Si cette terrible pandémie a eu un aspect positif, c’est son effet accélérateur en termes d’innovation.
Les secteurs les plus touchés se sont vus obligés de se réinventer pour résister. Ceci a été combiné avec beaucoup de courage, de créativité et d’audace de quitter le territoire du connu. Des industries particulièrement touchées pendant cette période furent la gastronomie et l’hospitalité avec une fermeture des lieux pour accueillir des clients pendant des mois. Des pertes furent importantes, la pression sur la direction inimaginable, la peur des employés quotidienne.
Je suis allée à la rencontre de dirigeants de lieux qui ont effectué un travail remarquable sur le plan de l’innovation pendant et à l’issue de cette crise mondiale. Une innovation, même si elle émerge au sein des collaborateurs, doit être portée, validée et soutenue par la direction.
Un lieu qui m’a particulièrement surprise est le plus ancien Palace Hôtel de Paris, l’Hôtel le Meurice. Lors d’une rencontre avec le Directeur Général Adjoint de cet établissement luxe, Christophe Chopineau, je fus bluffée d’apprendre comment ce lieu a réussi à se réinventer et s’adapter à la nouvelle situation. Une adaptation à la fois au nouveau style de vie des clients mais aussi aux exigences des voyageurs à l’issue de la pandémie.
Voici un extrait de l’échange que j’ai pu avoir avec lui.
En tant que dirigeant, comment avez-vous vécu cette période Covid sans précédent ?
Je l’ai vécue comme une période difficile et longue. Nous avions totalement fermé l’hôtel entre le 18 mars et le 1er septembre 2020. Ensuite, nous étions confrontés à la fermeture des frontières pour notre clientèle internationale, qui représente 90% de notre business. Nous étions alors démunis de notre source de revenu principale.
Mais pour nous, il était hors de question de rester sans rien faire. Bien au contraire.
La base de notre métier, c’est le relationnel. Alors, pour nous, il était fondamental de maintenir le contact avec tous les collaborateurs, même s’ils étaient à distance. Avant la crise, la digitalisation en interne n’était pas très avancée. Mais la situation nous a poussé avec une vitesse impressionnante vers une omniprésence du digital.
Grâce à la digitalisation nous avons pu maintenir des réunions très régulières avec le Comex et l’ensemble de nos collaborateurs. Ceci nous a permis de maintenir une écoute attentive vis-à-vis d’eux. Nous avons même établi une hotline spéciale Covid, tenue par les ressources humaines. Ce qui nous a aussi énormément aidé était le soutien de la Dorchester Collection mais également les aides gouvernementales.
A partir de quand avez-vous senti qu’il fallait réinventer votre secteur et ses prestations ?
Dès le mois de mai 2020, nous avons organisé une réunion avec le Comex, pendant laquelle nous avons développé un plan stratégique. Une roadmap vers l’innovation. Nous souhaitions saisir cette situation atypique pour nous challenger et nous réinventer pour sortir de la crise encore plus forts, plus modernes, plus désirables pour nos clients.
Il est vrai que notre hôtel a parcouru des périodes de crises de toutes sortes : la série des attentats à Paris, les grèves, les gilets jaunes. Et dans chaque situation difficile nous avons réussi à saisir des opportunités.
Quelles prestations avez-vous mises en place qui n’existaient pas avant la crise sanitaire ?
La toute première action que nous avons mise en place était d’ouvrir la boutique en ligne pour la vente de la pâtisserie de notre chef pâtissier Cédric Grolet. Nous avons mis en place un service de « click & collect ». Afin de garantir les mesures de distanciation et éviter des temps d’attentes, nous avons établi une file d’attente spécialement dédiée aux achats de ligne.
Sincèrement, nous n’avions pas anticipé un tel succès. Les clients ont tout de suite répondu présents et les ventes de la boutique explosaient à la suite du changement de consommation pendant cette période.
5 mois plus tard, après avoir acquis plus d’expertise dans la vente sur internet, nous avons commencé à livrer nos clients à domicile.
Compte tenu de l’énorme succès de ce service, nous avons ensuite étendu la vente en ligne des menus complets proposés par notre Restaurant Le Dalí avec une offre accessible à 70€ pour une formule entrée, plat, dessert. Nous avons servi en moyenne 40 couverts par jour avec des pointes pouvant monter jusqu’à 100 couverts. Afin d’être encore plus responsable, la livraison à Paris se faisait à vélo avec une société éco-responsable.
Nous étions parmi les rares Palaces à Paris à proposer ce type d’offres. Tout ce que nous avons mis en place s’est fait étape par étape. Nous avons appris, observé, analysé, optimisé et ensuite étendu nos prestations.
