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Cécile Dejoux : « Le Manager À L’Ère De L‘Intelligence Artificielle »

Star mondiale des cours en ligne avec ses Mooc à succès sur le management, professeur à l’ESCP-Europe et au Cnam où elle est responsable de la filière RH et du Master RH, Cécile Dejoux enseigne aussi à l’ENA et donne en entreprises de nombreuses conférences sur « Le management à l’ère du numérique et de l’IA» : sa spécialité, qu’elle détaille dans son dernier ouvrage.

Vous co-publiez avec Emmanuelle Léon « Métamorphoses des Managers à l’ère du numérique et de l’IA » : pouvez-vous en présenter les grandes lignes ?

Cécile Dejoux : Ce livre est le support de mon nouveau Mooc « Manager augmenté par l’IA ? », à savoir comment les managers vont devoir  travailler avec l’intelligence artificielle (IA) et quelles vont être les compétences à développer ? Emmanuelle, spécialiste du travail, expose de nouvelles façons de travailler plus tournées vers le collaboratif. Et moi, je détaille les nouvelles compétences managériales qu’induit cette ère numérique et de l’IA : celles du « manager agile »,  du « manager designer » avec les apports du design thinking et « le manager augmenté » avec l’IA.

L’objectif de ce livre, lieu de débat et de prise de parole où figurent entre autres une vingtaine d’acteurs de la transformation numérique, est de décoder cette civilisation  numérique et de proposer un cadre d’action pour réussir la transformation numérique des individus, des collaborateurs et des organisations.

Quels sont les enjeux liés à l’Intelligence artificielle ?

Le principal enjeu sera de trouver le juste équilibre entre le travail humain et l’IA qui remet totalement en question le métier de manager et pose des questions de fond : comment va se faire la répartition entre les tâches dévolues au système IA et celles dévolues à l’homme ? Comment va-t-elle transformer le métier de manager ? Est-elle un risque ou une opportunité pour le manager ?

L’IA peut remplacer le manager sur certaines tâches automatisables, l’assister sur d’autres car elle pourra en réaliser une partie. Et l’augmenter sur des tâches sur lesquelles le manager sera plus performant en travaillant avec l’IA (tâches liées à la créativité, la décision et l’empathie).

Comment se caractérise cette nouvelle civilisation numérique ?

Elle se caractérise par l’entrée de nouveaux acteurs et l’émergence de nouvelles formes organisationnelles comme les start-up qui créent de nouveaux usages, les incubateurs qui favorisent la co-création, les chatbots souvent imaginés comme des assistants personnels toujours plus performants, les plateformes qui créent la désintermédiation, ainsi que les mouvements de e-citoyens qui font émerger de nouveaux lobbyings.

Avec ces nouveaux acteurs, apparaissent de nouveaux métiers et de nouvelles questions se posent : comment imaginer des gouvernances nationales alors que ces acteurs évoluent dans des économies mondialisées ? Comment créer et faire coexister des situations de synergie entre les acteurs du XXème siècle, et en particulier les grandes entreprises qui se sont construites sur des valeurs, des principes, des convictions totalement différentes de ces  nouveaux acteurs ?

Quelles sont ces  nouvelles compétences que les managers doivent acquérir ?

Au-delà des compétences basiques que tout manager doit avoir : décider, motiver et développer les talents, le numérique oblige à acquérir de nouvelles compétences. Tout d’abord des connaissances concernant l’alphabet numérique, c’est-à-dire comprendre comment on sauvegarde l’information, comment on la partage et on la valorise. Le numérique entraîne aussi une nouvelle façon de travailler : il faut de l’agilité pour aller plus vite avec les nouveaux outils numériques. Enfin, les managers doivent adopter une nouvelle façon de penser, avec des outils pour innover au quotidien : ce sont les compétences du design thinking.

Pourquoi la transformation des lieux est-elle si importante à vos yeux ?  

Les lieux participent à cette transformation numérique. Il y a toute une réflexion à mener pour savoir quel type de lieu est adapté pour quel type de travail car les compétences peuvent être parfois démultipliées en fonction des lieux, si les transformations sont bien menées. Incubateur, espaces de co-working, openspace, sont autant de nouveaux types de lieux qui peuvent donner naissance à d’autres formes de travail et favoriser le collaboratif. Le numérique rend impératif le travail collaboratif, mais celui-ci s’apprend !

