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Comment Devenir Un Leader Admiré Et Inspirant

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Est-il suffisant d’être beau, riche et intelligent ? Non, la hauteur que prennent certains leaders leur confère une dimension plus admirable encore. Pourquoi certaines personnalités créent si peu de polémiques ? Quelle recette pour ne pas être clivant, défié, mais plutôt admiré et inspirant ? Entretien avec Yves Le Bihan, entrepreneur, coach de dirigeants, conférencier et chercheur associé à la Chaire ESSEC du changement. Il a fondé en 2013 l’Institut Français du Leadership Positif.

Commençons d’abord par la définition du mot leader. On imagine souvent un chef d’entreprise, mais un leader peut être personnifié en un père ou une mère de famille, un(e) Président (e)ou un(e) étudiant(e) qui sait motiver une troupe…

Dans toutes les organisations au sens large (privées, publiques, politiques, ONG…), on peut et on a des leaders. Donc je vous rejoins complètement là-dessus. Il y a quatre caractéristiques fondamentales qui définissent un leader pour moi. C’est d’abord un noyau dur, un noyau central et ensuite une enveloppe d’habilités ou de compétences. Le noyau dur, c’est une personne, une femme ou un homme, qui fixe et incarne un cap, une direction. Donc elle répond à la question du « pour quoi ? », dans la direction où l’on souhaite aller. La deuxième caractéristique, c’est que cette personne fixe des étapes, des buts à atteindre pour arriver à cette vision. La troisième caractéristique, c’est la personne qui sait mobiliser, embarquer, un groupe d’individus – jusqu’à un pays, une nation. Il y a vraiment cette notion de savoir embarquer collectivement un groupe (ce n’est jamais seul, un leader). La quatrième et dernière caractéristique, c’est la capacité à être non pas exemplaire mais inspirant. Et je tiens beaucoup à cette différence, je crois de moins en moins à l’exemplarité du leader et davantage à sa capacité à inspirer les autres par son comportement. C’est différent que d’être l’exemple, parce que cela signifie que l’on est dans un rôle-modèle, que nos employés disent « je fais comme mon chef ». Non, il faut se dire « mon chef m’inspire, je vais faire à ma manière ». Etre donc plus inspirant qu’exemplaire, me semble-t-il. Autour du noyau dur que je vous ai décrit, ce que nous cultivons à l’institut, c’est de se dire : de quoi a besoin le leader en ce monde émergent ? On sent qu’il serait bon qu’il développe de nouvelles habiletés, c’est le cœur du leader positif. Ce sont d’abord des habilités plutôt que des connaissances, parce que quand on parle de conscience, de connaissance et d’acceptation de soi, est-ce que ce sont vraiment des qualités ? Ce sont plutôt des habilités ou des traits de personnalité. À cela s’ajoutent empathie, altruisme, compassion, force et valeurs personnelles, gratitude et force de reconnaissance, interaction positive, etc etc. Tout une enveloppe autour de deux éléments : un noyau de self leadership –la capacité à bien se connaître, qui passe par une acceptation de soi, la capacité à accepter et réguler ses émotions, la capacité à être plus flexible, plus communicatif émotionnellement. Le deuxième élément, c’est d’être centré sur les autres : à travers les qualités d’empathie, de résonance avec les sentiments d’autrui, la capacité à favoriser des relations constructives et positives, à avoir des échanges véritablement ouverts, des discussions générales et positives, la capacité à avoir une conversation profonde… 

Votre institut existe depuis 2013. Il prône l’audace, l’humilité, l’attention et le collectif. Ces valeurs sont pourtant des bases toutes simples… Pourquoi devoir les inculquer ?

