C’est le leitmotiv de cette Directrice Régionale d’une grande enseigne de prêt-à-porter, qui souhaite donner un grand coup de balai aux rituels immuables du management, comme le fameux entretien d’évaluation.
Aurélie*, qu’est-ce qui vous pousse à bousculer les pratiques managériales ?
Aurélie Cubizolle : Les activités principales des managers au niveau opérationnel changent d’une manière plus importante qu’auparavant. L’environnement complexe et instable du retail, le management de la génération « Z », la digitalisation, les clientes ultra-informées, sont quelques-unes des raisons principales qui poussent nos « responsables de magasin » à agir bien au-delà de leurs zones de confort et dopent aussi leurs capacités à penser et à agir « autrement ».
Je constate aussi que l’arrivée de méthodes facilitantes comme le RFID réduit la proportion de nombreuses activités anxiogènes associées à la manutention ou à l’application de tâches à moindre intérêt. Jusqu’à présent et de façon très globale pour nos métiers en magasin, il fallait posséder de grandes habitudes d’exécution pour optimiser son temps, et respecter de nombreux process. Aujourd’hui mon propos n’est pas d’établir une vérité quant à l’utilité de ces process, mais de constater que le mode exécutant qui en découle étouffe les énergies du terrain et ne stimule que des aptitudes purement techniques et assez vite routinières.
Pour moi, les salariés sont et seront de plus en plus en quête d’autonomie professionnelle ; ils ont déjà gagné en agilité, en transversalité ; leurs talents s’affirment, les idées fusent et nous avons même très certainement de vrais visionnaires au sein de nos équipes magasins. L’audace est enfin une compétence …mais est-elle reconnue comme telle ?
Evidemment, ces « profils » ultra-recherchés et dotés d’une capacité à apprendre et à s’adapter bien marquée restent émergents…. Mais en tant que Directrice Régionale, j’ai commencé à ressentir de plus en plus fortement un manque d’alignement entre l’évolution de la fonction managériale de certains de nos responsables de magasins et les outils utilisés pour évaluer cette même fonction. Le métier change c’est un constat unanime, mais que modifie-t-on concrètement dans nos systèmes d’évaluation des compétences historiquement basés sur les compétences techniques ?
Que proposez-vous alors pour reconnaître cette audace et nouvelle posture du responsable de magasin ?
A.C : Les trames d’entretien d’évaluation du métier de « store-manager » ont besoin d’être pleinement repensées. Hier on était dans l’application, le contrôle et l’injonction d’alimenter la motivation des collaborateurs. Aujourd’hui on transforme, on engage, on devient créateur d’enthousiasme avec ses équipes et créateurs d’émotions avec ses clientes. Tout le monde conviendra que cela ne fait pas écho aux mêmes talents et profils. Nous devons être capables lors d’un entretien d’évaluation d’apprécier les capacités émotionnelles et cognitives des collaborateurs qui en sont déjà pleinement dotées.
Certaines entreprises ont déjà bien intégré ce changement de paradigme managérial, et concrétisent déjà de grands projets en ce sens à l’image de l’entreprise dans laquelle j’ai la chance d’exercer mon métier. C’est donc pour cela que j’ai à cœur de diffuser cette approche où l’esprit critique et d’innovation sont des valeurs fondamentalement attendues par nos hauts directeurs, preuve d’une avancée considérable du Bottom up.
En effet, ce n’est plus le même type de leadership qui est sollicité.
A.C : Oui, ce manager de la nouvelle ère digitale ne peut plus se passer de grandes capacités relationnelles. Elles sont indispensables pour décrypter les nouveaux codes et aspirations de nos équipes et clientes. Mais au fond, nous reconnaissons mal ces compétences relationnelles. Sait-on évaluer l’intelligence émotionnelle ? L’empathie ? Les « soft skills » sont-ils suffisamment mesurés tout au long des carrières de nos responsables ? Et au-delà de cela, qu’en est-il de leurs capacités à conduire le changement en magasin et à innover ?
Je vous sens en effet très convaincue de cette nécessité de s’ouvrir à d’autres manières de voir et de manager ces store managers eux-mêmes.
A.C : Tout à fait car nos responsables innovent de plus en plus en magasin. Lors de mes tournées, je suis régulièrement troublée, surprise et enchantée de découvrir tant de petites et grandes idées mises en place par mes équipes visant à optimiser la satisfaction de la cliente, développer les compétences de leurs vendeurs, former, engager, challenger….
Pouvez-vous nous illustrer ces « enchantements » dont vous parlez ?
