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Holacracy : carcan bureaucratique ou outil au service de la création de valeurs ?

Holacratie
Photo by Ravi Pinisetti on Unsplash

Aborder le sujet de l’angle mort de l’holacratie, c’est remonter aux origines qui m’ont conduit au concept qui sous-tend l’ensemble de ma réflexion et de ma démarche lorsque j’accompagne un patron, une entreprise : le concept de création de valeurs. Un angle mort qui se traduit par l’émergence et le développement d’une véritable bureaucratie au sein de l’organisation. Focalisée sur le déploiement de l’holacratie en son sein, celle-ci se renferme sur des enjeux étriqués et bureaucratiques, en oublie sa raison d’être profonde : la création de valeurs.  

Bureaucratie : du mauvais usage de l’holacratie

Et qu’on le veuille ou non, l’angle mort de la bureaucratie apparaît de façon quasi systématique dans toutes les entreprises qui tentent l’aventure de l’holacratie. Du moins, la plupart de celles que j’ai pu accompagner depuis 12 ans. Un piège où l’organisation apparaît comme un empilement d’activités dans des rôles, avec peu de prise de recul et qui se concentre sur une multitude de points de détail. Plutôt que de se focaliser sur l’essentiel, l’organisation et chacune de ses composantes se complaisent dans une mécanique bureaucratique autocentrée et autoalimentée. Cela se traduit, par exemple, par une forme de dévoiement, une forme de paresse où l’on sollicite la gouvernance de la nouvelle organisation là où cela ne se justifie pas. Convaincu qu’avec l’holacratie tout doit être rendu explicite, beaucoup se mettent ainsi à vouloir tout donner à voir, faire savoir au travers de listes à la Prévert qui décrivent le moindre détail de leurs activités et de leurs tensions. Les réunions peuvent alors se transformer en une revue de « chiens écrasés ». La création de valeurs est oubliée, étouffée par le fonctionnement étriqué et bureaucratique de l’organisation.

En soi, rien de très surprenant à cela. Par le biais de nouveaux concepts et de nouvelles modalités comme la raison d’être, les redevabilités et domaines amenés par chaque rôle et processus qui font vivre l’organisation, l’holacratie apporte indéniablement une complexité supplémentaire et inédite. Ainsi, pour ce qui est des redevabilités, par exemple, les salariés, encore imprégnés de la culture de la « job description » qui caractérisait l’entreprise jusqu’ici, listent tout ce qu’ils font. Ils répondent ainsi à un besoin de justification et de reconnaissance. C’est ce que j’appelle le « t’as vu tout ce que je fais ! ».

Faire émerger un nouvel « operating system »

Décrire l’ensemble de ses rôles dans les moindres détails n’a aucun sens ni valeur au niveau d’une réunion de gouvernance. Hormis dans le cadre d’une transmission – à un stagiaire ou un apprenti – tous ces détails ne concernent que la personne qui les vit. Pas les autres. 

Nombre d’entreprises qui décident de réinventer leur organisation en s’appuyant sur l’holacratie font souvent fausse route. Plutôt que de se concentrer sur la création de valeurs, l’énergie est mise sur une lecture hors sol, mécanique et bureaucratique de l’organisation. En l’état, sans la prise de recul nécessaire, le changement opéré est une impasse. 

Pour éviter ce piège de la bureaucratie, il convient donc de prendre du recul et d’identifier ce potentiel « désirable » qui anime chacun, dans chaque rôle. C’est ce que j’appelle la tension dynamique, celle qui sépare la situation observée de la situation idéale à laquelle on aspire, on souhaite accéder. Nous y reviendrons. 

Surtout, il est essentiel d’amener, de s’appuyer sur un nouvel operating system sur lequel l’holacratie vient s’adosser. Il permet de créer, de modéliser un bon usage, un métalangage qui s’appuie sur l’holacratie. Ainsi, la raison d’être attachée à chaque rôle n’est rien d’autre que le potentiel de création de valeurs de chaque rôle. 

Un nouveau modèle mental

Dès lors, avant même d’aborder la question de l’holacratie, il convient au préalable d’entrer dans un nouveau modèle mental. Pour ce faire, la première étape lorsque j’accompagne des entreprises reste systématiquement d’en modéliser l’ensemble des rôles, processus et interactions. Centré intégralement sur la création de valeurs, chaque rôle doit se focaliser, en interne comme en externe, sur sa proposition de valeurs, se positionner alternativement en tant que client et fournisseur, le tout décorrélé de la membrane juridique qui enserre l’entreprise. La relation entre les rôles est formalisée dans une offre de services, une proposition de valeurs qui se cale sur la demande du client. 

Tout comme la dimension client / fournisseur est inconnue de la constitution sur laquelle l’holacratie s’appuie, la notion de tension dynamique sur laquelle j’insiste beaucoup, en est tout autant absente. Comme suggéré plus haut, la tension dynamique n’est en rien synonyme de « problème ». Sa dimension est bien plus large. Alors que le problème appelle une solution pour résoudre un stress, une anxiété, la tension dynamique a pour enjeu d’identifier l’écart entre la réalité et l’idéal recherché. Elle est la différence entre ce qui pourrait être et ce qui est. Elle est porteuse d’une énergie positive et créatrice. 

Prenons l’exemple de cet ouvrier que je rencontre un matin. Il est à la fois dépité et hors de lui. Il m’explique que chaque matin, il retrouve ses outils en désordre sur l’établi. Son collègue du soir ne semble pas aussi soigneux que lui. Une fois son calme retrouvé, je l’interroge sur son idéal. Il me répond « avoir un atelier toujours propre et bien rangé ». Chemin faisant, la première étape lui apparaît : il faut acheter des meubles pour ranger les outils. L’étape suivante consiste à échanger entre collègues pour s’entendre sur un objectif commun. La dynamique créatrice est engagée. L’ouvrier comme l’organisation progressent.

En cela, la tension dynamique – et nous aurions pu également parler de la raison d’être fractale, cette raison d’être propre à chaque composante de l’organisation – illustre combien l’adoption d’un nouveau modèle mental et d’un nouvel operating system offrent l’opportunité d’éviter le piège de la bureaucratie que peut engendrer l’holacratie. En somme, pour espérer tirer le meilleur parti de la nouvelle organisation avec l’holacratie, il convient, au préalable, d’y « plugger », d’y adjoindre un socle, un méta modèle qui vient supprimer l’angle mort de la bureaucratie. Il permet de se focaliser sur la création de valeurs c’est-à-dire la seule véritable finalité de l’entreprise. Création de valeurs à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise, par des salariés partie prenante d’un écosystème, formant une galaxie de micro-entrepreneurs tous occupés à produire de la valeur, tantôt en clients, tantôt en tant que fournisseurs.

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