Il fut un temps où les mots étaient choisis avec soin, où l’on pesait ses phrases comme on polit un diamant, où la parole engageait autant que l’écrit. Aujourd’hui, la brutalité est devenue un mode d’expression dominant, une sorte de passeport pour exister dans un monde où tout va trop vite, où l’écho du dernier clash couvre à peine le bruit du précédent. La nuance a été sacrifiée sur l’autel de la rapidité, la politesse est perçue comme un vestige d’un temps révolu et la subtilité, un luxe inutile.
Une contribution de Yasmina Madafi, co-fondatrice de La Nouvelle Agence
Trump et Zelensky : l’exemple d’un langage sans filtre
L’entretien entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky est un exemple criant de cette violence larvée, de cette arrogance qui ne se cache même plus derrière une politesse de façade. Un échange où le mépris transparaît à chaque phrase, où l’on ne parle plus d’égal à égal, mais de dominant à dominé. Ce moment n’a pourtant rien d’exceptionnel. Il est symptomatique d’un monde où la parole publique s’est transformée en ring, où les rapports de force sont omniprésents, y compris dans la communication. Nous avons accepté – parfois même encouragé – l’idée que pour se faire entendre, il faut frapper fort, bousculer, humilier. Comme si la démonstration de force avait plus de valeur que la démonstration d’intelligence.
Dans notre métier – les relations presse, le marketing, la communication –, cette mutation est visible partout. On ne vend plus une idée, on l’impose. On ne dialogue plus, on assène. Les campagnes les plus bruyantes attirent l’attention, les prises de parole les plus abruptes captent le regard. On confond souvent franchise et brutalité, autorité et mépris. Et dans cette cacophonie, l’élégance du discours, la subtilité du message, disparaissent.
La force d’un message ne se mesure pas à son volume
Or, communiquer, ce n’est pas crier plus fort que les autres. Ce n’est pas réduire son interlocuteur au silence, ni écraser l’autre sous le poids de sa supériorité. Communiquer, c’est créer du lien, construire un langage commun, cultiver une forme de respect mutuel. La force d’un message ne se mesure pas à l’agressivité de son ton, mais à sa capacité à toucher, à convaincre, à rassembler. Et pourtant, combien de fois voyons-nous des marques, des leaders d’opinion ou même des responsables politiques céder à cette tentation du discours choc, du coup de poing verbal, persuadés que seule l’outrance marque les esprits ?
Nous devons réhabiliter l’élégance dans nos échanges, redonner à la parole son poids, à l’écoute sa valeur. Il ne s’agit pas de nostalgie, mais de nécessité. Dans un monde où la défiance est devenue la norme, où l’image l’emporte souvent sur le fond, où la communication politique elle-même n’échappe plus aux logiques de clash et de domination, il est urgent de retrouver un peu de cette délicatesse qui fait la grandeur d’une conversation.
Cela commence par un retour à l’attention. À l’attention portée aux mots que nous utilisons, aux réactions qu’ils suscitent, à la responsabilité qu’ils impliquent. Car les mots ne sont pas anodins : ils façonnent les imaginaires, construisent les représentations, influencent les comportements. Une parole décomplexée et brutale, répétée, normalisée, finit par structurer une société entière. Ce que nous acceptons dans le langage, nous l’acceptons aussi, peu à peu, dans les actes.
Choisir nos mots, c’est choisir notre société
Regardons autour de nous : la montée des discours populistes, la violence des échanges sur les réseaux sociaux, la radicalité de certains débats sont autant de signes que nous avons franchi une ligne. Dans le monde professionnel, combien de burn-out sont causés par une communication toxique, une culture du management agressive, une absence totale de bienveillance dans les échanges ? Combien de talents s’éloignent des entreprises où le respect n’est plus une valeur cardinale ?
Il est temps de poser cette question essentielle : voulons-nous réellement vivre dans un monde où seule la force des mots les plus durs fait loi ? Ou pouvons-nous, collectivement, réintroduire du respect, de l’écoute et de la mesure dans nos interactions ? Ce choix n’est pas anodin. Il détermine la qualité de nos relations, la crédibilité de nos discours et, finalement, la société que nous bâtissons.
Car comme nous le chantait Alain Souchon, ce n’est pas seulement “comme on nous parle”, mais bien comment on nous parle qui façonne notre rapport au monde. Et si nous décidions, ensemble, de retrouver le goût des mots justes ?
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