Parce qu’il me semble que nos modèles éducatifs (je parle de l’école), nos modèles d’entreprises (je parle des organisations avec lesquelles nous travaillons) ne véhiculent pas, ne prônent pas ces valeurs. Nous sommes dans un monde global, incertain, ok, mais en fulgurant de transformations – je dirais à une vitesse inédite dans l’histoire de l’humanité, ce qui fait qu’il y a un repli sur soi, un repli individualiste, un repli corporatiste, un repli communautariste et autres… Tous ces replis, face à la peur de ce devenir incertain, génèrent des comportements plus égoïstes qu’altruistes. Cela amène à de la fermeture alors que nous avons besoin d’ouverture. Je reviens sur le modèle éducatif : dans les Business School, les écoles d’ingénieurs et les universités, qu’elles soient grandes ou petites, on forme des leaders héroïques, alors qu’on a besoin de leaders authentiques. Il faut démarrer par l’école maternelle, l’école élémentaire… Je vois avec beaucoup de joie que les pratiques contemplatives s’y développent, et tant mieux, mais après, arrêtons de former des super héros. Ce n’est pas ce que le monde réclame. On demande à nos leaders d’être vrais, accessibles, inspirants et contribuant positivement à adapter la planète.

Comment faites-vous face au cynisme français qui considère tout cela comme étant de l’angélisme à l’américaine ?

Vous me permettrez de ne pas être d’accord avec vous. C’est vrai que nous sommes culturellement les champions du monde du pessimisme, on critique, on râle, René Descartes et compagnie… Mais voilà, il se trouve que l’esprit critique est une force. C’est quand il bascule dans le bashing systématique que le cynisme devient « pathologique ». Un mal français, peut-être ? Là où je m’oppose à ce que vous dites, c’est que, quand vous prenez les Français collectivement, en général, ils sont pessimistes, mais quand vous les prenez individuellement -je pense notamment à ces myriades d’entrepreneurs qui croient en leur avenir, dans le monde des start-ups, c’est tout autre chose. Ils ont un regard beaucoup plus optimiste, créatif, ouvert. Parallèlement à cela, je sens, et nous sommes beaucoup à ressentir cela, une aspiration en France pour changer les règles du jeu, c’est-à-dire aller vers un élan de créativité sans limite, d’optimisme lucide, de cohésif. La solidarité nationale existe (on l’a vu malheureusement à de nombreuses reprises lors d’événements dramatiques depuis trois ans). Il y a donc une double lecture et je trouve qu’on a de moins en moins de mal d’énergie à mettre pour convaincre. Je prends comme exemple nos initiatives, mais il y en a plein d’autres évidemment, de confrères qui ont fait des événements à Lyon, à Paris… Le monde est en train de changer. Il faut juste donner, comme vous le faites là, la parole, à tout ceux qui sont ouverts, optimistes, qui creusent, qui ouvrent, qui découvrent, qui entreprennent. Et ces personnes positives, il y en a beaucoup plus que ce que l’on croit.

On leur souhaite du courage. Car à ces considérations personnelles s’ajoutent des idéologies projetées par la société dans laquelle on vit. Ici, apprendre à quelqu’un à devenir positif, c’est fastidieux… Et il est très difficile de viser HAUT. Dire que l’on souhaite être riche, beau, intelligent, humble, respectueux (…), c’est l’assurance d’entendre en retour : « c’est compliqué » (la remarque préférée des Français) ou « c’est utopique ». On nous rabâche sans cesse « qu’on ne peut pas tout avoir ». 

Je partage votre point de vue. Souvent, en France, par notre côté ultra grincheux, ultra pessimiste, on a tendance à entendre ça. Donc c’est parfois du pessimisme, parfois de l’angélisme. À mon sens, il ne peut jamais y avoir de prosélytisme. Alors, « utopique » et « compliqué »… On peut avoir ces deux réactions, oui. Pour le côté long et fastidieux c’est vrai, mais pour l’utopie, je ne crois pas.

