La question du bien-être au travail renvoie d’emblée à une réalité sociologique, celle de la part effective occupée par l’activité professionnelle au cours de notre vie. En 1900, notre espérance de vie moyenne s’élevait à 500 000 heures ; notre vie était structurée à 40% par le travail et nous disposions de 100 000 heures de temps libre. Le sociologue Jean Viard explique qu’au fil du temps, le travail a perdu de sa légitimité au profit de nos loisirs. En 2000, grâce aux progrès techniques et technologiques, notre espérance de vie totalise 700 000 heures ; la part consacrée au travail est d’environ 100 000 heures et celle allouée aux loisirs de 400 000 heures.
Mais notre rapport au temps a changé. Si notre temps de loisirs s’est multiplié par quatre, notre ressenti est tout autre. Notre rythme de vie s’est accéléré et cette accélération a engendré la culture de la vitesse. Nous sommes en permanence dans l’immédiateté. Hartmut Rosa, sociologue, développe cette idée avec son concept d’accélération sociale. Pour satisfaire notre besoin d’immédiateté, nous optimisons nos journées. Nous effectuons plusieurs tâches simultanément. Nous consacrons moins de temps à chaque activité. Seulement dans cette course, nos besoins de reconnaissance, d’estime de soi et de réalisation de soi ne sont plus satisfaits. Nous nous éloignons de la réalité, car comme l’exprime Rosa « le présent raccourcit, s’enfuit, et notre sentiment de réalité, d’identité, s’amenuise dans un même mouvement ». Or, si le travail a perdu de sa légitimité au profit de nos loisirs, il a aussi perdu son rôle de créateur de lien social. Au temps où le travail occupait 40% de notre existence, nous construisions nos relations non familiales essentiellement dans notre sphère professionnelle. Le travail n’est plus, comme le précise Viard « le maître des lieux et des liens ».
Nous évoluons dans une société de choix relationnel. Avec la mobilité, nous multiplions les relations dans une variété d’espaces physiques et virtuels. L’essor des tiers-lieux et le développement des technologies mobiles a amené l’organisation du travail à se transformer. Véritable reflet de notre quotidien, la tendance au nomadisme rend plus diffuse la frontière entre notre vie professionnelle et notre vie privée. Nous sommes en passe de devenir ce que Bruno Marzloff appelle des « sans bureau fixe ». Le projet Work & Station de la SNCF, dont l’ambition est d’équiper plus de 20 gares de l’Ile-de-France d’espaces de travail partagés, est un exemple parmi d’autres qui illustre que « le travail n’est plus le maître des lieux ». Créer des zones de vie, offrir une communauté ou encore favoriser les relations interpersonnelles, telles sont les arguments des tiers-lieux, qui revendiquent leur place auprès des dirigeants et font valoir leur influence positive sur la qualité de vie au travail. Car si l’entreprise veut fidéliser ses salariés, la flexibilité est un atout qu’elle s’empresse de ne pas négliger pour offrir du bonheur.
Mais est-ce-que l’adoption d’une organisation du travail plus flexible suffit pour permettre aux salariés d’être plus heureux ? Le baromètre Actineo et CSA, A quoi ressemble la vie au bureau, apporte un élément de réponse. Si la majorité des salariés voient dans la flexibilité un avantage pour un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée, 24% d’entre eux considèrent que ce mode d’organisation fragilise leur sentiment d’appartenance à l’entreprise. L’espace de travail, physique, virtuel et pluriel, ne nous permet plus de développer pleinement notre sentiment d’appartenance à l’entreprise.
Nous sommes en permanence connectés. Notre façon de communiquer les uns avec les autres a évolué. Nous avons soif de communautés. D’ailleurs nous les créons en quelques clics et en quelques mois. Dans la sphère virtuelle, nous satisfaisons nos besoins de reconnaissance et d’estime de soi avec un nombre croissant de followers ou de like. Seulement, cette satisfaction ne peut être que partielle. Car être en relation avec autrui suppose de créer un lien de réciprocité, de s’engager dans la voie du dialogue et de le rencontrer. Notre champ communautaire virtuel s’est élargi, mais le phénomène d’accélération sociale favorise la baisse de notre engagement réel les uns envers les autres. Prendre le temps de se voir, échanger, partager est devenu exceptionnel. La nature des relations que nous développons dans la sphère du réel ne nous suffit plus à satisfaire nos besoins de reconnaissance et d’estime de soi. Malgré la pluralité de nos communautés, le risque de solitude devient réel. Le travail est un des piliers de notre existence sociale. Il n’est donc pas anormal que nous y exprimions notre quête d’authenticité relationnelle. Notre besoin d’une nouvelle manière de vivre et travailler ensemble s’affirme car on ne progresse que dans le partage.
Le bien-être au travail est un enjeu sociétal au cœur de notre actualité. Les pouvoirs publics s’appliquent par le biais d’institutions telle que l’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail) à œuvrer pour que le travail se conjugue avec la recherche du bien-être des salariés. En entreprise, les IRP (Institutions Représentatives du Personnel) veillent à la prévention du stress professionnel. Sans oublier le cadre législatif qui, avec par exemple le décret du 7 juin 2016 relatif à l’amélioration de la reconnaissance des pathologies psychiques comme maladies professionnelles, place le bien-être au travail au cœur de la stratégie des dirigeants. Pourtant, malgré toutes les initiatives de prévention du stress professionnel, le chemin reste long à parcourir.
Aujourd’hui, l’entreprise doit retrouver son rôle de créateur de lien social et c’est la médiation qui peut lui ouvrir cette voie du dialogue. Centrée sur la recherche de l’équilibre relationnel, la médiation intervient aux trois niveaux de relations, que sont l’individu, le groupe et l’entreprise. Son objectif est de favoriser, maintenir ou créer le lien social au regard des attentes respectives des parties prenantes. Elle participe de manière active au développement du savoir vivre-ensemble en entreprise, car elle offre à chacun une meilleure compréhension de l’autre.
La stratégie relationnelle est la clef de voûte du bien-être au travail. La médiation est un outil de gestion responsable des interactions sociales. Comme les talents sont la clé de sa réussite économique, l’entreprise doit être en capacité d’innover afin d’offrir à ses salariés une activité professionnelle porteuse de sens. La médiation ouvre la porte à la qualité de vie au travail si profitable à l’épanouissement individuel et collectif. A des salariés en demande d’une meilleure qualité de vie professionnelle, l’entreprise ne trouvera réponse qu’au travers de tels partages.
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