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Franck Thomas, responsable France de Fiverr : « Votre job ne sera pas remplacé par une IA mais peut-être par un freelance qui utilise l’IA »

Franck Thomas, responsable France de FiverrFranck Thomas, responsable France de Fiverr

Fiverr est née en 2010 et il aura fallu attendre 10 ans avant qu’une version française ne voie le jour. La plateforme de mise en relation entre freelances et entreprises promeut de nouvelles formes de collaborations professionnelles et cela semble fonctionner : en 2023, son chiffre d’affaires a dépassé les 361 millions de dollars, soit en hausse de 7%. Franck Thomas, responsable France de Fiverr, nous détaille la stratégie adoptée pour poursuivre le développement de la plateforme dans l’Hexagone et fait valoir une forte adoption de l’IA chez les freelances, un argument qui devrait convaincre de plus en plus d’entreprises.

Vous avez travaillé chez Google dans l’optimisation de comptes, puis vous avez créé votre propre marketplace avant de devenir formateur dans plusieurs écoles de marketing et de commerce… Pourquoi avoir décidé de rejoindre Fiverr ?

F. T. : J’ai rejoint Fiverr car l’économie du freelance est en pleine croissance et je suis convaincu que ces compétences peuvent pallier les lacunes des entreprises. Fiverr est une plateforme internationale qui relie ces nouveaux talents indépendants aux organisations et mon rôle a été de consolider ce travail d’intermédiation en France. J’ai notamment travaillé sur la proposition de valeur faite par Fiverr aux utilisateurs, adaptant sa formulation au contexte français..

Le nom de marque « Fiverr » résonne historiquement du côté des pays anglophones mais notre projection en France est ambitieuse, car la demande et l’offre y sont très riches. Les compétences techniques en France sont très bien représentées, que cela soit en matière de développement web et d’applications ou encore de portabilité entre différentes plateformes. Les technologies émergentes font aussi partie du lot, comme l’IA générative, avec des cas d’usage très diversifiés.

Quelles compétences sont valorisées sur Fiverr et comment sont-elles vérifiées ?

F. T. : Nos catégories historiques sont le design, l’écriture et la création graphique, les services marketing mais Fiverr dispose de plus de 700 catégories. La couverture des compétences est donc bien plus riche aujourd’hui et cela ne se résume pas seulement au savoir-faire technique : nos algorithmes permettent d’identifier des personnes avec des compétences plus transverses comme le savoir-être, la réactivité, la pertinence ou encore la souplesse dans leurs relations professionnelles.

Il est très simple de s’inscrire sur la plateforme et les compétences sont d’abord proposées à titre déclaratif. Mais plus les clients sont satisfaits des services rendus, plus la réputation du profil grandit et cela vaut comme validation des compétences. C’est le même principe sur des plateformes de réservation de logement, la réputation cumulée offre plus de légitimité.

La délivrance d’un projet sur Fiverr se fait généralement par lot mais notre offre Fiverr Pro est bien plus adaptée aux projets longs et plus ambitieux. Cela permet aux entreprises de bénéficier d’une évaluation plus en profondeur et sur-mesure des compétences dont elles ont besoin. Notre vivier de talents est assez riche pour répondre à tous les cas d’usage et Fiverr Pro met aussi à disposition un système administratif et contractuel simplifié pour rémunérer les freelances.

Pourquoi les entreprises ont tout intérêt à se reposer sur des freelances ?

F. T. : La guerre des talents est exacerbée car il existe un décalage entre les besoins du marché du travail et la capacité du secteur académique à former aux nouvelles compétences. La mise à jour des compétences prend toujours du temps mais l’écart se creuse encore plus aujourd’hui. Ainsi, les entreprises font constamment face à des angles morts en matière de formation interne.

La concurrence des talents se joue aussi au niveau mondial et Fiverr se positionne comme une plateforme internationale qui permet de faire des ponts entre différents viviers. Le marché français est d’ailleurs assez unique car toutes les catégories de travail sont représentées. Nous produisons aussi de la recherche et nous n’hésitons pas à confier nos données sur les habitudes de freelance à des instituts de sondage.

Le freelancing est aussi une bonne manière de rebondir peu importe le contexte. La courbe d’apprentissage chez les freelances est incomparable à celle des salariés, leur motivation est plus forte et ils ont toujours envie d’enrichir leurs compétences. C’est donc une opportunité certaine pour les entreprises, même si elles font de grands efforts en matière de montée en compétences.

De la même manière, les entreprises mènent des entretiens annuels et accordent des primes exceptionnelles pour répondre au contexte inflationniste. De leur côté, les freelances savent trouver des solutions eux-mêmes en projetant leur rémunération en fonction du temps alloué mais aussi du pourcentage de valeur que cela représente pour son client – ce qui n’est pas corrélé à l’inflation. Nous les aidons à perfectionner leurs arguments et les plus experts d’entre eux sont ceux qui arrivent à adopter une logique de gamme de services proposés.

Le fait de recourir à Fiverr peut-il déboucher sur des recrutements ?

F. T. : Un freelance embrasse souvent son mode de vie et le préfère fortement à d’autres expériences salariées. La plupart ont déjà eu des expériences en entreprise et ont fait le choix d’en sortir de leur plein gré. Mais Fiverr peut aussi être un vivier de recrutement pour les entreprises dans certains cas. C’est aussi pour les étudiants et juniors une formidable porte d’entrée dans le monde professionnel, pour se former et acquérir plusieurs références afin de valoriser leur profil sur le marché du travail. C’est d’autant plus le cas dans les métiers de la tech car le nombre de projets délivrés y est crucial.

Selon les estimations de la Banque mondiale, près de 47% de la force de travail mondiale exerce en freelance. La France est-elle concernée par cette nouvelle tendance dans le monde du travail ?

F. T. : Nous constatons aussi en France une forte croissance de personnes qui adoptent ce mode de vie. La génération Z est la plus représentée car elle recherche davantage d’autonomie, de valorisation de compétences et une bonne rémunération. D’autres se sont aussi lancés par affinités personnelles et par volonté de continuer d’apprendre. Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à mettre en place des systèmes de temps aménagé en fonction de leurs besoins et de leurs collaborateurs. Et les freelances sont déjà organisés de cette manière et adaptent leur emploi du temps de façon flexible.

Ces entreprises ont davantage recours aux freelances et ils comprennent de mieux en mieux l’intérêt de revoir leurs rémunérations à la hausse. Les indépendants sont de plus en plus assimilés au sein d’équipes étendues et viennent répondre à des lacunes ciblées sur certaines compétences. Sur le développement d’IA par exemple, les freelances sont souvent bien mieux formés que les salariés et les tarifs sur ces compétences rares peuvent très vite devenir intéressantes.

Sur l’IA justement : la montée en puissance de l’intelligence artificielle générative est-elle une menace pour le travail du freelance ?

F. T. : Votre job ne sera pas remplacé par une IA mais peut-être par un freelance qui utilise l’IA. La raison est pragmatique : le freelance est plongé dans un terrain de jeu marqué par une obligation de se former régulièrement. C’est ce qui explique que l’adoption de l’IA chez ces profils est bien plus forte. D’après les chiffres de différentes enquêtes menées en collaboration avec Censuswide, près de 50% des freelances utilisent l’IA, contre un tiers des employés et 45% des chefs d’entreprise recrutent des spécialistes de l’IA via des sources externes. Par ailleurs, un quart des personnes interrogées envisagent de se spécialiser dans l’IA, avec des taux plus élevés chez la GenZ (31%) et les milléniaux (34%)

Une grande partie des freelances ont compris que l’IA permet une meilleure optimisation de leur temps. Ils peuvent produire plus et abaisser le coût unitaire des projets qu’ils acceptent. Prenons l’exemple de la rotoscopie : un projet 3D consistait souvent à détourer un élément d’une vidéo image par image. La production était lente et puis l’IA a rendu le recours à ces compétences bien moins cher, ce qui a augmenté le volume de projets de ce type.

Il y a un vrai sujet de savoir comment utiliser l’IA pour gagner du temps et être plus productif. Notre dernière campagne de communication à New York affichait d’ailleurs le slogan : « AI took my job …to the next level ».

Comment aidez-vous les juniors à attirer l’attention des recruteurs ?

F. T. : Pour se rendre utile, nous publions de nombreux webinars avec nos partenaires sur des enjeux de vie quotidienne ou bien juridiques. Pour un junior qui ne dispose pas de beaucoup de contacts, le recours aux plateformes comme Fiverr permet juste d’enrichir son carnet d’adresses. Cela permet aussi d’ajouter des compétences clés à son CV et rendre son profil d’autant plus visible auprès des recruteurs. Notre algorithme de matching est d’ailleurs assez fin : les besoins du recruteur sont ciblés dans le détail pour pouvoir inclure des profils juniors sur certains chantiers spécifiques. Je conseille d’ailleurs au junior de remplir tous les champs possibles à son inscription car il n’a pas idée du matching possible.

Nous avons aussi mis en place un Business Trends Index (BTI) qui se présente comme une sorte de Google Trends des tendances en matière de compétences et des besoins dans les entreprises. Un taux différentiel est ensuite calculé entre l’offre et la demande sur ces besoins pour identifier les opportunités professionnelles à saisir.

Il est aussi reproché à Fiverr de contribuer à l’ubérisation de l’économie, en promouvant le recours à des travailleurs indépendants non syndiqués, non protégés et parfois payés assez faiblement…

F. T. : Il nous paraît essentiel de souligner ici que le freelancing tels que nous le proposons diffèrent des modèles d’intermédiation auxquels vous faites référence car la flexibilité et l’autonomie de nos utilisateurs sont larges et tangibles. Les freelances ont avec notre plateforme la possibilité de fixer leurs propres tarifs ou encore de choisir leurs horaires par exemple. Ce qui n’est, a contrario, pas le cas sur d’autres plateformes d’intermédiation, au sein desquelles les tarifs sont souvent imposés. Pour nous ce qui compte avant tout c’est d’offrir à chacun de nos utilisateurs une réelle maîtrise de son activité.

Ce sont donc des considérations légitimes et il ne s’agit pas de se retrouver avec des déséquilibres qui rendent le métier de freelance précaire. Fiverr est payé à la commission, nous avons donc tout intérêt à générer le plus de valeur pour le freelance mais aussi pour l’entreprise. Si le freelance ne pouvait pas gagner sa vie sur Fiverr, notre modèle ne serait pas viable.

Nous nous efforçons de montrer aux freelances les opportunités qui leur permettent de gagner leur vie mais aussi d’acquérir des compétences en continu. Plusieurs partenariats avec des écoles nous aident en ce sens et nous travaillons aussi grandement sur la gamification de nos supports pédagogiques – par exemple à travers notre partenariat avec CodinGame. Enfin, nous ne les laissons jamais tout seul : nous leur délivrons des signaux faibles pour justifier leur propre tarification et nous défendons leur prix auprès des acheteurs. C’est notre rôle de valoriser leurs compétences et de convaincre les entreprises de la valeur que les freelances apportent.

En résumé, même si cette crainte d’ubérisation est légitime, le modèle de freelancing de Fiverr propose liberté et contrôle. Nous entretenons des échanges avec des syndicats ou bien des collectifs de freelances pour mesurer le ressenti du terrain. Cela permet de se rendre compte si des points de friction existent et ainsi mitiger les risques.

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