Si c’est vrai alors tant mieux. Vous en voyez plus que nous, et c’est une bonne nouvelle…

Ça peut paraître caricatural, idéalisant… Mais j’ai tout de même beaucoup de noms en tête… Je pense à Stéphane Perrin, ancien dirigeant d’un laboratoire de médico-device, qui approche ce modèle de leader inspirant et positif… Il y a par exemple Jeff Gravenhorst, c’est le patron d’ISS, leader mondial suédois de service propreté, qui est un leader au contact, proche, qui instaure des journées durant lesquelles il va au contact de ses collaborateurs. Et ce n’est pas de la démagogie. Je peux vous citer aussi Bill George, ancien CEO de Metronic (leader mondial de technologies, solutions et services médicaux), qui est également professeur à Harvard et qui médite beaucoup. Le nouveau CEO de Sodexo, Denis Machuel est quelqu’un avec qui j’ai beaucoup discuté… En tout cas il y en a plus qu’on ne le croit, et ce à chaque taille d’entreprise.

Sur la base de trois piliers scientifiques : la psychologie positive, les neurosciences cognitives et la pratique de la méditation de pleine conscience, vous évoquez, dans votre ouvrage Le Leader Positif, des notions d’altruisme, de compassion, de responsabilité, d’exigence. Mais cela relève aussi d’un passé personnel. L’amour des parents, de la famille, l’éducation… Des nombreux manquements naît une frustration qui aboutit aux bras cassés que l’on croise dans certaines entreprises. Comment réparez-vous tout cela ?

Il y a un élément clé que je crois que vous devez absolument savoir concernant notre modèle de leadership positif, c’est ce que j’appelle le cercle vertueux : on ne peut pas avoir une organisation qui impacte positivement la planète si on n’a pas une organisation elle-même positive. Une organisation positive, c’est celle qui œuvre pour délivrer à la fois de la haute performance et qui crée des conditions d’épanouissement, qui est partie prenante de ses collaborateurs. Mais pour arriver à une entreprise positive, il me semble que la révolution intérieure du dirigeant est absolument indispensable – c’est le premier cercle de transformation personnelle. Nous sommes évidemment le fruit de notre histoire et il me semble que quand on est à la tête d’un département, d’une entreprise, d’un pays, de n’importe quelle organisation, on a le devoir d’inspirer les autres en travaillant d’abord sur soi. Encore une fois, ce monde d’incertitudes et de dilemmes réclame d’autres qualités qui faisaient les leaders d’il y a 20 ou 30 ans. Mais, comme vous l’avez dit, chacun a la maturité et son histoire pour développer (ou pas) ces aptitudes. Nous n’avons pas la prétention de réparer des « bras cassés », on dit juste que, quand on est en position de leadership, pour inspirer et embarquer le plus grand nombre, il nous semble intéressant d’avoir des pratiques d’intériorité. Dans ce que je dis, il y a tellement de possibilités de cultiver cette connaissance, cette conscience et cette acceptation de soi en tant que leader. Je dois préciser un point : c’est vrai que l’on peut se dire leader positif égale positivité, psychologie positive, on y croit, optimisme béat, par-delà l’adversité on va y arriver.  Là où j’en viens à votre question, c’est que justement, beaucoup se trompent. Des leaders viennent nous voir en nous disant : « moi je vais prendre un cours de psychologie positive et tout ira bien, je verrai la vie en rose ». Non. C’est l’exact opposé. Si vous ne faites pas ce travail personnel en profondeur, vous serez dans la superficialité, dans l’affichage, dans le politiquement correct.

Venons-en au sujet principal de notre entretien : des leaders, il y en a beaucoup. Des leaders qui apprennent à manager, il y en a de plus en plus. Des leaders qui apprennent à gérer des personnalités sans les broyer, c’est une espèce qui est apparue depuis peu. Mais des leaders authentiques, sympathiques, avec un esprit grand et large, une vision lointaine sur les choses, et un charisme qui empêche toute remarque trop familière, on en trouve peu. Pourquoi ?

