nombre de cas un signe d’adaptation à la crise, le travail non salarié pouvant être, pour des salariés menacés, la seule solution pour échapper au chômage. Mais ce regain est en même temps susceptible de jouer un rôle important dans la création d’emplois : par exemple lorsque certaines grandes entreprises ont réduit leurs effectifs pour se recentrer sur leur métier de base et externaliser leurs activités périphériques en recourant à la sous-traitance.
Le débat est donc ouvert sur la question de l’extension endiguée du salariat. Une chose est communément acquise : il n’est pas aisé en France de réussir sa création d’entreprise et d’en vivre. Il suffit de relever le décrochage des revenus qui existe entre un ancien salarié de classification « x » et ce qu’il peut percevoir, à horizon trois ans (voire cinq) , de son entreprise. Ce thème crucial est rarement mis en avant par les travaux statistiques alors qu’il est une composante majeure de la situation : voir revenus médians des chauffeurs Uber et leurs récentes protestations.
2 ) Une piste à explorer : la notion d’intrapreneur
Selon C. Carrier (« De la créativité à l’intrapreneuriat », Presses de l’Université du Québec, 1997), la genèse de l’intrapreneuriat est à localiser en Suède, dès 1979, où des consultants avaient élaboré un cycle de formation visant à susciter l’innovation et à promouvoir les » bonnes idées » des salariés. Usuellement, le concept d’intrapreneur a pour initiateur l’américain Ginford Pinchot du fait de son livre à succès : » Why you don’t have to leave the corporation to become an entrepreneur » ( 1985 ).
Au plan juridique, l’intrapreneur reste le plus souvent salarié de l’entreprise mais peut se voir confier un mandat social en devenant responsable d’une filiale spécialement constituée pour porter son projet préalablement validé par sa hiérarchie.
Ainsi, pour le grand groupe, c’est un moyen de s’attacher des talents créatifs qui, bridés, auraient pu être tentés de quitter l’entreprise. Symétriquement, pour l’innovateur qu’est souvent l’intrapreneur, c’est un moyen de faire prospérer ses idées sans prendre l’intégralité des risques inhérents à la création d’entreprise.
Le destin de la filiale ou du département dédié peut être multiple. Dans certains cas, le succès entraîne une réintégration plénière dans le groupe. Dans d’autres une externalisation par cession ( « spin-off » ). Enfin, parfois, le succès n’est pas au rendez-vous et le salariat reprend le dessus.
Dans un rapport de recherche pour l’Université Lyon I, Claire Vivet rapporte un point sensible issu de deux études distinctes de Eric Von Hippel et de Ralph Biggadike : » Ces études montrent que les problèmes les plus difficiles à résoudre, les moments les plus critiques, se situent souvent dans la période intermédiaire entre la mise en route ( découverte d’une idée ) et l’acceptation du produit nouveau par l’utilisateur « .
Effectivement, le temps de gestation est associé à une pression sur l’intrapreneur et son équipe qui peut être, in fine, stérile car démotivante. Des groupes comme Royal Dutch Shell ou encore L’Air Liquide ont su réaliser une alliance entre innovations externes et internes : https://www.airliquide.com/fr/innovation-connectee/notre-demarche-dinnovation
En fait, l’intraprenariat peut être une piste féconde pour l’essor personnel et professionnel de hauts potentiels et – parallèlement – venir alimenter concrètement le renouveau stratégique des firmes en favorisant l’émergence d’innovations disruptives.
3 ) Culture d’entreprise et grappes d’innovation
Depuis Schumpeter, il est acquis que l’innovation se répand par processus itératifs, par constitution de grappes. Dès lors, l’intraprenariat peut représenter un vecteur de l’émergence et de la diffusion de l’innovation, que celle-ci soit graduelle ou de rupture.
D’évidence, cela suppose des choix stratégiques majeurs en matière de culture d’entreprise. Songeons ici à 3M qui a octroyé jusqu’à 15% de leur temps de travail à certains collaborateurs pour développer des recherches personnelles. On retrouve là, indirectement, le » wandering thinking » ( pensée errante et découvertes inopinées : sérendipité ) et le » think out of the box » ( pensée hors des sentiers battus ). Face aux défis de l’accélération de l’incorporation du progrès technique, ces deux méthodes sont très clairement des voies d’accès vers des facteurs-clefs de succès.
Deux éléments de conclusion : un leader mondial diversifié comme Alphabet ( Google ) incite à l’intrapreneurship et lutte contre le modèle encore trop répandu de l’entreprise pyramidale.
Essaimer – en France – des politiques d’intrapreneuriat de manière nettement plus affirmée qu’à ce jour pourrait aussi constituer un vecteur pour attirer nos jeunes ingénieurs qui, trop souvent, optent pour un départ de France au grand regret de personnalités aussi diverses qu’Henri Lachmann ( ex-Schneider ), Pascal Cagni ( ex-Apple ), Pierre Bellanger ( Skyrock ) ou Xavier Niel.
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