Quel a été l’impact de ce changement fondamental de votre métier et vos prestations ?
Il est vrai que nous ne connaissions pas le métier de la vente en ligne ou la livraison à domicile avant la crise sanitaire. Elle nous a obligés à faire différemment, à nous adapter rapidement aux changements de consommation pour pérenniser une partie de notre activité restauration. Ce changement était vital pour le business mais aussi pour nos collaborateurs.
Grâce à l’introduction de ce nouveau mode de distribution, nous avons pu garder l’ensemble de notre personnel mobilisé : le personnel en cuisine pour préparer les plats, les serveurs pour optimiser la qualité des livraisons, le marketing et la communication pour informer la presse et d’autres médias de nos nouveaux services et tous les autres services transversaux. Grâce à ces initiatives, nous avons pu compenser une partie de la perte de notre chiffre d’affaires.
L’impact était aussi très positif sur la cohésion et la motivation de nos équipes. Toute cette transformation a soudé nos collaborateurs et nous a rendu encore plus ouvert pour toute innovation.
De plus, nous avons pu garder un contact très proche et direct avec nos fournisseurs, les producteurs locaux de la région : les primeurs, les volaillers, les fromagers et pleins d’autres. Ainsi nous avons pu aider tous ces métiers essentiels à traverser la crise.
Et finalement, ce nouveau mode de fonctionnement nous a permis d’ouvrir un véritable laboratoire pour innover nos futures menus, plats et merveilles culinaires. Notre chef Amaury Bouhours a imaginé de nouveaux plats que nous n’avions jamais créés avant. Toutes ces innovations ont fortement influencé la nouvelle carte du Restaurant Le Dali dès son ouverture (https://www.dorchestercollection.com/fr/paris/le-meurice/restaurants-bars/restaurant-le-dali/).
Quels autres changements avez-vous observés dans les attentes de vos clients et comment avez-vous su vous adapter ?
La crise sanitaire a créé un fort besoin de bien-être et de proximité à la nature. Depuis la réouverture de l’hôtel, nous avons proposé des services qui n’existaient pas avant et qui rencontrent un énorme succès. Par exemple, nos clients peuvent participer à des séances sportives avec un coach dans les Tuileries, juste en face de l’hôtel.
Ou bien, nous proposons à nos clients d’aller à la rencontre de la nature pour découvrir des coins merveilleux pas trop loin de Paris. Par exemple nous organisons des excursions pour admirer des plus beaux villages en France, comme Gerberoy en Haut-de-France. Ou d’admirer des jardins riches en senteurs et magnifiques sur le plan esthétique.
Comment avez-vous procédé pour vous réinventer et trouver toutes ces nouvelles idées ?
Nous avons responsabilisé l’ensemble des équipes. Tout d’abord, nous avons demandé à chaque chef de service de réfléchir à des nouveaux projets et initiatives destinés aux clients. Nous avons laissé carte blanche car nous leur faisons confiance. Ils ont ensuite travaillé avec leurs équipes sur les nouvelles prestations, le changement organisationnel, les nouveaux prestataires.
Quelques mois plus tard, ils nous ont proposé pendant une réunion au Comex les fruits de leurs réflexions. Ça nous a permis de choisir les projets les plus pertinents et de prioriser leur mise en place de manière opérationnel.
De quelle initiative êtes-vous le plus fier ?
Je suis le plus fier du fait que nous avons mis en place avec succès de nombreuses initiatives qui sont nées de la réflexion de nos collaborateurs. Et comme ces initiatives ont boosté notre activité, nous avons pu conserver l’ensemble de nos collaborateurs et fédérer plus que jamais l’esprit d’équipe.
Est-ce que vous voyez déjà un impact sur la satisfaction client depuis la mise en place de toutes ces innovations ?
Globalement, nous avons toujours bénéficié de notes de satisfaction client très élevées. Mais depuis cette année, nous avons réussi à pousser la barre de l’excellence encore plus haut quand on regarde les baromètres de satisfaction que nous utilisons pour savoir ce que nos clients pensent de leur séjour et de leur expérience à l’hôtel Le Meurice.
Cet échange avec Christophe Chopineau m’a confirmée dans ma conviction que chaque crise porte des opportunités si elles sont vues et saisies. Ceci nécessite beaucoup de courage du top management, une ouverture d’esprit de la part des collaborateurs, une volonté de se mettre en question et aussi un soutien financier de la part des investisseurs.
Une crise, surtout longue et mondiale, comme celle du Covid, a ouvert une voie extraordinaire pour repenser son modèle économique, ses prestations, ses produits et l’organisation dans son ensemble. Et le digital était un vecteur d’accélération à tous les niveaux alimentés par l’intelligence humaine.
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