Je mettrais plus de nuances dans les cases que vous proposez même s’il vrai qu’il existe ces fameux modèles autocratiques, directifs, plutôt masculins, hiérarchiques etc… Alors pourquoi, parce qu’il y a ce modèle éducatif évoqué précédemment, ces business school, ces plans de carrière, ces critères pour évoluer, cette façon de tout remettre à plat dans des processus RH etc etc… Mais je crois que la raison principale, c’est qu’il faut faire preuve de courage. C’est tout sauf simple. Il faut faire preuve de reconnaissance, de gratitude, d’encouragement, de bienveillance sans baisser la garde sur l’exigence. Tout ça, ce n’est pas simple, pour un dirigeant. L’autre raison, c’est que beaucoup d’entreprises n’ont pas pris la mesure de la transformation fulgurante et nécessaire, incontournable, des entreprises, face au digital. C’est peut-être un effet de décalage dans le temps mais je pense qu’on va aller de plus en plus vers ce format de leadership…

Si je vous dis Barack Obama, vous me répondez…

Ce serait tellement facile de dire que c’est un leader inspirant, positif, ce que je veux croire… Il a su jouer sur le fait de redonner de l’espoir et incarner la diversité, l’élan, mais je n’ai pas assez d’éléments sur lui pour dire s’il et véritablement un leader inspirant. Moi il m’a donné, comme à des millions d’américains, de citoyens de ce monde, beaucoup d’espoir. Maintenant, la réalité de son bilan c’est autre chose… 

Pourtant il donne envie d’y croire. Le leader cool, humble et efficace. Cette personne qui sait travailler ardemment, être un père ou une mère de famille idéale, un mari ou une épouse reconnaissant(e). Or ici on se retrouve bien souvent, dans le monde de l’entreprise, face à des pseudo-leaders qui calculent, font des séances de coaching pour flatter les égos tout en bernant les yeux lucides en face. Comment se positionner face à cela, en attendant que votre institut fabrique des futurs Obama ?

Alors, notre institut ne fabrique pas de futurs Obama puisque je ne peux pas juger de Monsieur Obama… (Rire). Nous on se charge de savoir quelle est la profondeur de chaque dirigeant qui vient nous voir. Mais il est hors de question d’équiper de manière artificielle de nouvelles compétences nos leaders inspirants. Maintenant voilà, comme pour le comme tout le monde, parfois il nous arrive de passer à côté d’intentions peu sincères. Nous proposons un travail d’accompagnement et l’on vise surtout des leaders qui assument enfin de devenir eux-mêmes avec leurs failles, leurs défauts… On a mené une recherche scientifique dans des entreprises et nous sommes arrivés à la conclusion qu’un comportement altruiste, empathique et de compassion pouvait générer chez leurs collaborateurs de l’engagement affectif, plus de reconnaissance et un mieux-être collectif. On a tenté de décortiquer les mécanismes en jeu et on s’est aperçu que par l’entraînement (et il faut du temps, ça ne se fait pas en 24h), notamment par un entraînement mental, un dirigeant peut renforcer sa capacité d’empathie. « J’ai le sentiment que mon manager me traite avec davantage de respect, de dignité, qu’il communique avec moi de manière plus juste, plus adaptée. C’est pour ça que j’ai davantage envie de me réengager ». Dans les entreprises, on ne peut faire autrement que de se réinventer quasiment en permanence.

Oui enfin, on ne vient pas réparer nos manques affectifs en entreprise… On nous demande d’effectuer un travail, pas d’être aimé.

Je suis convaincu que ce besoin de reconnaissance est universel. Que les formes de reconnaissance peuvent être différentes d’un individu à l’autre (intrinsèques, extrinsèques etc.). Mais dans ce monde professionnel où l’on devient de plus en plus invisible, où l’on est traité de manière injuste ou inéquitable, ou les repères se perdent et où ne sait pas où l’on sera dans trois ans parce que le modèle économique et remis en cause… Pour exister, les leaders auraient intérêt de montrer leur reconnaissance envers les divers collaborateurs. Si vous saviez le nombre de baromètres d’entreprises que nous consultons… On constate bien que les deux besoins primordiaux sont : le besoin de reconnaissance et le besoin de justice. Voilà donc quelques éléments de recette pour tendre à devenir un leader… Imparfaitement parfait. Et si j’adore votre titre, le leader parfait, je dirais qu’il faut plutôt accepter d’être imparfaitement parfaits !

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