L’éthique sera l’un des mots clés de l’année 2018 et marquera les années à venir. A juste titre. L’intelligence artificielle pénètre chaque jour plus profondément nos usages, nos modes de vie, et notre société. Plus que jamais, à l’heure où la technologie permet des leviers considérables sur tant de processus, il devient fondamental de formaliser un cadre sain pour permettre à l’innovation de se développer durablement dans les Ressources Humaines.
L’innovation accélère sans aucun doute, et avec elle les risques de dérives liés à l’utilisation du numérique. Certaines dérives sont générées par le numérique lui-même, comme le risque de licenciement suggéré par un algorithme de reconnaissance faciale, ou la discrimination permise par le croisement complexe de millions de points de données.
S’il n’est pas avéré que de telles aberrations ont déjà pu avoir lieu sur le territoire français, il est en revanche indéniable qu’il ne manque aucun ingrédient désormais pour les rendre possibles. Surtout, et bien avant cela, le numérique n’est pas un purificateur, c’est un accélérateur. Autrement dit, les mauvaises pratiques n’ont pas attendu l’arrivée du numérique pour proliférer dans les processus RH. Clonage, discrimination, raccourcis intellectuels, négligences. Les fautes sont nombreuses, et pour le coup, avérées à de nombreuses reprises au cours du temps. De la classique interprétation hasardeuse d’un CV, à la reproduction sociale dans les logiques de promotion, en passant par les discriminations volontaires, les mains des RH sont encore salies de nombreuses ‘imperfections’ dans leurs pratiques.
Lors de l’adoption d’une solution numérique, l’ambition est double : tout d’abord dématérialiser, c’est à dire reproduire virtuellement un processus existant, puis ensuite digitaliser, soit augmenter le processus en question, pour permettre un traitement de données peu ou pas permis autrement. Et c’est précisément à ce moment que le numérique se retrouve à la croisée des chemins. En dématérialisant et digitalisant une meilleure pratique avec soin, on peut augmenter drastiquement et durablement la productivité. En revanche, lorsque le processus en question est calqué sur une mauvaise pratique, l’impression de gain de productivité se paiera certainement dans un avenir proche. Concrètement, cela arrive lorsqu’un algorithme mal conçu propose une sélection biaisée de candidats pour un recrutement, laissant filer les mieux adaptés pour le poste. Cela arrive lorsque l’affichage des résultats ne vous permet pas de challenger la pertinence des suggestions, et cela arrive lorsque vous n’avez aucun moyen de savoir sur quelles bases le traitement de données s’est effectué.
Un bon algorithme reproduit une meilleure pratique. Que reproduisent les autres à votre avis ?
Désormais, ces logiciels et ces algorithmes sont en grande majorité proposés aux fonctions RH par des startups RH, dont 85% des dirigeants n’ont jamais exercé d’activité en lien direct avec les Ressources Humaines. Les données des candidats et des collaborateurs ne sont pas de simples numéros de cartes bleues, ou des relevés d’achat d’une carte de fidélité. Ces informations concernent la vie et l’évolution professionnelle de ces personnes, et traiter leurs données de manière biaisée ou erronée revient à jouer avec leurs carrières et leurs trajectoires. Bien avant la capacité à commercialiser ou à concevoir une solution numérique, un entrepreneur du numérique RH a la responsabilité de proposer l’expérience la plus juste et la plus saine possible pour toutes les personnes qui seront amenées à être ‘traitées’ par ses outils.
Je porte une conviction profonde que dans l’innovation RH plus que dans beaucoup d’autres domaines, la responsabilité des éditeurs et administrateurs de logiciels doit être à la hauteur de l’impact qu’ils peuvent avoir sur les candidats et les collaborateurs. Ils doivent assurer le plus strict respect de ces individus, mais également de leurs libertés et de leurs potentiels. Ce triple respect, je l’assimile à l’éthique. La loi Informatique et Libertés de 1978 couvre un grand nombre de risques en matière d’utilisation des données personnelles. Le RGPD (Règlement Général pour la Protection des Données), qui sera en vigueur en France au 25 mai 2018, permettra d’étendre le périmètre de cette loi. Pour autant, il n’existe aucune loi interdisant de mauvais algorithmes, et il est tout à fait possible de parvenir à des situations discriminantes sans utiliser d’informations sensibles. Simplement, en faisant mal le boulot.
Le législateur ne pourra pas, et, selon moi, ne doit pas, tout réglementer. Certains usages et pratiques évoluent trop vite et sont trop peu contrôlables pour tomber sous le coup d’une loi. C’est pourquoi, avec la montée des usages numériques, il est de plus en plus question d’avoir recours à ce que les américains appellent la soft law, ou loi molle. Des principes non contraignants agissant comme des recommandations élaborées et mises à jour très souvent par les acteurs concernés eux-mêmes, ou leurs représentants dans la vie publique. Ces principes sont généralement inscrits dans des chartes.
Toute l’année 2017, la CNIL (Commission Nationale Informatique & Libertés) a mené un débat public de grande envergure afin de sensibiliser l’opinion publique en matière d’intelligence artificielle et d’éthique, pour recueillir notamment des recommandations de bonnes pratiques en matière de traitement massif des données. De nombreuses organisations ont pu ainsi contribuer au débat public. La CNIL, historiquement positionnée sur les aspects règlementaires, invite désormais les acteurs privés à se regrouper pour adresser également les enjeux éthiques et déontologiques de leurs secteurs et industries.
Anticiper pour éviter de légiférer sur tout
Nous voici donc dans l’ère des chartes. Non pas parce qu’il faut apprendre à chacun à bien travailler ou se comporter, mais parce que la technologie a le potentiel d’amplifier démesurément l’impact des dérives et mauvaises pratiques. L’enjeu des chartes et codes de conduite est avant tout le contrôle du respect de ce qui y figure.C’est tout le sujet de la soft law, qui ne pénalise jamais légalement. En entreprise, par exemple, la coopération forte avec les syndicats constitue un excellent moyen de constituer un moyen de contrôle, lorsque le respect porte sur l’organisation, et même de prévenir les dérives très en amont, par des opérations de sensibilisation aux enjeux.
Pour aller encore plus loin, il est même possible d’envisager des certifications ou labellisations pour les acteurs respectant les critères définis. Il s’agit là d’une démarche forte susceptible de devenir à moyen terme un standard de marché, qui sera perçu comme un argument commercial, au même titre que l’ISO 9001 l’est pour la qualité dans certaines industries. D’ailleurs, l’émergence de cette vague de soft laws sur le marché n’est pas sans rappeler les années 90, avec l’apparition des normes qualité, qui sont ensuite devenues incontournables dans les relations commerciales.
L’argument commercial, de même que le processus de mise en place et d’amélioration continue, ou encore le Data Protection Officer, sont des parallèles extrêmement forts avec les normes organisationnelles, et je porte la conviction qu’il est parfaitement possible de monter rapidement en puissance sur le sujet de l’éthique en reprenant tous ces modes de fonctionnement déjà bien éprouvés. Tous les protagonistes impliqués dans ces chantiers éthiques aux multiples facettes portent la même conviction, à savoir que l’éthique est un pré-requis de la croissance économique durable.
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