Dis-moi comment tu écris, je te dirai qui tu es. Loin d’être anodines, l’écriture et notre gestuelle renseignent sur notre personnalité, notre vécu et notre capacité à interagir avec l’autre. Maxence Brulard, graphologue expert, comportementaliste et morpho-sociologue notoire, lève le voile sur les nombreux ressorts derrière ces actes du quotidien qui intéressent une multitudes d’acteurs : recruteurs, institutions judiciaires ou policières, spin doctors… Avec plus de 200 publications à son actif sur les sciences humaines appliquées et ses portraits caractérologiques de personnalités, le Suisse se confie à Forbes entre deux conférences et expertises.
Jusqu’à quel point l’écriture éclaire-t-elle sur le caractère d’une personne ?
Maxence Brulard : Il faut d’abord comprendre que chaque humain a un caractère inné ET un caractère acquis. La caractérologie est une science mère d’un ensemble de sous-sciences, dont celle de l’étude du visage, de la forme du visage, de la morphologie. Pendant très longtemps, l’art d’écrire fut réservé à des aristocrates, à la noblesse ou encore au clergé, définissant ainsi un certain élitisme intellectuel. On pensait que plus la personne avait une écriture esthétique, agréable, ornée voire enluminée, plus elle avait acquis une maîtrise de son geste lui conférant une conscience permettant l’étude, le savoir et la transmission des acquis. Déjà dans l’univers monastique en Chine, on estimait la qualité d’évolution de l’esprit du moine en fonction de son art d’écrire : ainsi la communauté connaissait l’évolution spirituelle, les caractéristiques dudit moine et tout ce qui était utile pour vivre en bonne intelligence avec son environnement.
Depuis que les enfants furent scolarisés, donc jusqu’à nos jours, tout le monde bénéficie d’une même typologie scripturale à l’origine commune, comme l’écriture latine par exemple. Chacun peut ainsi progressivement manifester son écriture bien à lui, distincte au point que sa signature a pu faire foi sur le plan juridique alors qu’auparavant un sceau avec de la cire était bien plus certain. Lorsqu’on fait une étude complète, une analyse vraiment profonde, on demande toujours un brouillon, quelques notes, la signature, l’écriture formelle. L’écriture permet donc de définir une formule tempéramentale au sens où Empédocle ou Hippocrate l’aurait compris. Elle définit ainsi la constitution de ses agrégats mentaux, émotionnels et instinctuels.
D’où le recours à son étude stylistique par l’institution judiciaire ?
M.B : Une étude graphologique réalisée par un professionnel maître de son art, peut bouleverser une vie, voire la remettre en question, elle peut permettre d’élucider une affaire, elle peut aussi parfois être le seul moyen pour des héritiers ou leurs contestataires de faire valoir leurs droits après le décès du testateur. Nombreux sont les capitaines d’industrie à avoir réorienté leur testament après investigations graphologiques de tous les ayant-droits potentiels à la transmission et à l’héritage (avec succès une fois décédé). Dans le détail, l’écriture livre un éclairage sur trois niveaux de lecture, premièrement, intellectuel : elle renseigne sur la logique, l’intuition, l’imagination, le réalisme et même sur le genre de mémoire: abstraite, concrète, sélective, objective, numérique, imaginale. Au niveau émotionnel, elle indique son degré de parasitages comportementaux, de déviations, exaltations ou au contraire inhibitions, refoulements, cynisme. Enfin, au niveau instinctuel, elle met en lumière l’énergie vitale, la résistance nerveuse, le rythme biologique…
A mon époque, pour obtenir son diplôme de graphologie professionnelle, le futur graphologue devait trouver à travers 5 écritures et signatures qui pouvait être l’auteur d’un vol dans une entreprise, c’est donc un instrument redoutable qui a montré son utilité et sa pertinence au système judiciaire et aux services de police du monde entier, lesquels sont très nombreux à y avoir recours. D’ailleurs, au fil des siècles, la graphologie n’a-t-elle pas été le seul moyen d’entrer dans le caractère d’un grand peintre disparu ? Son étude approfondie a permis de cerner l’humeur au moment de chaque peinture et même l’évolution de l’artiste.
Le monde professionnel s’est aussi entiché de son étude pour sélectionner les candidats, mais à quel moment a-t-on connu ce glissement vers l’analyse morphologique des profils ?
