Jean-Paul Lugan accompagne les chefs d’entreprises à prendre confiance en eux. L’objectif, est qu’ils dépassent leurs problématiques d’ego, et qu’ils aient le courage de dire les choses à leurs collaborateurs. A grand renfort d’exemples, le coach et formateur montre que l’absence de courage est nuisible pour le bon fonctionnement de l’entreprise.
Pourquoi le thème du courage est-il central en entreprise ?
J.P. Lugan : je l’ai constaté dans de nombreuses entreprises, seule une minorité de managers fait preuve de courage. Il est difficile de rencontrer un manager habité par cette capacité à surmonter sa peur et à se dépasser, pour soi ou pour les autres. Le courage est une vertu qui permet de dire des choses impopulaires, de recadrer un collaborateur qui a un comportement inapproprié à l’égard d’un de ses collègues, de défendre son équipe face à son patron ou tout simplement d’accepter d’abandonner son poste de manager parce qu’on ne se sent pas fait pour cela.
Par exemple, dans une entreprise, la direction avait décidé de remplacer une grande partie du personnel administratif par la mise en place d’un logiciel informatique censé gérer 80% des dossiers. Au dernier moment, incapable d’assumer sa décision face à la crainte de salariés en colère car confrontés à la perte de leur emploi, la direction a décidé de suspendre les suppressions de poste. Résultat, le logiciel a été mis en place et les salariés ont conservé leur poste, mais ils n’ont en moyenne que deux heures de travail par jour. Les salariés s’ennuient et passent le reste du temps sur le net ou à réaliser des activités sans rapport avec leur travail.
Autre exemple, une société qui avait décidé de délocaliser ses activités à l’étranger a profité des vacances de fin d’année, imposées à l’ensemble des salariés, pour déménager l’entreprise. Résultat : des salariés sur le carreau et dans l’impossibilité de s’inscrire au chômage, faute des documents administratifs à remplir par des propriétaires en fuite.
L’absence de courage crée de l’injustice et du désengagement. Un bel exemple ayant eu des conséquences sur le fonctionnement général de l’entreprise avec cette société de 8 000 salariés dont une dizaine arrivaient systématiquement en retard. Plutôt que cela se règle entre les managers et ces quelques employés dispersés sur le territoire national, l’entreprise a mis en place une badgeuse. Celle-ci fut ressentie à juste titre comme une absence de confiance de la direction envers ses salariés. Résultat, une grande majorité de salariés qui ne comptaient pas leurs heures ont commencé à faire seulement leurs heures, et jamais une minute de plus. C’est la même chose quand un instituteur puni l’ensemble de la classe quand il ne sait pas affronter les coupables et les punir. Dans les deux cas, il y a un fort sentiment d’injustice, qui est mal vécu.
Vous êtes en train de dire que le manque de courage des managers a des conséquences directes sur les salariés et sur l’entreprise ?
J.P. Lugan : Le manque de courage d’une majorité de managers a des conséquences terribles pour l’entreprise. Comme nous venons de le voir avec l’exemple de l’installation d’une badgeuse pour régler les retards d’une minorité, l’absence de courage réduit l’engagement des salariés, rend le climat social délétère et au final diminue la performance économique de l’entreprise. Combien de minutes de productivité perdues sur l’ensemble du personnel en contrepartie de celles des dix collaborateurs qui arrivaient en retard après l’installation de la badgeuse ?
Les conséquences de ce manque de courage s’expriment chez les managers souvent à travers un sentiment de culpabilité, des troubles alimentaires, des addictions et des troubles du comportement. Il n’est pas rare d’accompagner des cadres au bord du burn-out parce qu’ils ne sont pas parvenus à dire qu’ils étaient en difficulté et très souvent submergés sur les plans mental, émotionnel et physique.
Pour le salarié, le sentiment d’une organisation peu courageuse, entraîne souvent chez lui un sentiment d’injustice et une démotivation, l’envie de changer d’équipe ou d’entreprise et toujours une baisse de productivité.
Quelles sont alors les solutions pour que les cadres retrouvent le courage nécessaire au bon fonctionnement de l’équipe ?
J.P. Lugan : Déjà, il faut définir les différentes formes de courage. Il y a le courage de tête, qui permet de dire les choses, le courage de cœur, qui permet de surmonter ses peurs et d’affronter une situation de danger, et le courage de corps qui permet de repousser ses limites physiques. Bien souvent, les cadres manquent des deux premières formes de courage : ils ont du mal notamment à dire et à entendre les choses. Or, recevoir la critique est important, car cela permet aux managers de grandir et à l’entreprise de progresser.
Ensuite, il faut avoir conscience des ressorts du courage. Selon moi, il y en a deux : la capacité à faire don de soi pour l’autre, comme par exemple prendre la défense de quelqu’un, et celle qui consiste à se dépasser, pour obtenir les meilleurs résultats managériaux. Malheureusement, les cadres préfèrent souvent faire le travail incombant à leurs collaborateurs que d’avoir le courage de les affronter pour exiger qu’ils le fassent.
Faire preuve de courage peut avoir un prix s’il n’est pas justement évalué. Je pense notamment à ce cadre de direction qui avait fait preuve de courage en disant à son patron ce qu’il pensait de la stratégie de l’entreprise et qui a été licencié. A ce niveau, ce n’est plus du courage, c’est de la témérité car il n’a pas évalué la prise de risque. Or, qu’est-ce que le courage si ce n’est « la vertu qui se situe entre la témérité et la lâcheté », pour citer André Comte-Sponville. A l’inverse, s’opposer à une direction sur la stratégie de restructuration a été payant pour un autre cadre puisque son service a pu être conservé et les emplois sauvés.
Il faut donc apprendre à être soi et à faire de soi ce que la fonction de manager exige. Par malheur, l’ego, l’illusion que l’on a de soi et de son incapacité à s’affirmer nécessite obligatoirement du courage pour vaincre ses peurs et assumer ses missions. Les entreprises doivent donc permettre à chaque cadre de développer cette confiance en soi mais aussi penser à installer un climat de confiance. Dans ce climat de confiance, les salariés, les managers et les patrons pourront comprendre que quand l’un d’entre eux dit quelque chose, même une critique, l’intention est positive, c’est pour améliorer l’entreprise. Enfin, le droit à l’erreur doit être permis. C’est malheureusement très français de ne pas accepter l’erreur.
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