Il est urgent de repenser le modèle de gouvernance de nos entreprises, où le contrôle serait remplacé par la confiance, le management centralisé par le partage, l’autorité par le leadership.
L’un des sujets faisant l’objet d’une vigilance toute particulière de la part des actionnaires, en particulier minoritaires, à côté de la question devenue lancinante de la rémunération des dirigeants de nos entreprises cotées, concerne les modalités d’exercice du pouvoir, et notamment, la question de la dissociation des fonctions de direction générale et de présidence.
Ainsi, récemment, dans une lettre ouverte adressée au patron de Danone, un actionnaire minoritaire s’est ému de la retraite que certains jugeront brutale et prématurée de Franck Riboud, laissant à Emmanuel Faber la direction générale du groupe et prochainement, sa présidence.
Le cumul des pouvoirs sur la tête du nouveau dirigeant du géant de l’agroalimentaire alors que le groupe traverse une période cruciale de transformation, qu’il subit des attaques répétées de fonds activistes réclamant une meilleure rentabilité, serait source d’une fragilité supplémentaire.
On sait qu’il est de pratique courante que le départ d’un dirigeant, en particulier lorsque celui-ci laisse une empreinte forte sur le groupe, donne lieu à une période de transition souvent significative dans sa durée et son influence. Récemment encore, Maurice Levy était nommé président du conseil de surveillance à la suite de la désignation d’Arthur Sadoun en qualité de successeur à la présidence du Directoire.
Car si on mesure intuitivement la sensibilité du sujet dans un environnement économique et politique marqué par une tradition colbertiste de concentration des pouvoirs, la question est désormais de savoir si la gouvernance est condamnée à rester le parent pauvre de l’innovation.
Changement de paradigme
La Chine s’est emparée du sujet, y voyant une source de compétitivité. Certaines de ses entreprises proposent ainsi un modèle de management renouvelé. A l’instar d’une société de produits électroménagers qui autorise chaque employé à formuler à tout moment un projet dans une boîte à idées. S’il réussit à convaincre la direction de sa pertinence, il se voit attribuer une équipe de collaborateurs pour le mener à son terme. Quel bel exemple de gouvernance par le bas qui court circuite la traditionnelle hiérarchie pyramidale !
Nous assistons à un changement de paradigme qu’il est urgent de répercuter dans l’architecture de la gouvernance de nos entreprises. En effet, il est courant de lire que l’entreprise du futur sera humaine et digitale. En revanche, les auteurs sont peu diserts sur l’incidence de cette profonde mutation sur la gouvernance de l’entreprise, et la nécessité de réinventer un modèle où le contrôle serait remplacé par la confiance, le management centralisé par le partage, l’autorité par le leadership.
Les acteurs de l’entreprise de demain, notamment ses actionnaires et ses salariés, issus de la génération Y, ne sont plus prêts à accepter un pouvoir vertical qui puiserait sa seule légitimité dans une hiérarchie purement formelle. Affranchie d’un modèle qu’elle considère comme périmé et nourrie de culture collaborative, cette nouvelle génération accepte plus difficilement de s’inscrire dans une structure pyramidale. La verticalité du pouvoir, incarnée par la « hiérarchie », laisse place à un principe d’horizontalité de partage, signant par là même la faillite des processus d’autorité formelle.
Collégialité et décentralisation
Le leadership fait ainsi appel à l’engagement, au partage et à l’émergence de collégialités et de compétences croisées, à la capacité enfin d’injecter du sens et donc, de la vision dans le projet entrepreneurial, ce que les anglo-américains nomment si joliment par le terme de « inspiring ». Cette faillite ne date d’hier. Elle était en sommeil, faute d’être en mesure de générer un modèle substitutif. La transformation digitale, l’émergence des objets connectés modifiant puissamment le rapport aux autres et au savoir, le big data injectant une nouvelle forme de connaissance couplée avec l’intelligence artificielle, ont apporté le coup décisif, rendant ces expressions d’autorité en partie caduques.
Car l’affaissement de la hiérarchie s’accompagne d’un phénomène corollaire, la décentralisation, décentralisation du pouvoir, du savoir, du travail qui en est le premier marqueur, le télétravail s’analysant en une décentralisation organisée ; la production sera également décentralisée, sous forme de plateforme coopérative indépendante.
Cette transformation engendre de nombreuses répercussions, notamment à l’égard de l’actionnaire minoritaire qui ne se contente plus d’un traitement purement capitalistique de son influence, longtemps négligée tant que non agrégée. Certains d’entre eux, depuis quelques années, à l’exemple de certains fonds d’investissement, exigent un dialogue avec les administrateurs pour savoir, comprendre et in fine, influencer.
De sorte que derrière la question des modalités d’exercice du pouvoir se jouent de façon plus profonde le renouveau du modèle de gouvernance d’une part, l’émergence d’une nouvelle forme d’autorité du dirigeant tant vis à vis de ses salariés, de ses actionnaires que du marché d’autre part.
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