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Intrapreneuriat : Les Entreprises Ne Fonctionnent Pas Comme Les Start-Up

Les grandes entreprises, confrontées à la difficulté d’innover, tentent pour certaines de stimuler la voie de l’intrapreneuriat – terme qui sonne comme une recette miracle – souvent packagée dans un format « programme d’intrapreneuriat » ou « concours d’innovation interne ».  Est-ce là une réelle voie royale de transformation pavée de bonnes intentions,  ou une route boueuse et chaotique?

L’intrapreneuriat a pour but de faire émerger en interne des idées innovantes pour l’entreprise, puis de permettre à des salariés de les développer en mode « entrepreneur » interne.

Quand on est partisan de l’innovation en entreprise et à tout niveau, il est difficile de ne pas se réjouir de ces initiatives. Pour autant, si elles sont menées sans réflexion réelle et profonde sur la culture de l’entreprise et de ses salariés, ces initiatives se concluent souvent par des désillusions qui peuvent avoir des conséquences désastreuses et entamer durablement la dynamique d’innovation. Une sorte d’effet de mode qui, mal pris en main, peut donc coûter cher !

Force est de constater que les succès sont rares. Le taux de réussite empirique étant comparativement inférieur à celui des start-up nées ex nihilo et disposant de fonds et de supports équivalents. Tentons d’analyser ces démarches pour identifier les faiblesses qui peuvent expliquer les désillusions, et mettre le doigt sur les points à consolider pour favoriser des résultats moins décevants, voire plus probants.

Initiation : la forme du concours est largement répandue

Dans bon nombre de groupes, l’intrapreneuriat se traduit par la création d’un concours interne d’innovation. Les collaborateurs sont invités, seuls ou en groupe, à proposer des idées. Après plusieurs phases, un jury analyse les projets et retient ceux qui semblent prometteurs. Les collaborateurs lauréats sont ainsi valorisés et ont la possibilité de porter le projet choisi.

Le problème réside ici dans la motivation première des collaborateurs qui participent à ces concours. Nombre d’entre eux entrent dans ce format pour sortir du lot, se faire « bien voir » ou trouver une forme de reconnaissance. Si leur idée est retenue, il y a peu de chance qu’ils la portent avec succès car leur intérêt n’est pas nécessairement de quitter leur poste pour porter le projet, mais plutôt de rester en poste et espérer évoluer rapidement. Il arrive que l’idée ne trouve finalement pas de porteur volontaire et se trouve reléguer dans un tiroir.

Ceux qui acceptent de porter un projet ont des profils variés.

Souvent, ce sont des collaborateurs qui n’ont pas de hautes responsabilités ou sans posture managériale. L’idée de porter un projet leur semble être l’opportunité d’évoluer rapidement, mais la formation et le profil ne suivent pas nécessairement, en dépit de tout le support qui peut être mis à leur disposition. Le défaut de posture est parfois trop important pour être gommé. Aucune baguette magique n’insuffle un esprit d’entrepreneur, ou a minima de chef de projet, à une personne qui n’est pas faite pour cela. L’ennui c’est que le collaborateur peut y croire, et sa hiérarchie le conforter dans sa décision, au risque de voir la grenouille de la fable éclater en voulant se faire bœuf. La méthode Coué fonctionne rarement et la chute s’en trouve brutale, tant du point de vue professionnel que personnel.

Et puis, il y a les profils semblable aux profils d’entrepreneur, qui apprécient de pouvoir porter un projet dans une structure où ils auront les moyens et les ressources nécessaires pour avancer efficacement, avec une notion de risque largement amoindrie. Ces profils sont rares et c’est là que j’aime à dire que ce sont au départ des « erreurs de recrutement », du moins si l’on s’attache aux processus traditionnels de recrutement ! Et si l’intrapreneur ne compose qu’avec l’incertitude et moins le risque, nous sommes en droit de nous interroger sur les chances de succès du projet car le moteur, l’énergie de l’intrapreneur n’est sans doute en rien comparable à celle d’un entrepreneur qui joue sa vie sur la réussite ou non de son projet d’entreprise.

Le confort relatif ne serait-il pas finalement contre-productif ?

L’intrapreneur ne sera-t-il pas tenté de baisser les bras dès qu’un obstacle de taille se présente, comme des blocages politiques internes ou certaines planches savonnées ? Cherchera-t-il réellement un moyen de les contourner ou jettera-t-il l’éponge ? Autre point, l’intrapreneur doit se montrer assez fort mentalement, et soutenu, pour non seulement « habiter sa nouvelle peau », mais aussi faire face à ses collègues qui peuvent nourrir des sentiments de jalousie, d’incompréhension, de rancœur, qui peuvent humainement difficile à vivre.

L’exécution et le suivi du projet

Dans les faits, le collaborateur parachuté « intrapreneur » n’a pas, le plus souvent, sauf accident de recrutement, le profil de l’entrepreneur, et ce même s’il occupe un poste de manager ou de chef de projet habituellement. De plus, s’il part d’une idée innovante, il évolue dans un cadre qui reste contraignant. Son indépendance est relative, tout comme sa marge de manœuvre.

