La Grande Démission a laissé place à une période d’inertie. Avec un marché du travail moins dynamique, les employeurs reprennent l’avantage et les employés voient leurs possibilités de mobilité se restreindre. Ils prennent conscience que les opportunités ailleurs ne sont pas plus prometteuses, ce qui les amène peu à peu à se désengager de leur travail.
Une contribution de Mark C. Perna pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
Le « grand détachement » est en marche, et ce n’est pas de bon augure. Dans un environnement de travail toxique, beaucoup d’employés prennent la décision de quitter leur poste. Certaines situations deviennent tout simplement insoutenables. Cependant, dans un cadre professionnel simplement monotone ou peu stimulant, il est souvent plus facile de se détacher, de perdre l’engagement et de se contenter du strict minimum. C’est la face obscure de la « démission silencieuse », un phénomène qui prend de l’ampleur à mesure que les employés se sentent de moins en moins libres de changer de poste.
« Le détachement des employés est un défi et un sujet de débat depuis des décennies », explique Leena Rinne, responsable mondiale du coaching chez Skillsoft. « Toutefois, ce phénomène a pris une nouvelle dimension récemment et s’est intensifié au cours des 12 derniers mois, alors que les télétravailleurs recherchent davantage de connexion humaine, que les charges de travail augmentent à cause des réductions d’effectifs dans l’ensemble des secteurs, et que la confiance au sein des entreprises s’érode. »
Leena Rinne et moi avons récemment évoqué le défi majeur auquel les employeurs doivent faire face : une main-d’œuvre trop désillusionnée pour s’investir pleinement, mais aussi trop prudente pour quitter leur poste. Les employés ne sont ni engagés ni totalement détachés ; ils se trouvent dans un état d’apathie. Et cela représente peut-être le plus grand obstacle pour les employeurs cherchant à maintenir leur rentabilité, à honorer leurs engagements et à créer une culture de travail dynamique et performante.
Quand la démotivation des employés compromet les résultats financiers
De nombreuses études ont révélé une corrélation étroite entre l’engagement des employés et leur productivité, un lien aujourd’hui menacé par le grand détachement. « Les organisations doivent impérativement prêter attention à cette tendance », avertit Rinne. « Quand les employés se désengagent, deviennent indifférents ou s’ennuient, cela affecte non seulement leur créativité, mais aussi leur productivité et la qualité de leur travail. De plus, ce sentiment de passivité peut se propager au sein de l’équipe, entraînant une augmentation du turnover ou favorisant des comportements de démission silencieuse. »
La majorité des employés profondément insatisfaits de leur environnement de travail feront tout pour décrocher un nouveau poste, quels que soient les risques. Cependant, ceux qui choisissent de se désengager discrètement peuvent affecter l’organisation de manière subtile mais négative, tout en donnant l’impression d’être de bons éléments en matière de rétention.
Bien que Rinne reconnaisse la valeur des indicateurs de performance tels que la productivité et les taux de turnover, ceux-ci ne racontent qu’une partie de l’histoire. Les taux de rétention ne peuvent plus être le seul critère sur lequel les employeurs se basent pour évaluer le bien-être de leurs équipes. Ce n’est pas parce que les employés ne quittent pas l’entreprise qu’ils sont heureux de rester.
« Ces effets internes ont aussi des répercussions externes », précise Rinne. « Lorsque la performance des employés diminue, la satisfaction et la fidélité des clients ainsi que des parties prenantes clés en pâtissent généralement. Si ce problème n’est pas pris en charge rapidement et de manière efficace, il peut compromettre les revenus ainsi que la mission globale de l’organisation. »
Revenir à l’essentiel : la confiance
Face à la crainte que leurs employés se désengagent, certaines entreprises ont tenté de recourir à des outils de surveillance et de suivi pour contrer la baisse de productivité des travailleurs peu investis. Cela a donné naissance à un nouveau terme, la « fauxductivity » (ou « fausse productivité »), décrivant la situation où les employés utilisent leur créativité non pas pour accomplir leurs tâches, mais pour contourner la technologie mise en place pour les surveiller.
Ce phénomène ne se limite pas aux employés individuels. Une étude de Workhuman a révélé que les managers (37 %) et les cadres supérieurs (38 %) sont en réalité les principaux responsables du travail simulé. La confiance semble avoir disparu à tous les niveaux.
