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Déplacements Pro : Mourir Pendant Un Rapport Sexuel Peut Être Un Accident De Travail

© Getty Images

Voilà un verdict qui n’est pas passé inaperçu ! Un récent jugement de la Cour d’appel de Paris a confirmé la qualification en accident de travail le décès d’un salarié en déplacement, intervenu en pleins ébats sexuels. L’entreprise TSO refusait d’y voir un accident de travail. Soutenant que la mort de son employé « est survenue alors qu’il avait sciemment interrompu sa mission pour un motif uniquement dicté par son intérêt personnel, indépendant de son emploi », la société conteste la position émise par la Caisse primaire d’assurance maladie, avalisée depuis par le tribunal. Retour sur ce dossier chaud qui pourrait faire jurisprudence, avec Maître Sarah Balluet, avocate spécialiste en droit social chez Selarl ACT’Avocats.

La décision de la Cour d’appel de Paris pourrait servir de jurisprudence dans d’autres affaires similaires. Que vous inspire ce verdict ?

Maître Sarah Balluet : Ce verdict aux termes duquel est retenue la qualification d’accident de travail pour le décès d’un salarié,  lors d’une relation sexuelle durant un déplacement professionnel, m’inspire la plus grande réserve au-delà des faits plutôt cocasses. Réserve tout d’abord quant à la portée de cet arrêt et réserve ensuite sur les conséquences pratiques que pourrait avoir cet arrêt sur les usages en matière de droit du travail et droit de la sécurité sociale dans les entreprises.

Pour étayer sa décision, la Cour d’appel de Paris a estimé qu’un rapport sexuel était un « acte de la vie courante » sans pointer de distinction entre sphère privée et sphère professionnelle. Où est la nuance ?

Me S.B : Par principe, tout accident survenu au temps et au lieu de travail est considéré comme accident du travail. C’est ce que les juristes appellent « une présomption d’imputabilité » de l’accident au travail. Le fait pour le salarié de se trouver placé sous l’autorité de l’employeur au moment de l’accident constitue le critère déterminant d’un accident du travail. La présomption d’imputabilité s’applique dès lors que l’accident se produit au cours d’un événement ou d’une activité en lien avec le contrat de travail du salarié, lorsque le salarié agit sous la subordination de l’employeur.

Cependant, l’employeur (ou la Caisse primaire) peut prouver que l’accident dont est victime un salarié, même s’il intervient au travail, est étranger à l’activité professionnelle, c’est-à-dire relève de la « vie courante » et doit, par conséquent, être traité comme un accident de la vie privée. Le salarié est considéré comme s’étant soustrait à l’autorité de l’employeur lorsqu’il accomplit un acte dicté par son intérêt personnel au moment de l’accident. Ainsi, par principe, lorsqu’un salarié se soustrait à l’autorité de l’employeur pour commettre un acte dicté par son intérêt personnel et donc un « acte de la vie courante », si un accident se produit, la qualification d’ « accident du travail » doit être écartée. A titre d’exemple, la Cour de cassation a été amenée à juger que l’accident survenu au salarié qui réparait son cyclomoteur dans l’enceinte de l’entreprise pendant le temps de travail n’est pas un accident du travail (Cass. 2e civ., 3 avr. 2003, n° 01-20.974, n° 425 FS – P + B : Bull. civ. II, n° 100).

Cependant, en matière d’accident du travail, la Cour de cassation est venue apporter une exception aux principes rappelés ci-dessus, par deux arrêts  rendus en 2001 s’agissant des déplacements professionnels (Cass. soc., 19 juill. 2001, n° 99-20.603, n° 4126 FS – P + B + R + I : Bull. civ. V, n° 285 et Cass. soc., 19 juill. 2001, n° 99-21.536, n° 4117 P + B + R + I : Bull. civ. V, n° 285). Dans ces deux arrêts, la chambre sociale est venue poser en principes que le salarié qui effectue une mission professionnelle bénéficie de la protection « accident du travail » pendant tout le temps de la mission, sans distinguer selon que l’accident survient à l’occasion d’un acte de la vie professionnelle ou de la vie courante.

La nuance est donc subtile entre les « actes de la vie courante » à savoir les actes non liés directement à l’exécution du contrat de travail, mais rattachés à la mission professionnelle et les « actes de la vie courante » dictés par l’intérêt personnel du salarié. Telle est à mon sens la difficulté de l’interprétation de cet arrêt !

© Maître Sarah Balluet

Pourriez-vous nous rappeler la définition juridique d’un « déplacement professionnel » et d’un « accident de travail » ?

Me S.B : La notion de  « déplacement professionnel » n’est pas définie par le code du travail. Au sens de la législation professionnelle, la notion de « déplacement professionnel » est entendue largement par les juges : il peut s’agir aussi bien d’un déplacement occasionnel pour le compte de l’employeur que d’un déplacement habituel inhérent à l’exercice de la profession. Le déplacement professionnel est également parfois qualifié de « mission professionnelle », à savoir une tâche confiée par l’employeur à son salarié, qui rentre dans ses attributions professionnelles mais dont la réalisation nécessite de se déplacer sur un autre lieu que le lieu habituel de travail du salarié.

Quant à la notion d’ « accident du travail », l’article L 411-1 du code de la sécurité sociale dispose que « est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ».

Quels recours pour l’entreprise TSO en cas de contestation de cette décision ? La société déboutée a l’obligation à présent de verser une rente aux ayants-droits et de s’acquitter d’éventuelles réparations pour le préjudice moral subi. 

La Société TSO a la possibilité de se pourvoir devant la Cour de cassation.

Le mot de la fin 

Je suis inquiète ! Cet arrêt étend très largement la notion d’accident du travail dans un sens qui ne me paraît pas justifié eu égard aux critères précédemment posés par la Cour de Cassation.

Si :

– le fait de se livrer à une relation sexuelle

– avec une personne tierce à l’entreprise, sans lien avec l’entreprise qui emploie le salarié,

– dans un lieu tiers qui n’est pas la chambre d’hôtel réservée par l’employeur à son salarié pendant sa mission professionnelle

– sur un temps étranger à l’exécution de la prestation de travail

– pour des besoins qui sont sans lien avec l’exécution de la prestation de travail

– dans un cadre qui n’a pas été imposé par l’employeur, sur lequel l’employeur ne peut exercer son contrôle

– sur un temps qui n’est pas rémunéré comme du temps de travail effectif

n’est pas considéré comme un acte dicté par l’intérêt personnel du salarié, quel type d’acte pourrait encore échapper à la qualification d’accident du travail lorsque le salarié est en déplacement professionnel ?

Et si la Cour de cassation confirme que ce type d’acte est régi par la législation sur les accidents du travail, peut-être les employeurs devront-ils désormais amender les fiches de poste de leurs salariés pour leur interdire de se livrer à des activités sexuelles sur leurs temps de repos pendant les missions professionnelles ? Ce qui manifestement constituerait une atteinte disproportionnées aux libertés fondamentales du salarié ! A méditer donc….

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