De même, le poids de son statut passé peut représenter un obstacle non négligeable dans l’acceptation et l’assumation de sa posture d’entrepreneur interne. Porter un projet dans ces conditions et l’emmener vers le succès rêvé est difficile. Il sera compliqué par exemple de remettre en question l’idée de départ, acceptée et approuvée par la hiérarchie. L’identification du collaborateur au projet étant forte, tout revers subi est mal vécu car le collaborateur peut se sentir dévalorisé et craindre, en dépit des clauses contractuelles, que son emploi ou son évolution soient menacés à terme. La crainte de perdre la face en interne est un risque mal vécu qui nuit au principe même de la liberté d’entreprendre. En effet la liberté du collaborateur est soit trop restreinte, s’il a réellement un profil d’entrepreneur, soit trop grande s’il a un profil de salarié un peu trop éloigné des réalités de l’entrepreneuriat et qui, jusque-là, bénéficiait d’un encadrement assez directif, ou du moins normé.

Dire donc que le rôle de l’intrapreneur serait de diffuser une certaine culture entrepreneuriale (que bien souvent il n’a pas initialement) au sein d’une organisation, me met mal à l’aise. Il serait faux de dire que tout le monde, dès qu’il a une idée, est apte à la porter, la développer, la réaliser. Ce postulat, qui relève du mantra bien-pensant, crée plus de déceptions et de désillusions que de succès.

J’irai plus loin en disant qu’en l’état actuel des modes de recrutement et de management de ces organisations, tomber par hasard sur un salarié gagnant d’un concours interne qui aurait la fibre entrepreneuriale relèverait d’un miracle et serait plus caractéristique, comme je le disais plus haut, d’une erreur initiale de recrutement qu’autre chose ! A moins que le processus de recrutement s’attache à diversifier les profils pour inclure dans les rangs des profils d’entrepreneurs, au risque que ceux-ci soient moins « manageables », plus rebelles ou critiques de l’organisation. Force est de constater que cet esprit n’est pas encore ancré dans les mœurs des services des grands groupes français. De plus ces profils, s’ils sont intégrés, ne restent pas en place la plupart du temps, découragés qu’ils peuvent être par l’immobilisme et la lenteur de ces entreprises.

Un mauvais format ? 

Je ne pense pas que l’on puisse incriminer l’idée de l’intrapreneuriat ou encore la forme qu’il peut prendre. Actuellement, si la mayonnaise ne prend pas comme on aimerait qu’elle prenne, c’est davantage du fait d’une culture, d’un mode managérial, et de profils de salariés qui ne sont pas (encore) alignés avec la quête d’innovations, et par-dessus tout, leur mise en œuvre efficace.

Les salariés peuvent être une source d’innovation. Cela ne fait aucun doute. Le problème réside plutôt dans la concrétisation de ces idées par ces mêmes salariés. En effet, les qualités d’un entrepreneur ne sont pas nécessairement celles d’un générateur d’idées ou d’un manager, et inversement. D’où l’intérêt de se pencher réellement sur le profil des intrapreneurs volontaires pour s’assurer qu’ils peuvent adopter la posture du chef de projet a minima, du porteur de projet, voire du responsable de projet idéalement. Certes des formations et un encadrement adapté peuvent aider, mais ils ne font pas tout. La personnalité, les motivations profondes du collaborateur, sont primordiales.

Dépasser le vernis de la communication

Les dispositifs d’intrapreneuriat ont la vertu de dynamiser les politiques RH, d’attirer des profils différents, « à potentiel », qu’il s’agit ensuite de fidéliser. Selon les résultats, l’intrapreneuriat permet aussi de communiquer sur les initiatives en faveur de l’innovation, ce qui dynamise l’image des entreprises, quel que soit finalement le succès de ces démarches. L’erreur serait de s’arrêter à cela, sans chercher à ancrer la démarche plus profondément dans la culture de l’entreprise. Mais, c’est plus facile à dire qu’à faire ! C’est un apprentissage à long terme, parfois dans la douleur.

L’intrapreneuriat reste bien souvent peu compatible avec l’organisation des entreprises puisque cela perturbe la hiérarchie et l’organisation, pour un résultat et une valeur ajoutée effective encore balbutiants.

Comment faire pour maximiser les chances de succès ?

En premier lieu, il sera plus aisé de diffuser une culture entrepreneuriale dans une grande entreprise si la direction elle-même fait preuve d’esprit entrepreneurial, plus que d’un esprit « gestionnaire », et que la volonté stratégique de la direction est bien de stimuler l’innovation en interne et de développer les activités de l’entreprises vers d’autres horizons.

La direction doit pouvoir reconnaître le talent des salariés, potentiellement porteurs d’évolutions futures du groupe. A ce titre, il devrait être « facile » pour tout collaborateur, quel qu’il soit, de formaliser et proposer des projets au Comité de Direction, qui se montre à l’écoute et assure un retour rapide, loyal et honnête. Des acteurs internes peuvent être identifiés pour encadrer le porteur d’idée et faciliter la formalisation et la pré-validation de cette idée.

La politique de recrutement et d’évolution de carrière devrait idéalement valoriser les profils qui sont forces de proposition et qui savent se montrer créatifs et aptes à bousculer la hiérarchie de manière positive. Les profils qui savent travailler en équipe et de façon transversale sont à choyer particulièrement. La prise de risque, qu’elle soit couronnée d’un succès ou non, doit être valorisée et non condamnée. Ce sont des fondements culturels essentiels pour favoriser une démarche prometteuse. A cela doit s’associer également un système permettant de réserver un budget et des ressources, pour tout projet prometteur qui émergerait.

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