Leena Rinne estime que le manque de confiance est l’un des principaux moteurs du grand détachement. « Le lieu de travail actuel est marqué par de nombreuses situations de peur, de perturbation et d’anxiété », explique-t-elle. « Il est donc naturel que les individus se referment plutôt que de s’impliquer, surtout en l’absence d’une base solide de confiance et de communication ouverte. » Bien sûr, la confiance et la communication ne se construisent pas toutes seules. « Elles nécessitent une intention, un engagement à l’échelle de l’entreprise et un effort continu », souligne Rinne. « Développer des compétences interpersonnelles (ou “power skills”) chez l’ensemble des travailleurs est une étape essentielle, car ceux qui maîtrisent mieux leur travail le font de manière plus efficace. »
Bien que les employeurs bénéficient indéniablement d’une main-d’œuvre qui fait confiance à ses dirigeants, une culture fondée sur la confiance apporte également des avantages considérables aux employés. « Lorsque les membres d’une équipe sont ouverts, communiquent efficacement, adoptent une approche orientée vers les solutions et privilégient la confiance plutôt que la méfiance, des avancées significatives peuvent être réalisées », souligne Rinne. « Travailler dans un environnement fondé sur la confiance est bien plus gratifiant et agréable, et cela peut offrir des avantages majeurs, tels que des opportunités accrues de développement professionnel, ainsi qu’une meilleure santé mentale et un bien-être général amélioré. »
Renforcer l’engagement
La première étape pour réengager une main-d’œuvre démotivée consiste à repérer les points où la confiance a été fragilisée et à corriger ces faiblesses. « Les organisations peuvent rétablir la confiance en adoptant une transparence totale, en écoutant activement les préoccupations des employés et en y répondant, tout en les impliquant dans les décisions importantes », explique Rinne.
En outre, les employeurs doivent se rappeler que leurs employés sont avant tout des êtres humains. « Ils éprouvent des émotions humaines tout à fait naturelles », insiste Rinne. « Dans un monde axé sur la technologie et la productivité, les dirigeants doivent prendre le temps de ralentir, d’écouter et de favoriser une communication ouverte, encourageant un véritable dialogue entre l’employé et le manager. »
En plus de bâtir ou de restaurer la confiance, les dirigeants devraient également repenser leurs programmes de formation et de développement. « La stagnation est l’un des principaux moteurs du désengagement et de l’apathie au travail », avertit Rinne. « Il est crucial d’investir dans le développement continu des employés et de leur offrir des opportunités pour des projets stimulants, afin que les membres de l’équipe soient constamment mis au défi et puissent développer leurs compétences. »
Elle recommande également de proposer des opportunités de coaching, de mentorat et de formations dirigées par un instructeur, où les membres de l’équipe peuvent bénéficier de conseils personnalisés et de retours constructifs pour les maintenir motivés et responsables. « Mettez en place des évaluations de compétences et des repères afin de vérifier si les employés continuent d’apprendre et cherchent à développer leurs compétences, signe d’une main-d’œuvre engagée et motivée », précise Rinne.
Adoptez une approche captivante
Pour capter à nouveau l’attention des employés désengagés, il est essentiel de se montrer captivant. La routine quotidienne, avec ses tâches répétitives, peut facilement engendrer de l’ennui. Beaucoup d’entre nous répètent les mêmes gestes ou types de travail chaque jour et, bien que la routine puisse apporter un sentiment de sécurité, elle finit par manquer de dynamisme.
Parfois, il est utile de bousculer un peu les habitudes, de rappeler à votre équipe la finalité de son travail, ou de partager des anecdotes sur l’impact que vous avez. Autrement dit, il s’agit de rendre les tâches quotidiennes plus attrayantes en rappelant aux gens la vision d’ensemble. Notre travail quotidien peut avoir un impact positif sur le monde, et cela mérite qu’on y accorde l’attention nécessaire.
À mesure que les employés réévaluent leur rapport au travail, les employeurs qui les considèrent comme acquis pourraient se satisfaire de bons taux de rétention, tout en voyant d’autres indicateurs moins tangibles se dégrader. Reconstruire la confiance, renforcer la communication, favoriser le développement et offrir un environnement de travail stimulant : c’est ce que recherchent les employés désillusionnés.
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