Didier Deschamps Ferait Un Très Bon Chef De Police

N’en déplaise à certains qui critiquent l’utilisation de la métaphore en liant le monde du sport à celui de l’entreprise, je ne résiste pas à me faire le porte-parole de ce commissaire de police qui en même temps qu’il s’inspire de Didier Deschamps, lui offre en retour d’occuper une nouvelle place. Il ne s’agit pas de copier, mais de s’inspirer du monde de l’autre. Les managers d’aujourd’hui s’ils n’ont pas toujours la latitude pour décider de manière complètement autonome, n’en sont pas moins capables de réfléchir à ce qui est transposable et d’exercer leur libre arbitre pour les décisions qui relèvent de leur périmètre : terrain de football ou autre terrain d’action !

Alors pour vous Michel Lavaud*, la police c’est du sport ? 

Michel Lavaud : Oui, un vrai sport collectif. Chaque policier sait bien qu’il ne peut travailler efficacement qu’en équipe. En équipe l’enquête va plus vite et la collégialité contribue à son objectivité et sa neutralité. Dans les affaires complexes, les services judiciaires spécialisés organisent des réunions jusqu’à plusieurs fois par jour ; elles rassemblent l’ensemble des enquêteurs impliqués dans l’enquête et visent à faire le point sur les investigations passées, les éléments accumulés et les pistes envisagées. Sur le terrain aussi, chaque policier sait que le collègue qui l’accompagne le protège, assure pour lui une vision périmétrique qui pourrait lui échapper.

Souvenons-nous de la fin tragique du héros du « Petit Lieutenant », ce film de Xavier Beauvois qui met en scène un jeune homme originaire du Havre incarné par Jalil Lespert, affecté comme lieutenant de Police dans un groupe criminel de la Préfecture de Police. Il y découvre la vie des services, leurs servitudes, leurs joies, leurs solidarités mais aussi le danger. Lors d’une enquête menée après la découverte du cadavre d’un sans domicile fixe polonais, il va retrouver la piste de l’auteur présumé dans un foyer et prendre la décision de monter seul l’interpeller plutôt que d’attendre un de ses collègues. Dans la chambre, alors qu’il fait face seul à l’individu qui fait mine de sortir ses papiers, celui-ci le poignarde.

J’ai la conviction que chaque policier se sent relié à ses collègues par un lien invisible, fait de solidarité dans l’épreuve, qui contribue au sens de ce métier.

Vous dites être inspiré par Didier Deschamps ?

Michel Lavaud : Oui car il a effectué avant la Coupe du monde des choix managériaux forts en sélectionnant des jeunes ou des joueurs sans sélection afin de favoriser l ‘émergence d’une solidarité interne au groupe tout en se gardant des leaders négatifs. Son discours au lendemain de France-Australie a aussi démontré toute sa capacité à « recadrer » son groupe : utilisant en ouverture des statistiques défavorables aux Bleus, il cible ensuite le comportement de joueurs, empruntant au répertoire de la critique constructive, puisqu’il leur rappelle que leurs prestations ne correspondent pas à leurs potentialités. Il poursuit et conclut en remettant le groupe face à ses responsabilités, son ambition, gagner la Coupe du monde, et se donner les moyens pour y parvenir.

Un bon management policier s’inspirera des mêmes méthodes : respectueux des hommes qui exposent sur le terrain leur intégrité physique, le chef de police ne doit pas se situer au-dessus mais au milieu d’eux ; il doit  pouvoir mettre la même intensité dans l’écoute que dans la décision et enfin, savoir rester en retrait et savourer les succès par procuration.

Si ce sont les policiers, et non leurs chefs, qui font les belles affaires, ce sont aussi les joueurs, et non l’entraîneur, qui marquent les buts. Et pourtant le chef, comme l’entraîneur, est essentiel pour l’accomplissement de la mission.

 *Commissaire divisionnaire. Auditeur de la 9ème promotion du Centre des Hautes Etudes du Ministère de l’Intérieur (C.H.E.M.I)