Vous avez très probablement entendu la phrase suivante : « Ce n’est pas à moi de faire cela, ce n’est pas prévu dans mon contrat, cela ne relève pas de mon périmètre ». Deux cas de figure peuvent expliquer une telle réponse. Le premier est une réponse contractuelle et peut s’entendre afin de respecter « qui fait quoi ». Le deuxième est plus problématique et concerne des situations où il n’y pas vraiment d’attribution contractuelle ou tout simplement fonctionnelle. Par exemple, une personne est perdue dans un hall d’accueil et personne ne lui vient en aide au titre que les personnes présentes ne sont pas là pour l’accueil. Les anglo-saxons parlent d’Extra Mind pour définir tout ce que l’on fait en plus de notre travail prescrit dans un intérêt collectif pour le développement de la qualité et des relations.
Travail prescrit / Travail réel
Les économistes Oliver Hart et Bengt Holmström (Lauréats du prix Nobel d’économie en 2016) ont développé la théorie des contrats incomplets. Les contrats ne sont jamais complets car ils ne peuvent pas envisager toutes les éventualités. On parle d’incomplétude des contrats. Dans la vie professionnelle chacun se voit assumer un poste avec un périmètre d’action et des responsabilités associées. Les tâches à effectuer sont mentionnées dans une fiche de poste et/ou dans la formalisation de processus. Il s’agit du travail prescrit, celui qui est contractualisé et qui fait l’objet du contrat de travail avec les éléments de rémunération. Mais dans la vraie vie il y a toujours des tâches à effectuer non prévues dans la fiche de poste du fait de l’imprévisibilité des situations et de ce qui n’est pas formalisable. Dès lors le travail réel avec toutes ses contraintes se pose avec une question simple, qui fait ? La réponse est : la personne qui est le plus en proximité pour laquelle le coût est le plus faible et qui possède la compétence nécessaire. Encore faut-il que le réflexe soit naturel ?
La qualité des relations
Le philosophe et sociologue Georg Simmel dans son approche de la coopération comme élément clé du fonctionnement des sociétés humaines définit cette dernière comme la conjonction de l’appréciation et du fait de partager un objectif commun. Des individus coopèrent efficacement si ces derniers savent se donner des objectifs à atteindre et si ils s’apprécient. Appréciation s’entend comme une forme de respect issu de la confiance entre les parties prenantes. Dès lors la dimension relationnelle s’inscrit au cœur du fonctionnement des collectifs humains avec une forme de réciprocité : « je le fais parce que je juge que c’est important afin de construire une coopération en attendant la réciprocité ». Les systèmes de coopération tiennent et prospèrent que si les parties prenantes agissent de manière contractuelle ET en mode « Extra Mind » pour traiter de manière efficace ce qui ne peut être contractualisé. Les personnes qui ne jouent pas le jeu de la réciprocité se trouvent marginalisées et qualifiées de « passagers clandestins » en lien avec les travaux de l’économiste Mancur Olson. Pour comprendre ce phénomène, nous avons tous vécu une situation de ce type :
« – Pourquoi n’as-tu pas fait cela ?
– Mais tu ne me l’as pas demandé explicitement.
– Certes mais cela allait de soi, c’est dans ton périmètre. Je ne vais pas te faire une demande formelle pour des actions du quotidien ! »
La performance dans les interstices
Les travaux sur les coûts de transactions de Coase et Williamson avancent l’idée que la performance (opérationnelle et économique) tient dans la réduction des coûts de contractualisation justifiant ainsi le concept d’entreprise intégrée. Cela pose la question de la performance dans nos organisations actuelles. Faut-il tout processer et contractualiser ou faut-il laisser des marges de manœuvre pour permettre aux individus de faire face à l’imprévu ? Le développement bureaucratique et la difficulté de prise de décision dans des organisations ultra processées ne sont-ils pas le résultat d’une doctrine contractuelle qui laisse peu ou pas de place à l’autonomie et à son expression en termes de comportements « Extra Mind » ?
Prenons par exemple le cas du lave-vaisselle dans un foyer. Le remplissage de celui-ci se fait assez naturellement à la fin des repas. Mais qui le vide une fois le cycle de lavage réalisé ? Nous pouvons observer certains comportements d’évitement en espérant que cette tâche soit réalisée par d’autres. Si c’est toujours la même personne qui le fait, il y a un risque que cette dernière se sente exploitée. Cela peut prendre la forme d’un processus avec une répartition de cette tâche sur chacun des membres de la famille avec un calendrier. Ou tout simplement en mode Extra Mind, c’est la personne qui est la plus en proximité qui le fait de manière naturelle.
Si l’on reprend la théorie de l’incomplétude des contrats, il est impossible de tout prévoir et donc il faut laisser des marges de manœuvre aux acteurs et développer la capacité d’Extra Mind. Dans un environnement complexe et imprévisible caractérisé de BANI (Fragile (Brittle), Anxieux, Non Linéaire, Incompréhensible), ne faut-il pas laisser des marges de manœuvre aux personnes pour agir de manière agile et rapide ? Il ne s’agit pas de prôner une démarche nihiliste avec un monde sans règle mais de laisser des marges de manœuvre sur les manières de faire dans un cadre collectif.
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