Vous insistez sur la notion de management agile : sur quoi repose-t-il ?

Historiquement, les méthodes agiles sont nées dans l’environnement informatique avec le lean management, la méthode scrum et kamban. Elles reposent sur des principes d‘actions très courtes, d’expérimentation et d’apprentissage continu. Qu’elles soient organisationnelles ou managériales, ces méthodes qui s’appliquent aussi bien aux grands groupes qu’aux start-up, reposent sur quatre grands principes. Les individus plutôt que le processus et les outils. Des prototypes opérationnels plutôt qu’une documentation exhaustive. La collaboration avec le client plutôt que des contrats rigides. Et l’adaptation au changement plutôt que le suivi d’un planning.

Une entreprise agile va apporter des solutions concrètes et personnalisées à ses clients. L’agilité est un levier de simplification adapté aux processus directement visibles par le client. La prise de décision se fera au niveau de celui qui possède la bonne information et qui obtiendra une validation rapide. L’agilité permet de facto de décentraliser  et de libérer la gouvernance en repositionnant la prise de décision. La principale valeur ajoutée de cette méthode consiste à réduire le temps de mise sur le marché d’un produit ou d’un service.

Quelles sont les compétences du manager agile ?

Les compétences d’agilité pour le manager sont la vélocité pour innover avant les autres, l’expérimentation pour faire sans complexe en cocréation., les communautés et l’usage.

L’innovation est le moteur de la transformation  numérique. Ce ne sont plus  les services R&D et les marchés tests qui permettent d’innover, mais les multiples expérimentations réalisées avec le client en co-construction et avec des partenaires, dont des start-up. L’expérimentation constitue le principe fondateur de l’innovation dans le monde de l’agilité.

La communauté pour tester, approuver et diffuser. Etre agile, c’est savoir repérer, intégrer et enrichir les bonnes communautés de pratiques, celles où l’on fera la différence, où l’on aura une valeur ajoutée et, par réciprocité, les bonnes informations. Ces communautés peuvent être verticales (sur un thème), horizontales (avec des personnes que l’on apprécie dans ou hors de l’entreprise), ou transversales (en fonction d’un projet, d’un objectif). Ainsi le troisième principe de l’agilité est la relation humaine et, par extension, les communautés. Cette compétence managériale privilégie ma relation à l’humain avant l’application d’une procédure ou d’un mode d’emploi.

L’usage est le quatrième grand principe du manager agile. Le manager devra privilégier e perspective qui se focalise sur l’usage, concept clé dans la transformation numérique de l’entreprise. L’usage représente le prisme le plus direct pour inventer une expérience utilisateur positive.

Qu’appelez vous le manager designer, relié à la notion de design thinking ?  

En plus des compétences numériques et d’agilité, le manager doit apprendre à innover au quotidien et à devenir un « manager designer » grâce aux méthodes du design thinking qui permettent de développer l’empathie, la créativité et des techniques « test & learn ». Les compétences de design thinking sont fondées sur l’observation empathique, sur la créativité et le prototypage. Elles sont complémentaires des méthodes d’agilité qui elles, reposent sur l’itération et la rapidité. Elles permettent d’innover par rapport à un produit, un processus ou une  idée

Le manager agile qui travaille en mode collaboratif  et va vite, aura tout intérêt à devenir également un « manager designer » qui observe, pivote, teste et dessine de nouvelles solutions au regard de nouveaux usages à créer.

Que devient pour vous le leader à l’ère du numérique ?

Ce qui change avec le numérique, ce ne sont pas les objectifs du leader mais  la façon de les réaliser. Il est à la fois un transformateur, un serviteur, un « maître du Chi ». Le leader doit accepter l’idée que sa position, son rôle, ses acquis puissent être remis en cause par une start-up, des collaborateurs de la génération Y, des plateformes maîtrisant des données. Plus le leader sera capable de se transformer lui-même, plus il transformera l’entreprise. Le credo du leader transformateur sera de construire une nouvelle vision autour de l’expérience collaborateur, de l’expérience client, de l’expérience managériale.

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