Article rédigé avec Iñigo Echeveste et Conxita Tunica Carrera de InnovationLab.Academy
L’institut Henderson BCG a publié une étude en septembre 2023 sur l’impact de l’IA générative sur la performance au travail. Cette étude est particulièrement intéressante par rapport à toutes les communications sur l’IA générative qui ont tendance à surjouer l’utopie ou la menace. Cette étude fait mention des points de vue de spécialistes de Wharton, du MIT et de Warwick en associant 758 consultants juniors du BCG dans le cadre d’expérimentations. Au-delà des constats et des hypothèses prospectives, cette étude expérimente en mode recherche-action et avance des premiers résultats opérationnels d’utilisation de l’IA en entreprise.
Une démarche de recherche-action avec des groupes de contrôle
Dans l’étude mais aussi de manière résumée dans un article de François Candelon (Directeur du BCG Henderson), il est fait mention de deux expériences avec des consultants. Pour chacune des expériences, il y a un groupe de consultants qui utilise GPT-4 et un autre groupe de contrôle qui réalise l’exercice sans GPT-4.
La première expérience consiste à demander à un groupe de consultants de faire de l’innovation produit sur le marché de la chaussure en mobilisant GPT-4. Ces derniers utilisent les étapes de création et posent des questions exploratoires (Donne-moi des idées de chaussures en ciblant un marché mal desservi) ou plus ciblées (Quelles sont les questions à poser à un focus group pour valider le produit ? – Propose moi un communiqué de presse pour le lancement du produit). Cette première expérience montre que la performance pour le groupe IA est de 40 % supplémentaire par rapport au groupe de contrôle. Le processus est jugé plus performant car l’utilisation de GPT-4 s’inscrit dans une méthodologie d’innovation avec des étapes de problématisation qui permettent d’opérer avec des « prompts » optimaux. Les questions adressées à l’outil le sont avec une manière de poser un problème. Cela nous amène à penser que les meilleurs prompteurs, ceux qui savent dialoguer et poser les bonnes questions à l’IA, sont ceux qui s’inscrivent dans des méthodologies de problématisation et de « problem-solving », une compétence très humaine. A noter que si le groupe de contrôle n’est pas constitué de consultants juniors mais de consultants expérimentés, l’écart de performance n’est plus que de 17 %. Ce différentiel valorise l’expérience et montre que les seniors ont très probablement un rôle clé à jouer dans ces nouveaux fonctionnements.
La deuxième expérience vise à demander à GPT-4 des solutions pour augmenter la performance et la rentabilité d’une entreprise fictive à partir de données financières et de notes d’entretien avec les dirigeants. Les consultants posent des questions très générales sur les leviers de performance et de rentabilité. Dans ce cas de figure la performance du groupe avec IA est inférieure de 23 % par rapport au groupe de contrôle sans IA. Une des explications avancées est que les participants n’ont pas été assez critiques par rapport aux propositions de l’IA et que cette dernière peut de manière argumentée proposer de mauvaises solutions. Dans un groupe sans IA, les échanges sont plus ouverts et plus controversés permettant à la fois une critique et une disruption plus forte. Les réponses proposées par l’IA ont été jugées excellentes avec un effet d’homogénéisation. Les réponses proposées par l’IA sont celles qui sont acceptées par le plus grand nombre mais cela ne garantit en aucun cas la disruption. Dans l’étude il est mentionné que la diversité des idées des participants qui utilisent GPT-4 dans la réalisation de tâches créatives est 41 % plus faible par rapport à ceux qui n’utilisent pas GPT-4.
Enseignements : Vers une organisation du travail plus collective
La première expérience sur la création d’un nouveau produit montre l’importance du processus théorique et méthodologique qui structure et permet d’orienter et de flécher les questionnements. Max Weber définissait la théorie comme un ideal type pour lire la réalité et agir sur cette dernière sans être la réalité. Le « pattern », le cadre et plus généralement la problématisation constituent des compétences et conditions pour dialoguer avec l’IA et devenir des prompteurs. La mobilisation de groupes de contrôle dans cette étude est intéressante et montre que d’un point de vue organisationnel, il faudra penser à instancier ces modalités de contrôle pour éviter des erreurs et des dérapages. Les notions d’expérience et de même de sagesse, souvent portées par des séniors, prennent alors tout leur sens comme éléments constitutifs d’une performance collective.
La deuxième expérience, moins à l’avantage de l’IA, montre l’importance du fonctionnement en mode collectif. La notion d’intelligence collective prend alors tout son sens dans sa capacité à proposer ce qui n’existe pas et à faire œuvrer des personnes différentes. La littérature sur la dynamique des groupes restreints et les ateliers participatifs avec une nouveauté, l’IA, constitue une source d’inspiration. Nous allons devoir envisager des modalités de travail de groupe et des ateliers avec l’IA. Des méthodologies comme le Design Thinking ou les différents types d’ateliers devront être revus pour permettre une expression collective non pas contre l’IA mais avec l’IA. Savoir animer, savoir problématiser et savoir faire émerger des idées disruptives constituent plus seulement des options managériales mais des conditions d’animation des collectifs.
L’enjeu ne consiste pas seulement à savoir utiliser un outil et à automatiser quelques tâches. L’IA pose la question d’un travail à la fois automatisé mais aussi très collectif. On parle de « People&Tech ». Pour construire ces nouveaux designs organisationnels, les entreprises déploient des AI Factory selon l’expression de Lansiti et Lacklani. Comme toute innovation technologique cela passe par une phase d’expérimentation mais aussi de réingeniering organisationnel (avoir des organisations permanentes et temporaires collectives) et managérial (développer la capacité de Problem-solving).
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