Les concours de la fonction publique prennent un coup de jeune. L’Etat a lancé un appel à candidatures pour recruter dix développeurs en CDD chargés de résoudre des « défis d’intérêt général ». Un dispositif qui n’est pas seulement marketing et répond à de vraies problématiques internes.
Il n’y a pas que les start-ups qui peuvent être attractives pour les développeurs de talent. C’est le pari du gouvernement, qui a lancé un appel à candidatures pour recruter dix « experts du numérique » afin de mener à bien dix missions de service public dans dix administrations, dans le cadre d’un CDD de dix mois.
Les candidats avaient jusqu’à lundi 21 novembre pour se manifester. L’opération est un peu spéciale puisqu’elle se présente davantage comme un appel à projets que comme un recrutement traditionnel. Les 115 aspirants ayant candidaté seront départagés le 29 novembre par un jury présidé par le patron de BlaBlaCar, Frédéric Mazzella.
Henri Verdier, directeur interministériel du numérique, DSI de l’Etat et adjoint à la secrétaire générale pour la modernisation de l’action publique, qui accompagnera cette mission confiée par Axelle Lemaire et Jean-Vincent Placé, explique à Forbes les raisons pour lesquelles a été choisi ce mode de sélection qui sort des sentiers battus.
Pourquoi cet appel à candidatures pour devenir « entrepreneur d’intérêt général » ?
Nous croyons passionnément à l’hybridation des deux cultures, celles de l’entrepreneuriat et du service public. Nous cherchons des innovateurs non conformistes, qui viennent de l’extérieur pour apporter du neuf, qui ont la capacité de partir de zéro, et dont nous sommes sûrs qu’ils se feront une place dans l’administration où ils atterriront. L’Elysée a été très demandeur. Le président de la République a été impressionné par Paul Duan [fondateur de Bob Emploi, ndlr], que nous avons soutenu dans son projet avec Pôle Emploi. Cela a contribué à le convaincre qu’il fallait tenter de s’attacher les services de jeunes plein d’idées, même s’ils ne sont pas du sérail.
Comment avez-vous sélectionné les missions ? S’agit-il de projets de longue date pour lesquels les administrations n’arrivaient pas à recruter ?
D’expérience, nous savons qu’il n’est pas facile de greffer l’innovation dans une grande organisation. L’administration ne fait pas exception. Nous avons donc commencé par chercher des administrations qui seraient bienveillantes et qui acceptaient de reconnaître qu’elles étaient devant une « colle ». Par exemple parmi celles qui avaient déjà fait de l’open data, ou participé à des hackathons. Nous les avons sélectionnées au moins autant sur leur capacité à intégrer les lauréats que sur la nature des missions.
Comme vous pouvez le voir, ce ne sont pas des projets qui vont résoudre les plus grands problèmes de la France. C’est un choix délibéré. Ce ne sont pas des sujets banals non plus. La particularité de ces projets, c’est que les « specs » n’existent pas. C’est le cas de celui de l’Agence de Développement par exemple. Elle ne peut pas dire « on veut ci ou ça », elle ne sait pas encore exactement comment faire. Nous voulons favoriser les résultats imprévus, d’où naissent parfois des idées magnifiques, comme le projet OpenSolarMap.
Ce n’est donc pas une simple opération de communication pour « faire moderne » en surfant sur l’esprit start-up ? Il n’aurait pas été possible de recruter des développeurs pour ces missions en passant par les canaux de recrutement traditionnels ?
Non, c’est vraiment une réflexion sur la manière de trouver des profils différents. Dans le public, quand on veut recruter, il faut produire une fiche de poste extrêmement détaillée. De plus, il n’est possible de recruter des contractuels que si aucun fonctionnaire n’est candidat et si les compétences n’existent pas en interne. Calculer le salaire d’un contractuel, hors grilles existantes, peut prendre des mois. Surtout quand il s’agit de profils atypiques. Cet appel à candidature va donc faire gagner des mois. Il n’y a pas de fiche de poste, juste l’expression d’un problème à résoudre.
Il permet aussi, parce que ce sont des missions courtes, de ne pas être arrêté par les plafonds d’emploi [nombre maximal de fonctionnaires par administration, ndlr], et enfin les missions sont hors budget car elles sont financées par un programme exceptionnel des investissements d’avenir, d’environ un million d’euros.
Enfin nous avons demandé à ce qu’un mentor ou un binôme accompagne chacun des lauréats, ce qui diffère également d’un recrutement traditionnel.
C’est astucieux mais en même temps cela signifie que l’Etat est incapable de recruter ce type de profils sans contourner ses propres process ? C’est un peu inquiétant, non ?
L’Etat est une grande organisation comme les autres, et le privé n’est pas toujours mieux loti. L’Etat n’est certes pas très bien armé pour recruter des profils atypiques. Mais c’est normal de respecter les procédures, elles sont là pour garantir la justice. D’où les concours, les grilles de salaires, etc. Il y a une vraie cohérence. Notre but n’est pas de remplacer les concours ou les formations de fonctionnaires.
La question, c’est comment on fait pour mener la transformation digitale de l’Etat. Cela nécessite de bousculer des habitudes. Nous avons l’intention de faire une promotion par an d’entrepreneurs d’intérêt général. Nous comptons aussi lancer un guichet ouvert aux entreprises dès janvier. Nous sommes encore en train d’y travailler, car il faut trouver un format qui n’empiète pas sur le code des marchés publics.
Bousculer les habitudes, y compris en termes de salaires… Cependant, 2500 euros nets pour un junior et 4000 pour un développeur expérimenté, n’est-ce pas en-dessous des standards pour un développeur, surtout un data scientist par exemple ?
Honnêtement, c’est relatif. Nous sommes dans l’administration, les lauréats seront mieux payés qu’un bibliothécaire en fin de carrière. Pour un autodidacte juste sorti de l’école, c’est un bon salaire. Dans l’incubateur de start-ups d’Etat, je connais des gens qui sont payés moins. On peut trouver de vrais talents à ces niveaux de rémunérations. Les vrais talents peuvent avoir envie de servir un temps l’intérêt général, ou de se faire plaisir pour relever un beau défi, car ils savent qu’ils peuvent trouver très facilement un poste. Surtout les jeunes qui n’ont pas encore de contraintes familiales. Par ailleurs, ceux qui répondront à l’appel à candidature seront probablement plutôt des hacktivistes, des « makers« , des gens engagés, un peu libertariens, qui n’ont pas envie de fonder une start-up pour l’introduire en Bourse.
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