M.B : Ce phénomène est à corréler aux années 80 avec l’augmentation des communicants, des publicistes et des commerciaux en prospection directe qui devaient « décrypter » la communication non verbale de leurs interlocuteurs, futurs clients in fine. Précisons qu’Edward Hall, un grand anthropologue qui a investigué le sujet, a rejeté le terme de « communication non verbale » parce qu’il le trouvait négatif. Il a écrit un livre qui s’appelle « La communication silencieuse », ou le langage du corps. Ou l’art de voir si la parole et le geste sont en synergie.
En France, nous sommes en pleine campagne électorale. Seriez-vous « apte » à analyser la formulation des promesses de nos candidats afin d’affirmer ou infirmer le degré de sincérité des propos ?
M.B : Oui, tout à fait. J’ai été sollicité par de nombreux médias pour étudier des personnalités politiques telles que François Mitterrand ou Nicolas Sarkozy. Je les ai étudiés « morphologiquement », dans la gestuelle.
Rendez-vous est pris !
M.B : Je suis prêt (rires). Si vous regardez 2000 bébés, ils n’ont pas de trait constitué, ils détiennent des caractéristiques communes (petits yeux, petite bouche, joufflus etc.). Au fur et à mesure du temps, la structure commence à apparaître profondément. Le caractère se dessine et s’enracine chez la personne.
Maxence Brulard : « Nombreux sont les capitaines d’industrie à avoir réorienté leur testament après investigations graphologiques de tous les ayant-droits potentiels ».
C’est donc le vécu et les interactions avec les parents qui accentueront la singularité de chaque bébé ?
M.B : Exactement. Il y a d’une part un caractère du visage, qui va être celui de l’endroit où l’on est né, en Égypte, en Chine, en Norvège…ainsi que les caractéristiques particulières dues aux parents. Mais, chose très importante, à partir d’une vingtaine d’années, vous avez les acquisitions de votre propre expérience de vie par rapport au monde, et à ce moment-là, des muscles se forment, se déforment, se reforment… Tout se transforme.
Un adulte ayant eu une enfance difficile, peut-être même maltraité, sera donc irrémédiablement impacter sur son faciès ?
M.B : J’ai connu énormément de personnes qui avaient un prognathisme (configuration faciale selon laquelle une ou les deux mâchoires sont projetées en avant par rapport à la verticale du visage, NDLR). C’est un trait typique d’un caractère acquis, et non pas inné, très souvent dû à des souffrances morales d’un enfant. L’enfant commence à se crisper, il va crisper sa mâchoire. En faisant la moue, il réprime l’agressivité potentielle qu’il ne peut pas exprimer parce qu’il est un enfant, il est démuni, il est frustré. Il se mord lui-même et alors, cela va modifier la mâchoire, sur cinq, six ou sept ans.
Comment confronter « morphologiquement » un individu à l’enfance frustrée vs à l’enfance épanouie, qu’est-ce qui ressort des caractéristiques faciales à la vingtaine ?
M.B : Louis Corman, médecin fondateur de la morphopsychologie, et du mot « morphopsychologie » – avant on parlait de phrénologie, ou bien d’autre chose, mais on ne parlait pas de « morphopsychologie » – donc le mot appartient au Dr Corman. C’est lui qui a explicité ces deux fondements : d’une part, toute situation où le milieu ambiant est favorable va tendre à faire extravertir la personne ; tout milieu défavorable va tendre à l’introvertir. Ensuite, la personne peut introvertir ou extravertir des parties de son visage (au moins trois zones : frontale, nasale et buccale). Ce sont toutes ces différenciations qui vont montrer, en quelque sorte, si la situation de naissance, l’évolution familiale, éducative a été favorable. En général, si la situation a été favorable, il y aura une plus grande liberté d’extraversion et d’expression.
Qu’est-ce qui est déterminant dans un visage, selon vous ?
M.B : Pour ma part, en tant que professionnel, tout est déterminant, parce que c’est une synergie. Néanmoins, l’œil, le regard ont une importance capitale dans l’expression en renseignant sur le personnage. L’exemple de Jeff Bezos est édifiant car il a un œil proéminent différent de l’autre. Un œil qui regarde et un autre qui calcule. Un œil sur vous, un autre sur le business… Ces yeux sont comme dissociés. Si vous regardez l’astrophysicien Hubert Reeves et son visage bienveillant, que remarquez-vous ? Il affiche un visage extrêmement vertical et une espèce de bulle mentale incroyable : il est vraiment dans le cosmos ! Inexorablement, on regarde moins son nez, moins ses yeux, moins sa bouche… car on est emmené par son front, et lui aussi d’ailleurs !
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