A.C : J’ai eu la chance par exemple d’assister à une « cérémonie des Ampoules » (ampoule = image illustrant les bonnes idées). Céline, une responsable adjointe avait organisé un vendredi soir autour d’un apéritif dînatoire, un « event » sur invitation, visant à récompenser avec un trophée en forme d’ampoule, la vendeuse qui avait eu la plus belle idée du trimestre, avec présentation de « l’idée » par ladite vendeuse et de ses conséquences positives dans le quotidien du magasin. J’étais impressionnée par tant d’humour et de valorisation individuelle. L’équipe est repartie armée d’une envie folle de gagner la prochaine Ampoule et donc de faire preuve de grandes initiatives. Avouons que c’est quand même plus efficace et moins ennuyeux qu’une simple conversation entre une collaboratrice et sa responsable lors d’une évaluation autour du thème « tu dois faire preuve de plus d’initiatives ! »
Je pense aussi au « Talentscope », un horoscope hebdomadaire affiché tous les lundis dans la réserve du magasin où l’on pouvait chaque semaine découvrir avec bonheur les objectifs clefs des différentes conseillères ainsi que leurs missions individuelles. « BELIER …cette semaine vous pousse à vous concentrer davantage sur les achats de vos clientes en zone caisse. En effet, si jusqu’ alors vous étiez concentré sur votre technique, vous prendrez de plus en plus conscience de l’importance de la relation que vous devez créer avec votre cliente lors de l’encaissement de ses achats. En parallèle, fort de votre maîtrise du merchandising, vous serez amené ce mardi à mettre en place notre nouveau jean push up. Il se pourrait également que vous soyez formé à la création de transferts inter magasins dans le but de poursuivre votre apprentissage sur les Process Flux. »
Je ne sais pas ce que cela vous inspire mais personnellement je trouve cela réellement plus engageant qu’un simple brief hebdo ennuyeux et redondant comme « cette semaine Caroline je compte sur toi pour ne pas être trop froide et fermée en caisse ! »
Et je pourrais en citer bien d’autres d’idées disruptives, drôles et valorisantes qui démultiplient l’envie et les talents de nos conseillères et qui, in fine, assurent la satisfaction de nos clientes. Il m’est donc venu naturellement le besoin d’évaluer et de reconnaître toutes ces innovations incrémentales. L’idée est de ne pas se limiter à des entretiens d’évaluation, et de les compléter avec un « entretien d’innovation ».
Un entretien où l’on prend le temps de valoriser toutes les belles idées de nos responsables de magasin, leurs impacts sur les résultats qualitatifs, et sur l’implication des équipes. Une méthode d’estimation qui mesure enfin le sens créatif mais aussi la capacité à engager une génération qui aujourd’ hui ne se satisfait plus du simple côté sécuritaire d’un job mais de sa valeur ajoutée et de l’épanouissement qu’il procure. Et c’est ainsi que l’on peut formaliser des échanges annuels sur des questions bien différentes, moins techniques mais plus qualitatives et inspirantes comme :« comment as-tu boosté concrètement la motivation de tes équipes cette année ? »;« Quelle a été ta plus grande idée ? » ; « Parle-moi d’une difficulté que tu as su transformer en opportunité !»
C’est aussi l’occasion d’échanger autour d’indicateurs bien différents, moins explicites mais tout aussi révélateurs et ultra responsabilisant comme les indicateurs RH (Turn over – absentéisme – taux d’évolution…) et les indicateurs de satisfaction clientes (résultats questionnaires post achats mesurant la satisfaction cliente, taux de progression de clientes converties …), indicateurs trop peu utilisés à ce jour . Et puis voyons les choses en grand, c’est aussi un moyen pour nous de repérer, un peu comme dans un divertissement bien connu d’une chaine de télévision, « L’idée » qui pourrait servir à plus grande échelle pour notre entreprise (ce qui est le propre de l’innovation). Et puis d’ailleurs, si moi aussi, je créais une cérémonie officielle « des idées » réunissant tous mes « store-managers » pour récompenser l’innovation incrémentale de l’année sur ma Région ?
Eh bien cette motivation intrinsèque reconquise vous a gagné vous aussi on dirait !
A.C : Oui, j’en suis convaincue, les réseaux ont d’incroyables talents, et ces talents ont besoin d’être appréciés pour leurs capacités comportementales et cognitives. Il est donc de notre devoir d’innover à notre tour dans l’exercice de notre leadership et la pratique de nos évaluations pour mieux émuler et stimuler la créativité de nos managers.
Les soft skills sont devenus essentiels. Dans mon entreprise, les occasions de les développer et les valoriser sont nombreuses : avec par exemple le « CUBE », incubateur de grandes idées venues du réseau duquel émergent de nombreux projets dont certains sont déjà actés, ou encore les cursus de développement ou Parcours Leadership engagés avec la chaire Leadership de l’EDHEC visant à développer fortement les compétences et capacités à collaborer de directeurs d’horizons différents, marketing, financiers, région et autres, parcours dont j’ai eu l’immense chance de faire partie en 2018.
Il est urgent d’apprendre à valoriser différemment en misant sur des qualités qui ne connaîtront pas l’obsolescence. L’être humain aussi discret soit-il, peut devenir époustouflant sous l’influence d’un management surprenant, qui porte un véritable intérêt à l’individu et à son potentiel inépuisable.
*Aurélie Cubizolle, Directrice Régionale CAMAIEU Auvergne
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits