Le Projet de Loi de Finances 2021 comporte un certain nombre de volets relatifs au Crédit Impôt Recherche qui pourraient avoir un impact direct et durable sur l’innovation en entreprises. Pour autant, cet outil reste un moteur majeur de l’innovation en France. Alors que les entreprises commencent à peine à réfléchir à leurs déclarations de CIR 2020 (à déposer avant le 15 mai 2021), le gouvernement envisage déjà, au titre de 2021, de les priver d’une partie d’un financement crucial au service de leur stratégie R&D.
Tribune par Larry Perlade, CEO et fondateur de NÉVA.
PLF 2021 : la crainte de nouvelles mesures restrictives.
Depuis la loi de finance de 2008, le dispositif du Crédit d’Impôt Recherche n’a cessé́ de subir des coups de rabot. Et cette année ne déroge malheureusement pas à la règle. Une des mesures inscrites dans l’article 8 du PLF 2021 paraît, à ce titre, plus inquiétante que les autres.
En effet, le projet de loi déposé par le gouvernement prévoit de supprimer l’incitation fiscale spécifique octroyée aux entreprises qui sous-traitent une partie de leur R&D auprès d’organismes dits « publics » (laboratoires publics, centres de recherche, universités, grandes écoles, même privées) et qui avait pour ambition de stimuler les partenariats entre le secteur privé d’une part et la recherche publique et le monde académique d’autre part.
Jusqu’à présent, le montant de la sous-traitance confiée à des organismes dits « publics » était doublé dans l’assiette des dépenses éligibles au CIR, ce qui permettait aux entreprises de récupérer sous forme de CIR non pas 30% (taux de calcul du CIR) mais 60% du montant de ces factures de sous-traitance. Si la loi de finances 2021 confirme l’abrogation de cette mesure au motif d’harmoniser le traitement des dépenses de sous-traitance entre sous-traitance publique et sous-traitance privée, au sein de l’assiette du CIR, il est à craindre une baisse conséquente des montants de CIR octroyés aux entreprises ayant joué́ le jeu de la coopération public/privé́. On regrette bien entendu que cette louable volonté d’harmonisation n’ait pas donné lieu au projet inverse : celui de caler le traitement de la sous-traitance privée sur celle de la sous-traitance publique, en prévoyant non pas la suppression du doublement de l’assiette pour la sous-traitance publique, mais au contraire le doublement de l’assiette pour la sous-traitance privée.
A l’heure où l’innovation est présentée, à juste titre, comme notre planche de salut pour sortir de la crise, il nous semble primordial de préserver les stratégies et les efforts de R&D des entreprises et de ne pas les priver de financements cruciaux pour elles.
3 familles de critères à connaître pour bénéficier du dispositif
Plus que jamais, dans ce contexte où les montants alloués risquent de diminuer à dépenses constantes, les entreprises sont contraintes d’intensifier leurs efforts. Mais disposer d’un projet innovant et ambitieux ne suffira pas à leur ouvrir les portes du CIR-CII. Pour en bénéficier, elles doivent remplir des conditions d’éligibilité qui sont de trois ordres : technique bien sûr, mais aussi, comptable et documentaire.
Critères techniques
Le CIR (au sens large) contribue à financer les travaux engagés au titre de la Recherche et du Développement (R&D) ainsi qu’au titre de l’Innovation produit. A ce titre, les travaux de R&D éligibles CIR doivent se distinguer par leur originalité (par rapport à l’état de l’art), leur complexité (incertitudes à dissiper, verrous à surmonter, participation active d’au moins une personne de niveau bac + 5) et la transférabilité des résultats obtenus (avec écart significatif par rapport à l’état de l’art d’origine).
Pour bénéficier du Crédit Impôt Innovation, ou CII, les travaux doivent permettre de concevoir ou de réaliser le prototype ou l’installation pilote d’un « produit nouveau » (bien matériel ou immatériel qui n’est pas encore mis sur le marché et qui se distingue des produits existants par des performances supérieures).
Critères comptables
Les seuls critères techniques ne suffisent pas à être éligible au CIR-CII. Les entreprises doivent justifier de dépenses entrant dans les « bonnes cases », à savoir :
- masse salariale
- sous-traitance publique ou agréée
- dotation aux amortissements des immobilisations utilisées pour la R&D ou l’innovation
- veille technologique
- brevets
Parce qu’ils sont méconnus, ou mal anticipés, ces critères comptables engendrent souvent des déceptions chez les dirigeants d’entreprises qui espèrent bénéficier du dispositif. Mais il est important de comprendre qu’une entreprise qui réalise d’importants travaux de R&D, parfaitement qualifiés au regard des critères techniques, ne pourra pas prétendre au moindre euro au titre du CIR-CII si elle ne remplit pas les critères comptables évoqués ci-dessus (par exemple si elle sous-traite sa R&D uniquement à des free-lances ou à des sociétés non préalablement agréées par l’administration).
Documentation justificative
En plus des critères techniques et des critères comptables, l’entreprise doit pourvoir justifier de son éligibilité auprès de l’Administration. Non seulement elle devra réunir l’ensemble des pièces comptables afférentes au dossier (bulletins de paie, CV, diplômes, factures de sous-traitance, dotations aux amortissements, etc), mais également fournir impérativement un dossier technique ou scientifique, très détaillé, de description des travaux réalisés.
Pour élaborer correctement leur dossier de CIR-CII 2021, nous incitons les entreprises à :
- documenter leurs travaux au fil de l’eau, et éviter ainsi toute perte de mémoire, au moment de décrire, en année n+1, les travaux de l’année n, en particulier dans la cas où les principaux acteurs de la R&D ou de l’Innovation auraient quitté l’entreprise ;
- adopter un mode de fonctionnement interne qui permette d’avoir le recul nécessaire pour décrire ses travaux (en particulier si l’entreprise travaille en méthode Agile) ;
- dégager le temps et les ressources internes indispensables à la rédaction des dossiers techniques ;
- anticiper les freins ou spécificités tels que les accords de confidentialité avec des clients qui interdisent à l’entreprise de décrire ses travaux (cas rencontré par certaines ESN).
Pour prétendre au CIR-CII, une entreprise doit remplir l’ensemble des critères évoqués. Et même si le dépôt des demandes de CIR-CII 2021 ne se fera pas avant début 2022, il n’est jamais trop tôt pour préparer son dossier. Reste à savoir si le dispositif connaîtra un nouveau coup de rabot comme le prévoit le Projet de Loi de Finance 2021. Nous voulons encore croire que le parlement, qui vante à juste titre l’innovation française, ne poursuivra pas dans une voie qui risquerait d’envoyer un signal très négatif aux quelques 25.000 entreprises innovantes bénéficiaires de ce dispositif.
En attendant, c’est la préparation des déclarations de CIR-CII 2020 qui est d’actualité, avec en ligne de mire la date butoir du 15 mai 2021, et la crainte que les volumes de R&D et d’Innovation de l’année 2020 aient été fortement impactés par la crise du Covid-19… Il est encore trop tôt pour le mesurer à l’échelle du pays : rendez-vous à la fin du printemps prochain pour un premier bilan.
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