Le couple, l’éducation de nos enfants, l’économie, la religion, les valeurs, le sens de la vie, la mort… Qu’est-ce que le monde, sinon précisément une infinité de problèmes auxquels nous sommes confrontés, un ensemble de questions auxquelles nous devons apporter des réponses (le mot problème a d’ailleurs pour étymologie προβλημα « ce qu’on a devant soi, obstacle, tâche ») ? Face à nos angoisses existentielles comme à nos soucis du quotidien, nous cherchons tous des certitudes qui ne sont que l’aboutissement de questionnements nombreux adressés aux autres comme à nous-mêmes.
Nous questionnons… mais rarement nous questionnons le questionnement lui-même. Inspirons-nous de cette citation attribuée à Albert Einstein. « Si j’avais une heure pour résoudre un problème dont ma vie dépendait, je passerais les 55 premières minutes à chercher la meilleure question à me poser, et lorsque je l’aurais trouvée il me suffirait de 5 minutes pour y répondre ». Devant tout problème, ce qui compte en premier lieu, c’est la manière de le mettre en mots. De la formulation de la question dépend la qualité et la pertinence des réponses qui lui seront données. Ce qui fait dire à Henri Bergson que tout problème bien posé est à moitié résolu. Ou encore à Albert Einstein qu’un problème sans solution est un problème mal posé.
Le premier écueil dont il faut se méfier consiste à poser les problèmes sous la forme d’une alternative indépassable. Dois-je quitter mon conjoint ? Faut-il engager ce virage stratégique pour l’entreprise ? Dois-je me séparer de ce collaborateur ? C’est oui ou non. C’est 1 ou 0. Nous prenons constamment des décisions qui provoquent des bifurcations dans nos vies, celles des autres ou celles de nos organisations. Mais qu’est-ce qui nous fait préférer une solution à une autre ? Il faut parfois être devin pour ne pas se tromper, les facettes d’un problème étant rarement toutes parfaitement prédictibles. En nous enferrant dans une logique binaire, nous limitons notre capacité à agir sur les événements en rétrécissant le champ des possibles. Du même coup, nous augmentons les probabilités de nous tromper. Nous effectuons ainsi des choix ordinaires, mais aussi stratégiques et vitaux en appliquant instinctivement ce modèle. Un modèle ? Plutôt une croyance qui postule que la bonne décision se trouve nécessairement parmi deux options absolument irréconciliables. Un jeu à somme nulle qui n’autorise pas la réussite conjointe de ces deux options. Mais qui n’interdit pas l’échec de l’une comme de l’autre…
« Il n’est pas besoin d’un esprit créatif pour déceler une mauvaise solution ; mais il en faut un pour déceler une mauvaise question », nous apprend l’auteur anglais Anthony Jay (citation reprise par Paul Watzlawick dans son livre Changements). Alors, soyons créatifs ! Privilégions le conjonctif au disjonctif, le « et » au « ou ». Pour Hans Gadamer, « il n’y a pas de réponse à une question sans la conscience qu’à toute question, il y a plusieurs réponses possibles ». Et nous voudrions pourtant à tous prix n’en garder qu’une ?
Prenons un exemple. Plutôt que choisir entre deux produits à lancer, pourquoi ne pas lancer les deux conjointement ? Pour une question de coût ? Par quel biais alors surmonter cet obstacle ? En s’associant ? Oui, mais en s’associant à qui ? Etc. Il s’agit bien là en effet de faire preuve de créativité, car les réponses à ces séries de questions ne sont pas évidentes ; elles nécessitent un effort de l’imagination et font émerger des pistes que nous n’avions pas envisagées de prime abord. C’est le prix à payer pour éviter les décisions hâtives, les solutions de facilité et les erreurs parfois fatales.
Mais revenons à Albert Einstein qui nous dit que « le véritable acte créatif est de se poser les bonnes questions ». A la paresse intellectuelle qui consiste, entre deux idées, à en sélectionner une et éliminer l’autre, privilégions le travail « dialogique » provoqué par la mise en tension de deux idées a priori incompatibles. « La source de toute hérésie est de ne pas concevoir l’accord de deux vérités opposées », affirmait Blaise Pascal. S’efforcer de penser ensemble ce qui semble communément contradictoire, c’est trouver des solutions innovantes aux problèmes auxquels nous sommes confrontés.
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